La préparation du leben en pays touareg

Chaque jour, après la traite du matin et celle du soir, le lait frais, qu’il soit de chèvre, de brebis ou de vache, est versé dans un récipient spécial où il subit un début de fermentation lactique à une température qui peut varier, selon les lieux ou la saison, entre 20 et 35 degrés.

Il y séjourne jusqu’au lendemain près d’un foyer, ou protégé sous des tissus en un lieu tiède. Quand il existe plusieurs espèces d’animaux producteurs de lait, on ne mélange jamais les laits frais ; chaque type de lait est mis à aigrir séparément, alors qu’à la consommation les mélanges sont fréquents, surtout avec le lait de chamelle qui n’aigrit pas (et ne donne pratiquement ni beurre, ni fromage par manque de caséine ; cependant des expériences récentes en laboratoire, ont permis d’obtenir un fromage avec du lait de chamelle).

En pays touareg ce premier récipient (aǧiwir ou emesesley est une petite outre plate, en peau de chèvre ayant subi un tannage spécial qui provoque son épilation totale. Constamment en service, cette outre est nécessairement rapiécée et très vite usée. La paroi des vieilles outres est tapissée de peaux blanchâtres (aklayen) qui abîment le cuir à l’intérieur en provoquant une sorte de desquamation. Les gens affamés coupent ces peaux en morceaux et les pilent pour s’en nourrir en période de disette. Ces aklayen contiennent les bactéries qui assurent rapidement l’acidification du lait. Cette outre n’est jamais séchée, ni rincée à l’eau. Elle reçoit le lait de la traite du matin et celui de la traite du soir en période d’abondance, sinon uniquement celui du soir. Elle séjourne au soleil l’hiver ou à demi enfouie dans les cendres tièdes près du foyer chez les nomades.

Le barattage

Quel que soit le type de récipient utilisé pour cette opération (poterie, calebasse, vannerie, peau, etc.), le premier principe à respecter est immuable : pour être convenablement agité, le volume du lait doit être inférieur à la moitié du volume total de la baratte.

Les récipients à parois rigides doivent être à la mesure de la force d’une personne les secouant à la main, ou être suspendus à deux cordes sur un support, pour être balancés d’un mouvement brusque, avec un léger temps d’arrêt, obligeant la masse de lait à heurter violemment les parois. Le même exercice est obtenu dans une outre, à la condition qu’elle soit gonflée d’air, pour permettre le même type d’agitation du lait qu’elle contient.

Chez les nomades du Sahara central (Touaregs), la grande outre de peau (d’un animal entier : chèvre en général), sans poil qui sert de baratte est toujours solide (et non rapiécée) pour éviter les éclatements et les fuites. On y verse le lait aigri et on la gonfle d’air ; son col est alors solidement serré d’une double attache de cordelette afin d’en assurer l’étanchéité. Latanwart est suspendue aux armatures de bois de la tente ou de la hutte, et balancée en cadence environ 30 à 40 minutes. Cette opération a lieu le matin de bonne heure, car la chaleur du jour ne permet plus le barattage en raison des modifications physiques de la phase grasse du lait qu’elle provoque. Avant la fin du barattage on ajoute un peu d’eau froide ; l’abaissement de la température qui en résulte, facilite le rassemblement des grains de beurre. Quand la motte est formée en un bloc compact, on la fait émerger au-dessus de la masse liquide en ouvrant largement le col de l’outre. Le beurre est versé dans un pot en bois, en fer étamé ou dans une marmite.

De couleur blanche, sans odeur prononcée, le beurre frais udi wa mellen  ou tesendut, tesufrent zebda (ar.) est très rarement utilisé tel quel, car il s’oxyde très vite, contient encore de l’eau et des impuretés. Les plus gourmets, en milieu urbain, l’utilisent quelquefois pour assaisonner la graine de couscous sans bouillon (mesfûf). Il sert parfois aussi d’excipient gras pour soigner certaines maladies (mammites en particulier). Ce beurre frais ne convient guère à la civilisation matérielle locale, ni aussi au goût des usagers qui lui préfèrent le même beurre, fondu, qui fait davantage ressortir l’odeur suis-generis des bêtes qui l’ont produit et qu’on agrémente quelquefois d’additifs (plantes aromatiques, graines de céréales, corne de mouflon, dattes pilées) qui en jouant le rôle d’antioxydants colorent et parfument ce beurre.

El leben, est un mot arabe qui n’a pas d’équivalent français et qui est passé dans le langage courant aujourd’hui en France.

L’encyclopédie berbère

Bibliographie

  1. Ballet J., « Laitage », I.B.L.A., XII, 1949, p. 203-207.
  2. Foucauld Ch. de et Calassanti-Motylinski A. de, Textes touaregs en prose, édition critique par S. Chaker, H. Claudot, M. Gast, Aix-en-Provence, Edisud, 1984 (p. 58, texte 9 : lait et beurre).
  3. Gast M., Maubois J.-L., Adda J. et al. Le lait et les produits laitiers en Ahaggar, Mémoires du CRAPE, XIV, Paris, A.M.G., 1969, 72 p. (p. 43-52).
  4. Gobert E.-G., « Usages et rites alimentaires des Tunisiens », Archives de l’Institut Pasteur de Tunis, t. 29, 1940, p. 89-90.

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