Conte l’oiseau d’or – Partie 5 – A la conquête de l’oiseau d’or

-« Qu’est-ce que c’est ? demanda Aziza. »

-« Un oiseau d’or éclatant et qui chante. A chaque instant il te fera entendre les chants les plus mélodieux, il prédira l’avenir pour toi, il t’avertira des dangers qui te menacent. Si tu l’as, plus aucun mal ne pourra t’atteindre, tu seras la plus heureuse des femmes. »

Quand Aziz rentra, Aziza se précipita :

-« Mon frère, m’aimes-tu ? »

-« Comme moi-même, dit Aziz. »

-« Aziz, si tu m’aimes, rapporte-moi l’oiseau d’or mélodieux. »

« Encore un caprice » pensa Aziz, et il se rendit chez le sage :

-« Maintenant, ma sœur veut que je lui rapporte l’oiseau d’or mélodieux. »

-« Cette fois, dit le sage, c’est à la mort que ta sœur t’envoie, car de tous ceux qui sont allés à la conquête de l’oiseau d’or, personne n’est jamais revenu. »

-« Où le trouverai-je ? demanda Aziz. »

-« Au désert. »

-« Et comment le reconnaitrai-je ? »

-« Prend ton cheval, ton javelot et va. A l’endroit du désert où tu verras un grand rocher s’élever jusqu’au ciel et dominer toute la pleine autour de lui, arrête-toi.  A la tombée de la nuit des nuées d’oiseaux viendront se poser sur le rocher. Attends qu’arrive le plus grand. Il sera tout auréolé de lumières vertes et rouges. Il te demandera : « N’est-ce pas, enfant, n’est-ce pas ? » Une fois ; tu ne répondras pas ! Deux fois : tu ne répondras pas. A la troisième fois, tu diras : « Oui ! »et tu te saisiras de lui, car l’oiseau d’or… C’est lui ! »

Aziz s’enfonça dans le désert avec son cheval et son javelot. Vers le soir il arriva au pied du mont, qu’il voyait depuis plusieurs heures d=s’approcher et grandir à mesure qu’il avançait. Il regarda autour de lui et resta émerveillé. Devant lui s’étendait une forêt de statue de pierre ou de bois, qui représentaient des guerriers dans les plus diverses postures, comme si une brusque tempête les avait surpris et pétrifiés chacun dans une position différente.

Aziz restait médusé devant ce cimetière inattendu ; il n’osait s’approcher. A la nuit tombante, des nuées d’oiseaux, issus de tous les points de l’horizon, volèrent à tire-d’aile vers le rocher, qui en fut bientôt tout jonché : ils étaient de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Tout à coup une grande lumière jaillit vers le couchant et, mollement, commença à évoluer vers l’endroit ou Aziz se tenait, immobile de stupéfaction. Quand elle fut toute proche, il reconnut qu’elle sortait d’un oiseau merveilleux, plus grand que les autres, et plus chatoyant de plumes d’or.

L’oiseau se posa au plus haut du rocher puis, tournant vers Aziz sa tête altière, lui dit :

-« N’est-ce pas, enfant n’est-ce pas ? »

Aziz ne répondit pas.

L’oiseau attendit un moment puis :

-« N’est-ce pas, enfant n’est-ce pas ? »

La voix de l’oiseau était merveilleuse : c’était une musique à la fois impérative et douce. Aziz ébloui, sans attendre la troisième fois, dit :

-« Oui ? »

Aussitôt l’oiseau souffla sur lui et sur son cheval et ils devinrent pierre, il souffla sur son javelot, et son javelot se fit tout bois.

