La torture, une spécificité de la France coloniale, suite et fin

Des milliers d’algériens en ont été victimes de la torture, pendant la colonisation française.

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Violez mais faites-le discrètement ! 

Nous avons failli oublier le sujet tabou, les viols. “Vous pouvez violer, mais faites ça discrètement”…telle  fut l’instruction de vos officiers durant la guerre de Libération nationale. Dans les douars éloignés ou à Alger, dans les centres d’interrogatoire, les sévices sexuels étaient fréquents. Mais le poids de la honte a longtemps étouffé les témoignages. Femmes combattantes et donc “rebelles”, femmes suspectes, femmes au fond des douars ratissés : leur viol fut une violence et un acte de guerre perpétrés, là-bas, par des soldats français.  Sur ce sujet si sensible que les historiens découvrent, il a fallu attendre les révélations au grand jour de cette pratique systématique des viols pendant la guerre en ex-Yougoslavie, de 1991 à 1995, qui ont placé en pleine lumière une violence spécifique, trop souvent considérée comme un dommage collatéral universel des guerres.

Depuis, des avancées importantes du droit international ont contribué, à leur tour, à mieux identifier cette violence dans les conflits postérieurs. Le Conseil de sécurité de l’ONU a qualifié d’“actes d’une brutalité innommable” les viols et les abus sexuels sur les femmes et les enfants en ex-Yougoslavie  et le même jour son Assemblée générale a défini les viols de femmes “comme arme de guerre utilisée de manière délibérée à des fins de nettoyage ethnique, dans le cadre d’une politique génocidaire”(Résolution 47/ 121 du 18 décembre 1992). Quatre ans et demi plus tard, le 27 juin 1996, le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie a qualifié de crimes contre l’humanité les viols commis dans la ville bosniaque de Foca en avril 1992 et a inculpé un membre et un chef d’une unité paramilitaire d’élite serbe. Cela pour dire ce que vous encourez également pour ces crimes.

Pour la guerre d’Algérie, nous savons que les archives du ministère français de la Justice contiennent quelques rapports du procureur général d’Alger au garde des Sceaux à propos d’affaires de viols dénoncées à l’autorité judiciaire. Mais la répartition des compétences durant cette période a abouti à ce que ces affaires soient toujours instruites par la justice militaire, donc sans résultats, comme les plaintes sur la torture. Ces dossiers de la justice militaire demeurent pour l’instant inaccessibles. En outre, l’amnistie corrélative des accords de cessez-le-feu, a rendu impossible toute poursuite à l’encontre de militaires français. Mais les nouvelles lois internationales ont, heureusement, levé leur imprescriptibilité, même pour toute contravention.

Le tabou et le poids de la honte
Manifestement, cette violence n’a pas encore fortement intéressé les historiens, comme elle n’a pas non plus été instrumentalisée par les autorités algériennes. Les viols restent sans doute largement enfouis dans l’anonymat des violences, mais des témoignages courageux commencent à paraître, montrant que cette violence sexuelle faite aux femmes algériennes a de multiples spécificités qui permettent d’éclairer plus finement les enjeux de la guerre.  Des témoignages écrits ou oraux d’anciens acteurs de la guerre évoquent ces viols, pendant la guerre elle-même, des journaux de soldats, des rapports d’aumôniers en parlent et, en Algérie, des femmes et des hommes écrivent sur cette blessure. Dès le début de la guerre, les femmes sont victimes de la répression menée par les forces de l’ordre françaises.

Car, si les femmes combattantes dans les maquis n’ont été qu’une infime partie d’entre elles, Djamila Amrane estime leur nombre à environ 2 000 pour toute la guerre, elles sont pour la plupart très jeunes, puisque plus de la moitié a moins de 20 ans et 90 % moins de 30 ans. Les Algériennes se sont consacrées essentiellement à des activités telles que les soins, le ravitaillement, l’hébergement. Leur relative discrétion amène aussi à leur confier des tâches d’agents de liaison. En effet, le Front de libération nationale, peu favorable à la présence de femmes parmi les combattants armés, les a encouragées, en revanche à participer à l’organisation civile du peuple, au sein de laquelle les tâches de ravitaillement deviennent essentielles, au fur et à mesure que la lutte contre les maquis s’intensifiait.  Ainsi la place des femmes dans la guerre fut croissante.

