Le jeune forgeron insista tant et si bien que sa brave mère accepta, sans conviction de l’accompagner chez le riche éleveur pour demander la main de sa fille. Ce dernier, comme elle l’avait prévu, refusa de la leur accorder sous prétexte qu’elle était » réservée » depuis longtemps au fils d’un de ses vieux amis.
De retour à la maison, le forgeron sombra dans un chagrin de plusieurs jours, puis comme il était fort de caractère, il décida d’oublier ce petit incident tout en se disant qu’il y avait au village d’autres filles aussi belles que celle qui avait fait vibrer son cœur. Après tout, comme le dit si bien la sapience populaire, on n’obtient pas toujours ce que l’on veut.
Quelque temps plus tard, il demanda la main d’une autre fille et son père lui fit comprendre qu’il arrivait un peu tard parce qu’il avait déjà accordé sa main à quelqu’un qui s’était présenté bien avant lui. Un terrible soupçon assaillit alors le jeune homme. Se pouvait-il que personne ne veuille de lui comme gendre ? Pour en avoir le cœur net, il demanda en mariage une troisième, une quatrième et une cinquième fille et à chaque fois, on lui répliquait par la négative sous couvert de prétextes incongrus. Bizarre. Se pouvait-il que personne ne se souvienne des immenses et innombrables services qu’il avait rendus au village ? Après d’autres démarches, infructueuses également, il se résigna à la triste réalité. Personne ne voulait de lui comme gendre. Ses soupçons s’étaient avérées justes. Malgré tous les nombreux services qu’il avait rendu aux gens de son village, ceux-ci, en retour, le méprisaient ! Aucun n’avait voulu lui accorder la main de sa fille ! Pourquoi ? Qu’avait-il fait de mal ? Il avait toujours accompli du bon travail pour honorer la mémoire de son père afin que tout le monde puisse parler de lui en bien. Il avait fabriqué des couteaux, des haches, des faucilles, des araires, des socles, et souvent sans demander de contrepartie quand celui qui sollicitait son aide n’avait pas de quoi payer… Et voilà le résultat! Il était le mal-aimé de tout le village !
Sa mère tenta de le consoler :
– Ne sois pas triste, mon enfant ; la vie est pleine de ce type de surprises empreintes de mépris et d’ingratitude. Je vais te ramener une fille d’un des villages se trouvant derrière les montagnes. Dans ces villages-là, à ce qu’on m’a dit, les filles sont plus belles et plus dociles.
– Je te sais gré mère de vouloir me consoler…Pour le moment je n’ai pas le cœur à me marier. Je dois d’abord me remettre de ce mépris dont toi et moi, mes deux sœurs et la mémoire de mon père avons fait l’objet… Ensuite, je me marierai… Et certainement avec une des filles vivant au-delà de ces montagnes. Je dois t’avouer mère que je n’ai plus envie de vivre dans ce village où tout respire l’ingratitude et l’hypocrisie.
– Quitter le village ? s’exclama la mère. Ce ne serait pas une mauvaise idée. Beaucoup de villages n’ont pas de forgeron…Ils seraient tous heureux de t’accueillir.
– Je sais, mère, je sais…Nous nous en irons d’ici, mais au moment opportun.
Durant plusieurs jours, le jeune forgeron d’Akalous ne fit rien d’autre que vaquer à ses occupations habituelles, ce qui fit dire à de nombreux villageois que son cœur ignorait la rancœur et la rancune. Mais, en réalité, il s’était juré de se venger. Et de la manière la plus cruelle qui soit.
(à suivre…)
La dépêche de Kabylie 08/12/2007
Illustration : Nasreddine Dinet XIX e
Retrouvez la première partie sur Babzman : https://www.babzman.com/2014/le-conte-du-jeudi-la-destruction-du-village-dakalous-1re-partie/
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Et bien je pense qu’il est réservé à la fille du riche éleveur