La rampe du front de mer algérois, pensée par Frédéric Chassériau …

Il est à souligner que la période de la colonisation française est une partie intégrale de l’Histoire de l’Algérie, comme chez les voisins maghrébins, d’ailleurs, au même titre que les époques phéniciennes, romaine, arabe, turque et espagnole. Renier l’une des colonisations, leurs traces, leurs apports, serait de l’infantilisme navrant.

D’après C. Alexander et Albert Levy, la façade, en tant que composante majeure d’un édifice,  est «l’enveloppe et l’encadrement d’une structure composée, elle est définie comme système composé, elle joue un rôle intermédiaire de médiateur entre le projet et l’observateur, c’est un héritage symbolique.» Elle porte l’identité et traduit les valeurs patrimoniales des objets architecturaux. Cette valeur esthétique, historique et architecturale, participe à la composition du paysage urbain.

Il est évident que le patrimoine architectural du XIX et XXe  siècles reste méconnu, alors qu’il représente une des plus importantes composantes de nos villes. Seulement, depuis l’acquisition de l’indépendance, le bâti colonial a subi des dommages, parfois, pour ne pas dire souvent, irréparables.

Les aspects les plus manifestes et les plus représentatifs des arts décoratifs, dans le patrimoine, essentiellement monumental et immobilier durant cette période, est, depuis longtemps, saccagé, pillé, abandonné, au vu et su de tous.

La rampe Chassériau, crée par l’architecte Frédéric Chassériau, symbolise la première phase de l’intervention française, après l’établissement des plans militaires, entre 1830 et 1849. Au vu de la finesse du dessin des arcades, rien ne laisse deviner la première vocation militaire de l’édifice, bien qu’il ait été conçu pour renforcer les remparts, car à cette époque, les grands dangers venaient du grand large.

La rampe Chassériau a mis la ville d’Alger sur un nouveau socle, la relevant ainsi de 15 mètres par rapport à la plage. La gare du port d’Alger sera presque achevée en 1865. Ces travaux devront se poursuivre après la chute du Second Empire de 1870 à 1914. Interrompus pendant la première guerre mondiale, ils reprirent en 1922 avec la construction de l’avant-port et des deux bassins du Hamma et de Mustapha. Mais revenons aux projets de 1858. On parlait beaucoup à Alger d’une prochaine visite de Napoléon III. Aussi deux études d’un développement du port et de la ville furent élaborées en 1858. L’une par les architectes Vigouroux et Caillot, et l’autre par un cousin germain du peintre orientaliste Théodore, Charles-Henri-Frédéric Chassériau. Ce dernier nommera respectueusement son projet «Napoléon-Ville» qu’il signera toutefois sous sa qualité d’ex-directeur des travaux publics de la ville de Marseille. La ville ancienne étant respectée. Le projet était ambitieux puisqu’il ouvrait de larges voies et boulevards bordés d’immeubles d’inspiration et de style très haussmannien. Chassériau écrira «Pour nous il nous faut de l’air et du soleil, des boulevards plantés d’arbres et des rues à galeries couvertes»…On croit à une description d’une rue de Paris comme la rue de Rivoli. Le décret du 12 mai 1860 devait ordonner l’exécution du projet. La ville fut autorisée à traiter «l’assiette» des boulevards et ses soutènements à arcades avec une entreprise anglaise dirigée par Sir Morton Peto après adjudication. Les travaux seront exécutés sous la direction du Génie et sous contrôle des Ponts et Chaussées.

Bénie par Monseigneur Pavy, évêque d’Alger, la première pierre sera posée par l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, le 19 septembre 1860, et le boulevard du front de mer prit le nom officiel du «Boulevard de l’Impératrice». Napoléon III devait revenir en 1865 et aura l’occasion de voir l’achèvement des travaux sur plus d’un kilomètre et demi. Le boulevard était relié au port et à la gare par des rampes et escaliers. Les emplacements de deux ascenseurs étaient prévus.

L’ancien boulevard de l’Impératrice, érigé sous Napoléon III, rebaptisé Boulevard Che Guevara, s’étend sur plus de 1 500 mètres, au dessus des arcades, constituant ainsi une promenade panoramique. Afin de continuer dans le même décore, les édifices classiques construits sur la rampe, ont également été décorés d’arcades.

Les voûtes étagées, construites entre 1860 et 1866, toujours sous Napoléon III, supportaient les deux boulevards, ainsi celui d’Anatole France, dans le prolongement Nord. Au début du siècle, ces voûtes comportaient plus de 350 magasins et habitations.

Les rampes (Chasseloup Laubat et Magenta) construites en liaison avec le port n’avaient qu’une faible pente à 3% propre à être empruntées par les véhicules hippomobiles. Elles seront achevées en 1864 et 1866. Le « front de mer » restera dans bien des mémoires comme un superbe balcon face au Levant, la mer et au permanent spectacle du port. Si le projet de Chassériau était passé à exécution en 1860, on n’en retint pas moins les idées des projets concurrents de Mac Carthy-Genevey et de Vigiuroux-Caillot.

Ces projets tenaient compte de l’accroissement de la population européenne. Cette dernière allait d’ailleurs prendre de l’ampleur avec la crise du phylloxéra en métropole qui poussait de nombreux viticulteurs vers l’Algérie où les vignobles étaient composés de « plans américains ». Cette émigration devait encore s’intensifier après la chute du Second Empire en 1871 et la naissance de la nouvelle République, avec les Alsaciens-Lorrains désireux de venir en Algérie se refaire une vie en restant Français.

Mounira Amine-Seka.

Sources :

  • Les Arts décoratifs, par Ali Bettoutia, Editions : Grand Alger Livres- 2006.
  • Le développement et les constructions de la ville d’Alger jusqu’en 1960 (deuxième partie) par Georges Mercier.

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