Aziza chaque jour grimpait sur la terrasse, pour guetter le point de l’horizon par où Aziz avait l’habitude de reparaitre et Aziz ne reparaissait pas. La vieille femme, qui la voyait monter ainsi la garde chaque soir, venait chaque matin hypocritement prendre de ses nouvelles. Elle exultait que Aziz ne revenait pas mais, cachant sa joie, elle faisait mine de consoler Aziza :

-« Pourquoi te faire tant de soucis ? Ton frère t’a rapporté le lait de la lionne, il t’a ramené les belles perles enchâssées qui brillent à ton cou. Cette fois encore il va revenir avec l’oiseau chanteur ; que tous les hommes, toutes les femmes t’envieront. »

Mais Aziza avait beau se convaincre : sur le chemin de la forêt, le beau cheval d’Aziz n’apparaissait pas, et, dévorée d’inquiétude, elle finit par aller consulter le vieux sage. Elle commença par lui conter l’histoire du lait de la lionne :

-« Je sais , dit le vieillard. »

Puis celle des perles enchâssées :

-« Je sais aussi, dit le sage. »

Puis celle de l’oiseau d’or :

-« Cela aussi, je le sait, dit-il. »

-« Cela fait de semaines que mon frères est parti, conclut Aziza. Il n’est jamais resté si longtemps. »

-« Ma fille, dit le sage, tu as été très légère. Si tu avais voulu la mort de tn frère, tu n’aurais pu mieux agir. »

-« Aziz, mon frère ! Se mit à pleurer Aziza. »

-« Inutile de te lamenter, fit le vieillard. Ton frère est vivant… Si tu pars, il est mort… Si tu restes ici. »

-« Dites-moi seulement ce que je dois faire, s’écria Aziza. »

-« Prends un cheval, un javelot, des provisions pour la route et entre dans le désert, va jusqu’à un haut rocher que tu verras dominer la plaine de partout. Arrête-toi là. Près du rocher t’apparaitra une armée de statues de pierre et de bois. C’est la foule de ceux qui, partis conquérir l’oiseau d’or, ont été pétrifiés par lui. Toi-même, si tu te laisses prendre à la douceur de son chant, tu périras. »

-« Comment faire pour n’y pas succomber ? »

-« L’oiseau d’or te demandera une première fois : ‘’N’est-ce pas enfant, n’est-ce pas ?’’ Tu ne répondras pas. Il te posera une deuxième fois la même question. Pense à autre chose, ferme tes oreilles à la beauté de sa voix, tes yeux à la splendeur de ses plumes. Puis une troisième fois il te demandera : ’N’est-ce pas enfant, n’est-ce pas ?’’ Alors précipite-toi et saisis-toi de lui. Puis commence à le battre, ne le lâche sous aucun prétexte et ne t’arrête que quand il t’aura promis de ramener ton frère à la vie. Mais prends bien garde car, si tu réponds avant la troisième fois, tu deviendras toi aussi statue de pierre avec ton cheval et ton javelot. »

Aziza fit comme le vieillard avait dit. Elle prit son cheval, un javelot, elle pendit son collier de perles à son cou et s’enfonça dans le désert. Vers le soir elle arriva près du mont, dont elle voyait la masse se profiler devant elle. Elle arrêta son cheval au pied du rocher. Autour d’elle s’étendait le cimetière des guerriers figés dans toutes les postures où le souffle de l’oiseau chanteur les avait surpris et, parmi eux, elle reconnut les traits pétrifiés d’Aziz, dont le vidage de pierre, tourné vers le haut du rocher, était ravi comme s’il écoutait une musique céleste.

Peu après le coucher du soleil, de tous les points de l’horizon, des nuées d’oiseaux multicolores commencèrent de voler vers le mont, qu’ils couvrirent presque entièrement. Puis une lumière resplendissante blanchit le ciel et un oiseau majestueux vint se poser au haut du rocher. Au bord du cimetière enchanté, il vit Aziza, qui essayait de lutter contre son émerveillement.

-« N’est-ce pas enfant, n’est-ce pas ? lui dit-il. »

Aziza s’enfonçait les ongles dans la chair, pour ne pas céder au ravissement.

L’oiseau attendit, puis :

-« N’est-ce pas enfant, n’est-ce pas ! »

Les lèvres d’Aziza commencèrent à bouger, mais elle regarda le cimetière et y vit la statue de pierre d’Aziz, condamné à l’immobilité. Elle lutta obstinément pour ne pas en détacher ses regards.

