La population de la Casbah à l’époque Ottomane – Partie I : les Kouloughlis – Par Farid Ghili

La population de la Casbah c’est-à-dire la Médina, centre historique d’Alger, était à l’époque de la Régence, formée de différents éléments ethniques. Les principaux étaient :

  • Les OTTOMANS, maîtres du pays, ( avec des poches de résistance), qui toujours vécus en marge de la population autochtone.
  • Les KOULOUGHLI (KRAGLA au pluriel algérien), KOULOUGHLOU ou KUL OGLU (KUL OGLULA, pluriel turc). Ils sont issus d’un mariage mixte entre un Ottoman ( un Janissaire généralement) et une femme autochtone ; on distinguera les Kouloughli de première génération et les autres.
  • Les MAURES, autrement dit les autochtones, et refugiés d’Andalousie, vrais citadins, par opposition aux Berrani.
  • Les BERRANI, des sous prolétaires nouvellement arrivés dans la cité, regroupés en communautés selon l’origine régionale. Les principales étaient celles qui venaient du M’Zab, de Biskra, de Laghouat, auxquelles s’ajoutait celle des Kabyles de M’Zita (environs de Mansourah BBA).
  •  Les NOIRS LIBRES, anciens esclaves affranchis par leur maître.
  • Les  ESCLAVES CHRÉTIENS, captifs des corsaires.
  •  Les JUIFS, qui se déclinaient en juifs indigènes qui vivaient dans des conditions modestes et en juifs dits « Livournais » (comme les tristement célèbres Busnach et Bacri) ou encore appelés « Juifs chrétiens » en raison de leur mode de vie occidental et qui, au demeurant, ne vivaient pas dans le quartier juif.
  • Les étrangers européens essentiellement, commerçants ou représentants consulaires de pays étrangers.

Je me propose de vous faire découvrir quelques catégories de ces populations de la Casbah, à savoir les KOULOUGHLIS (KRAGLA) puis LES MAURES et enfin, LES BERRANI.

1- Les KOULOUGHLI (KRAGLA au pluriel algérien) KOULOUGHLOU ou KUL OGLU (KUL OGLULA, pluriel turc)

Issus de mariage entre Ottomans et Algériennes de souche, au début de la présence Ottomane, ils étaient acceptés sans trop de problème. Mais à partir de la fin du XVI e S., leur nombre croissant compliqua leur relation avec les Ottomans, qui progressivement les écartèrent du pouvoir, créant un mécontentement, qui les poussa en 1629, à un premier soulèvement, avec le soutien d’autres couches de la population opposées aux Ottomans. Vaincus, ils perdront, pour un temps, quelques-uns de leurs privilèges. Ce n’est qu’à la fin du XVII e S., que leur influence regagnera du terrain. Ce retour en grâce s’explique par les dangers venant des frontières Ouest et Est, auxquels devait faire la régence. C’est le Dey Chaabane qui rétablit (plus ou moins) l’égalité entre Ottomans et Kouloughli de première génération uniquement, c’est-à-dire ceux dont le père était Ottoman. Au XVIIIe S., les Turcs créèrent, pour les Kragla, un corps indépendant, mais placé sous le commandement d’officiers Turcs. C’est ainsi qu’ils pouvaient accéder à presque toutes les fonctions, notamment la charge de BEY, mais ils étaient toujours exclus du grand Diwan et de la fonction suprême, celle de DEY. Les Turcs craignaient toujours que les Kragla “envahissent la suprême autorité et l’amour de la patrie ne les porte à secouer le joug Turc”. Cette crainte s’appliquait surtout aux kragla de 2eme et générations suivantes. Au XIX e S., cette catégorie a perdu une grande partie de sa cohésion qui faisait sa force. Les intrigues politiques succèdent à l’ère des révoltes.

Désormais au même titre que toutes les communautés et les tribus Makhzen, ils n’agiront plus que pour défendre leurs intérêts individuels, comme en 1817, lors de la répression des Janissaires par le Dey ALI KHODJA, ou encore comme à Tlemcen, dont l’ensemble de la population (Haddar, Kouloughli et Juifs) après la reddition aux Français du DEY d’Alger, avait fait allégeance au Sultan du Maroc Moulay Abderahman, plutôt que de subir un joug chrétien. On rappellera, à cet effet que cette opération était dans la continuité des ambitions traditionnelles du Maroc sur l’Ouest algérien, voire l’Algérie centrale; une visée amorcée par les révoltes successives orchestrées par la confrérie des Derkaoua.

Comme mentionné supra, plusieurs Kragla, en dépit des relations tumultueuses qui ont jalonné les rapports avec les Turcs, ont assumé quelquefois, avantageusement pour le beylicat, la charge de BEY. Parmi les plus connus, citons le Bey de Constantine AHMED BEY, le BEY d’ORAN Mohamed EL KEBIR, ainsi que ses fils et son frère Mohamed ER REKIK plus connu sous le surnom de BOU KABBOUS. Les Kragla disposaient parfois, de revenus non négligeables, en héritant de leur père, des biens acquis le long d’une vie passée dans l’armée et de par leur mère, souvent issue d’une famille Maure aisée. A titre d’exemple, le sénatus consult établi par les français pour les propriétés de la plaine de Semar, en contrebas de la Qalaa des Bni Rached, laisse apparaître que la majorité des terres les plus fertiles appartenaient aux kragla (ainsi qu’aux marabouts, forts nombreux dans cette cité).

Au plan social, rien ne distinguait les Kragla des Maures, sinon une plus grande recherche dans leur tenue vestimentaire. Même s’ils fréquentaient quelquefois les Maures, ils se considéraient cependant, supérieurs et n’avaient pas ou peu de considération pour eux, car ils aimaient à être vus comme des Turcs. Ils se faisaient un point d’honneur de parler couramment leur langue. Les mesures draconiennes prises par les autorités turques pour diminuer la croissance démographiques des Kragla ont atteint leur objectif, puisqu’en 1830, ils n’auraient été que 15 000* (selon une estimation de l’armée de conquête française) mais néanmoins plus du double (6 000) des janissaires, dont le corps a été officiellement supprimé manu militari, en 1827, par le Sultan Mahmoud II. En réalité les kragla de plusieurs générations, devaient être certainement plus nombreux, si l’on admet leur présence importante dans des cités comme Tlemcen et d’autres villes, sans compter ceux qui se sont réfugiés dans des villages et ont perdu, en partie, avec le temps leur spécificité.

A SUIVRE : 2/ les Maures hdars , Ouled lebled

Farid Ghili

*11 897 à Alger en 1745, selon des documents turcs (registre des soldes) , étaient hébergés dans les 8 casernes de la ville.

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