Les faits remontent au début du quatrième siècle, alors que les chrétiens étaient encore peu nombreux dans la ville de Tipasa. Les cultes païens, bien que privés d’appui officiel, se poursuivaient, notamment sous la forme de l’adoration par la foule d’un serpent de bronze, le dieu Draco, et de pratiques fanatiques qui rappellent celles du culte de Cybèle et d’Attis, selon Stéphane Gsell.
Ce serpent qu’on décrit fait de bronze et d’or et dont les yeux brillants seraient des pierres précieuses, se trouvait dans un temple élevé sur une colline de rochers dominant la ville et baignant dans les flots sa base rocheuse. Ce lieu avait été consacré dès les temps les plus reculés au culte des faux dieux, d’où son appellation de colline des Temples. Il abritait aussi une vaste nécropole de sépultures serrées les unes contre les autres.
Un jour, Salsa, une jeune fille âgée de 14 ans déjà convertie au christianisme, a été emmenée par ses parents païens à ce lieu de culte. Tremblante et frémissante à la vue de pratiques qu’elle trouvait écœurantes, sa colère fini par éclater : «Ah ! malheureux parents, dit-elle, malheureux concitoyens, le démon vous trompe encore une fois ! Que faites-vous ? où courez-vous ? à quoi pensez-vous ? Dans quels précipices vous a poussés le tortueux serpent ! Ne voyez-vous point sous quel joug vous courbez vos têtes ? Cette bête que vous adorez, malheureux, n’est qu’un airain fondu. L’argile lui a servi de modèle, le plâtre l’a remplie, le marteau l’a façonnée, la lime l’a polie, finalement c’est la main d’un homme qui, guidée par l’esprit du mal, a fait votre dieu. Qu’il vous rende donc quelque oracle au milieu de tout ce tumulte ! Écoutons ce que pourra dire ce dragon qui trompe d’ordinaire et n’ouvre la bouche que pour dire le mal. Il n’y a qu’un Dieu que nous devions prier et adorer sur les autels, celui qui a fait le ciel, établi les fondements de la terre, creusé le bassin des mers, trouvé la lumière, créé les animaux, disposé les éléments, ordonné les saisons, distribué les divers ordres de la nature et façonné l’homme pour qu’il s’applique toujours aux choses divines. Il faut, dis-je, adorer ce Dieu qui n’a pas eu de commencement et qui n’aura pas de fin. Ce que vous adorez, ce ne sont pas des dieux, car si vous ne veillez sur eux, ils ne sont pas capables de se défendre eux-mêmes. Retirez-vous, calmez votre fureur insensée, mettez fin à vos cruautés, que votre frénésie s’apaise. Laissez-moi lutter avec votre dragon, et s’il est plus fort que moi, tenez-le pour dieu, mais si je l’emporte sur lui, reconnaissez qu’il n’est pas dieu, abandonnez les sentiers de l’erreur, convertissez-vous et rendez au vrai Dieu votre culte et vos adorations. »
Les païens la regardaient comme une folle et n’y prêtèrent pas plus d’importance. Salsa, profitant de leur ivresse, fit une dernière prière et s’introduisit courageusement dans le temple pour détruire le faux dieu. Elle enleva au dragon sa tête et l’envoya rouler à travers les rochers jusque dans la mer, sans être vue de personne. Elle retournera au sanctuaire «avec l’intention de jeter dans les flots le corps même de l’idole. Elle y réussit, mais la statue de bronze fit en tombant un tel bruit que les gardiens accoururent ». La foule réveillée de son ivresse s’empara de la jeune fille. « Lapidée, percée de coup d’épées, piétinée, mise en pièces, elle fut enfin jetée à la mer, afin que son corps restât sans sépulture », écrit Stéphane Gsell et de poursuivre plus loin «Presque à ce moment, un certain Saturninus, venant de Gaule, y jetait l’ancre par un temps calme. Mais tout à coup une tempête violente s’éleva et fit courir au vaisseau les plus grands dangers. Pendant que Saturninus dormait, il reçut en songe l’ordre de recueillir le corps de la martyre qui se trouvait sous son vaisseau, et de lui donner sépulture : sinon il périrait. »
Le marin n’exécuta l’ordre que tardivement, alors que la tempête redoublait de violence et que son rêve se répéta par deux fois encore. Il plongea dans l’eau et ramena le corps de Salsa. Aussitôt, la mer s’apaisa et les vents tombèrent.
La jeune martyre du début du christianisme, fut transportée par les adeptes de la nouvelle religion dans un cortège funèbre, vers la colline des Temples où une chapelle, et bien plus tard, une basilique sera élevée avec les pierres de l’ancien temple païen pour devenir le sanctuaire de la sainte Salsa.
Un sarcophage en marbre de très belle qualité, mais entièrement brisé, a été retrouvé, devant la place qu’occupait l’autel de la basilique, avec le caisson funéraire de Fabia Salsa, sans doute aïeule de la petite martyre. Découverte par Stéphane Gsell et l’abbé Grandidier, la basilique de Sainte Salsa était ornée de mosaïques dont il ne reste à peu près plus rien de nos jours.
Sur la sépulture de la sainte Salsa, une inscription confirmait son existence : « au lieu où brille le saint autel, repose la martyre Salsa, toujours plus douce que le nectar, qui a mérité d’habiter toujours au Ciel, en pleine béatitude ».
Synthèse : Khadija T.
Sources :
- Stéphane Gsell, « Recherches archéologiques en Algérie », Ernest Leroux, 1893.
- Toutain Jules, «Fouilles de M. Gsell à Tipasa : Basilique de Sainte Salsa » In: Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 11, 1891.
- « Les Martyrs » Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu’au XX° siècle en 15 volumes. Traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough, de 1903 à 1924.
- Photo : Tombeau de Sainte Salsa – Tipasa