L’oiseau d’or attendit… longtemps, puis d’une voix irritée cette fois, dit comme à regret :

-« N’est-ce pas enfant, n’est-ce pas ! »

-« Oui ! s’écria Aziza. »

Et aussitôt elle se précipita sur lui, le saisit et commença à le battre de toutes ses forces. L’oiseau se mit à se plaindre et crier :

-« Lâchez-moi ! »

Mais Aziza continuait de frapper de plus belle. L’oiseau eut beau se lamenter, hurler et frétiller furieusement entre ses mains, Aziza admirait les couleurs toutes diaprées de ses ailes mais ne le lâchait pas. Tant qu’à la fin :

-« Dis moi ce que tu veux, lui dit-il. »

-« Que d’abord tu rende la vie à mon frère. »

L’oiseau alla droit vers la statue de pierre, souffla dessus et aussitôt Aziz et son cheval commencèrent à bouger. Tous leurs membres au bout de peu de temps reprirent mouvement et vie. Aziz regardait autour de lui comme s’il s’éveillait d’un pénible cauchemar.

-« Maintenant lâche-moi, dit l’oiseau. »

-« Pas avant que tu aies soufflé aussi sur tous ces hommes, pour qu’ils retournent à la vie eux aussi et ailles retrouver ceux qui les aiment et certainement ont désespéré de les revoir jamais. »

L’oiseau entra dans le cimetière. A mesure que le souffle rauque sortait de son bec, les guerriers enchantés se levaient, stupéfaits, come s’il ne croyaient pas encore tout à fait à leur résurrection. Bientôt autour du rocher, une véritable armée de guerriers se leva, équipées de toutes les façons.

Ils se rassemblèrent pour quitter le désert et retournèrent chacun d’où il était venu. En tête marchaient Aziz, qui portait l’oiseau d’or, et Aziza avec son collier de perles. Les hommes de la caravane se racontaient comment chacun d’eux était arrivé au rocher pour y être ensuite pétrifié. Ils se répétaient aussi l’histoire d’Aziza et de leur délivrance. Tous enviaient à Aziz l’oiseau d’or dont les plumes et le chant resplendissaient à la tête de la caravane.

Certains même furent tellement charmés qu’ils complotèrent d’attaquer le jeune homme à plusieurs, afin de lui ravirent l’oiseau merveilleux. Ils ne savaient pas que celui-ci comprenait tout ce qu’ils disaient. Aussi furent-ils saisis de terreur quand ils l’entendirent prendre la parole :

-« Si vous essayer de mettre à exécution votre projet, leur dit-il, je vais souffler sur vous, et en un clin d’œil, vous serez ramenés à l’état d’où je vous ai tirés. »

Les comploteurs, effrayés, se le tinrent pour dit, et la caravane continua sa lente progression. Aziz et Aziza entrèrent bientôt dans la ville, où beaucoup s’étonnaient de ne les voir plus. Tout le long des rues l’oiseau d’or chantait et tous ceux qui l’entendaient étaient tellement charmés qu’abandonnant leurs travaux se mettaient derrière le cheval d’Aziz et le suivaient à travers la ville. A la fin il se forma derrière lui un long cortège d’hommes et de femmes enchantés par les accents mélodieux.

Ils installèrent l’oiseau chanteur dans le vestibule et tout le jour les habitants de la ville défilaient devant la cage d’or – tant qu’à la fin la nouvelle parvint jusqu’au oreille du roi, qui fut d’abord incrédule et voulut voir de ses yeux un aussi étrange phénomène.

Il se rendit dans la maison des deux jeunes gens, sui vi de ses femmes et de tous les dignitaires de sa cour. Dés qu’il fut entré, il fut ébloui par la beauté d’Aziza et, en son for intérieur, décida qu’il allait tuer le frère pour avoir la sœur et s’emparer de l’oiseau d’or. Mais au grand étonnement de tout le monde, dés que le cortège royal parut, la voix mélodieuse se tut… A SUIVRE

Source : Contes berbères de Kabylie – Mouloud Mammeri

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