De véritables cellules féminines sont constituées. Elles deviennent vite un ennemi prioritaire pour la France.  Au travers des archives militaires françaises, un historien a observé l’évolution du regard de l’armée  sur elles : les femmes accèdent peu à peu au rang de sujets dans la guerre et elles sont dès lors, comme les hommes, mises en fiches, suspectées, arrêtées pour leurs propres activités. Une directive du 24 février 1959, du général Massu, incite toutes les troupes du corps d’armée d’Alger à ne “pas négliger les femmes, parmi lesquelles le rebelle fait actuellement un effort de recrutement”.  Dans les journaux de marche des unités, l’évolution est sans ambiguïtés : abattre une femme, encore présenté comme une bavure dans les premières années du conflit, devient un fait de guerre à partir de 1959-1960.

Cette inclusion des femmes dans le groupe des ennemis de la France implique une généralisation des violences contre elles. Les fouilles des Algériennes pouvaient aller d’une palpation sur les vêtements jusqu’à l’obligation de soulever leur robe. Vérifier le sexe des femmes s’entend alors au sens propre. D’abord simplement soupçonnées d’être des “femmes de”, les Algériennes deviennent donc progressivement des ennemies à part entière. Elles sont de plus en plus nombreuses à être contrôlées, arrêtées, interrogées, torturées, emprisonnées, assignées à résidence ou exécutées. À la fin de l’année 1957, une section spéciale est ouverte au sein du centre d’hébergement de Téfeschoun pour les regrouper. Avant d’y arriver, elles ont souvent subi des violences, soit au moment de leur arrestation, soit durant leur détention dans les centres dépendant de l’armée. Ces violences présentent des caractéristiques sexuelles évidentes, brûlures sur les seins, électrodes placées sur le sexe… En outre, elles sont aussi l’objet de la violence sexuelle directe d’hommes qui les détiennent. Cette pratique est attestée par de nombreux témoignages et récits.

“Le journal” tenu par Mouloud Feraoun au cours de la guerre permet aussi de repérer à quel point le viol fut une pratique courante en Kabylie notamment au cours des grandes opérations engagées par le général Challe durant l’été 1959.   De fait, dans sa guerre contre le peuple algérien, le viol a occupé une place particulière. À travers la femme, bousculée, violentée, violée, la France officielle voulait  atteindre sa famille, son village, et tous les cercles auxquels elle appartient jusqu’au dernier, le peuple algérien. Le viol relève de la même logique que la torture.  Jacques Zéo, grand baroudeur, devance l’appel en 1955 et reste en Algérie jusqu’à la fin,  vante à ses amis restés en France la banalité du crime : “On parle de viol, mais ce n’était même plus du viol, les gars entraient dans un village, couchaient les femmes…

On pénètre dans une mechta, on entre dans les maisons, on déshabille pour une fouille au corps et, pour des appelés envoyés trente mois sans femmes au fond d’un djebel, le viol ne devient qu’une effraction de plus”. Certaines unités sont particulièrement sauvages, comme le commando de chasse dénommé P16 (partisan 16) dépendant des chasseurs alpins :  “Ce commando, c’était les SS en Algérie”, raconte toujours Zéo : “Ils ont violé des gamines de 10, de 11, de 12 ans. On voyait des pères venir nous voir en pleurant. On viole avec le consentement des gradés. Les djebels, les douars de Kabylie ou des Aurès ne sont pas les seuls endroits où les femmes risquent ce genre de torture, les femmes des villes n’ont pas échappé à cette torture”.

 

Djamel Bouatta, article publié dans le quotidien Liberté, le 5/07/2012

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1 Comment

REMI 5 janvier 2015 - 20 h 16 min

Nous , français, ne nous sommes pas honorés dans ces viols lâchement commis, souvent en présence d’enfants ou de maris, dans l’abandon de « suppléants » harkis, interdits de retour en France. Mais qui étaient Bigeard et Massu ? des revenants d’une guerre en extrême-orient qui les avait fait perdants, eux, des généraux !. Alors l’Algérie a été l’occasion d’un défoulement « compensatoire ».Ce qui est plus infâme est que les ordres venaient d’en haut et les responsables n’étaient pas souvent des appelés! J’avais 15 ans quand j’ai quitté mon pays.

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