Si le voile fait partie du costume de sortie de toutes les citadines du Maghreb, les accessoires et atours qui l’accompagnent, dépendent des statut et rang social de celle qui le porte. Les plus fortunées d’entre elles, ajoutent à cette tenue d’extérieur une coiffe (en dessous du haïek) qui modifie la silhouette et surélève, et une voilette pour recouvrir le bas du visage.
La fonction utilitaire de la voilette
Dans les grandes métropoles de la méditerranée orientale, les femmes se couvraient le visage à l’aide d’«une voilette noire en étoffe très fine, mais un peu rêche […], grâce à ces voilettes, les femmes peuvent voir les hommes sans être reconnues d’eux »* . Néanmoins, l’origine de cette « mode » au Maghreb, serait due à l’afflux massif d’exilés depuis la péninsule ibérique, et connut un intérêt certain, grâce à son aspect utilitaire. Il semblerait qu’elle ait fait son apparition en Algérie, vers la fin du XVI e siècle, alors même que la ville d’Alger est en plein essor, et accède au rang de l’une des villes les plus importantes du Maghreb.
La voilette a très vite su gagner du terrain, grâce à son aspect pratique, qui évite aux femmes de ramener des pans entiers d’étoffe (haïk) vers le visage, pour le mettre à l’abris des regards étrangers.
Le port de l’a’adjâr, cette petite voilette de soie triangulaire, de la même teinte que le haiek, est évoqué au XVI e siècle par Haedo (abbé et historien espagnol), qui la dépeint en ces termes : «pour ne pas être vues hors de chez elles, elles se couvrent la figure d’un voile blanc fin, qu’elles attachent par un nœud derrière la nuque au-dessous des yeux et du front, qui restent à découvert ».
Distinction religieuse et sociale
La haïek, associé à la voilette, assure aux musulmanes de la région Maghreb, anonymat et autonomie, de sorte à ce qu’elles puissent vaquer à leurs occupations en ville, en toute quiétude et en adéquation avec les habitudes religieuses mais surtout sociales d’alors.
En effet, et inversement aux représentations orientalistes, on apprend à travers les écrits de voyageurs (qui demeurent assez critiques), que les citadines de la périodes ottomane ont une vie sociale assez riche, et un quotidien ponctué de sorties et visites familiales. On est assez loin d’imagerie de la « détenue » du Harem… Certains récits de captifs évoquent même le fait que les algéroises parlaient le sabir : un langage métissé commercial, et que les plus riches d’entre elles « traitaient seules les conditions de rachats de leurs esclaves« *. Ce à quoi ne pourrait s’adonner une femme prisonnière comme le laissait sous-entendre la littérature orientaliste. L’ensemble Haiek/voilette n’est donc pas motivé par une perte de liberté (pour la période dont il question), mais peut être vu comme un outil distinctif, qui a permit aux femmes de cette époque une petite autonomie, favorisée et rendue possible par le port d’une tenue qui demeure protectrice.
Par ailleurs, les femmes juives sont habillées de la même façon que les femmes maures des villes; néanmoins, elles se promènent à visage découvert, de sorte à ce que l’on puisse les distinguer des musulmanes .
Autrefois l’a’adjâr ne se portait qu’à Alger mais, à partir du XIX e siècle son usage se généralisera et s’étendit aux autres villes (principalement Constantine). S’il nous arrive de croiser des visages en voilette, il tend aujourd’hui à se faire plus rares, et à complètement disparaître dans la capitale; mais il fut récemment observé le contraire dans le Gourara. Absent des habitudes vestimentaires des femmes de la région il y’a encore quelques décennie, son port dont la fonction est purement religieuse dans ce cas-présent, connaît aujourd’hui un essor parallèle à l’urbanisation du lieu.
Mira B.G
*Léon Lafricain
*Haedo
Sources :
- Leyla B, Algéroise – Histoire d’un costume méditerranéen
- Diego de Haëdo, Alger des années 1600
- De brèves, relation des voyages de Monsieur de Brèves, 1628
- Image : « Mauresques, costumes de ville » – Alger, ca 1920. Photographer: E. Leroux, Alger.