De grands pays musulmans accèdent à la liberté et vont construire leur avenir. Déjà, on s’apprête à leur demander des comptes : quoi, ce n’est pas encore la démocratie absolue et parfaite ?!
Vingt ans après l’écroulement soviétique, Poutine gave ses réseaux et viole les droits fondamentaux au jour le jour ; les révolutions US des anciennes républiques soviétiques, dix ans plus tard, pataugent encore dans les approximations ; ailleurs, la France-Afrique post-coloniale donne encore le rythme. Les révolutions de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye, du Yémen, de Bahreïn ont le grand avantage d’être spontanées : aucun grand frère pour vouloir ensuite récupérer les dividendes.
Bon, mais ça sera très compliqué, car ce ne sont pas seulement les dernières années sanglantes des dictatures qu’il faut gérer, mais des décennies d’oubli du droit.
Voici à ce propos quelques repères sur ce qu’a été la liberté de religion en Algérie, du temps de la colonisation : 130 ans. Deux dates principales ont marqué cette période de l’histoire : 1830, avec l’administration française de l’Algérie et 1905 avec la non-application de la loi sur la séparation de l’État et des cultes.
1830 : le double langage du droit
L’histoire contemporaine de l’islam et de la France commence en 1830, par l’annexion de l’Algérie. Avec la convention du 5 juillet 1830, conclue entre le Bey d’Alger et le général en chef des armées françaises, le pouvoir français s’impose, préfigurant le rattachement de l’Algérie à la France. Dès 1848, l’Algérie devient « territoire français », divisé en trois départements, sans être pour autant placée dans une égalité de droit avec la métropole. La France, qui avait fondé un empire colonial, s’affirme volontiers comme puissance musulmane, dans une société internationale encore marquée par l’empreinte de l’empire ottoman.
Les relations de la France et de l’islam sont évidemment plus anciennes. Il s’agit d’abord des croisades et des échanges entre Haroun al Rachid et Charlemagne, ou entre François 1er et Soliman le Magnifique. C’est aussi la présence durable des Musulmans au Moyen Âge, en Provence et en Languedoc notamment. La présence française en Afrique musulmane a été permanente depuis le 19e siècle : Saint Louis, alors capitale du Sénégal, disposait d’un représentant au sein de l’Assemblée nationale. Mais ce qui allait compter le plus dans ce domaine, a été le « fait algérien », c’est-à-dire l’irruption dans la vie politique, économique, culturelle et sociale d’un pays européen, de tout un peuple musulman avec son histoire, ses coutumes, ses règles de vie et sa religion.
Un peuple très majoritairement musulman, resté encore à un stade de développement de type traditionnel, devenait partie intégrante d’un pays de culture chrétienne. L’imbrication humaine, culturelle, politique ne cessera de se développer.
Dans cette région islamisée très tôt, le fait musulman est présent dès l’origine : la Convention du 5 juillet 1830 prévoyait que la France devait « ne porter aucune atteinte à la liberté des habitants de toutes les classes, à leur religion, leur propriété, leur commerce et leur industrie ». Or, dans le même temps, le droit métropolitain est venu organiser la société algérienne, en rupture avec le droit musulman. S’il est exact que le droit musulman souffrait d’archaïsme, l’esprit de la Révolution des Lumières n’a pas eu droit de cité sur l’autre rive de la Méditerranée : l’accès à la citoyenneté française a été refusé aux personnes de confession musulmane.
C’est la doctrine coloniale : l’Algérie est française, mais le musulman relève d’un statut personnel spécifique. Le colonialisme crée les bases du communautarisme. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 énonce : « si l’indigène musulman est français, néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane ». L’application du Concordat a été écartée sous prétexte qu’il n’existait pas d’organisations représentantes de l’islam. Aussi, l’État français a-t-il été dès le début omniprésent, y compris pour régler la pratique du culte, avec une préoccupation particulière pour le maintien de l’ordre public.
Il n’existait pas en terre algérienne de droit à la liberté de religion, et la pratique du culte, pour les musulmans, s’avérait souvent aléatoire. En 1848, a été créé un service de l’administration civile indigène, ayant pour mission le contrôle du culte musulman. L’État colonial qui régissait tout, n’allouait que des moyens très limités, et n’hésitait pas à réquisitionner les lieux de prières pour les affecter à des besoins jugés plus légitimes.
1905 : La non-application de la loi
Le schéma n’a pas été modifié par la loi de 1905, bien que l’article 43.2 invitait le gouvernement à déterminer les conditions d’application de ce texte à l’Algérie et aux colonies. C’est le décret du 27 septembre 1907 qui régla la question, pour reconnaître la loi inapplicable et organiser le statu quo, soit une religion sous contrôle de l’administration, avec de maigres financements.
La circulaire, signée par le préfet Michel le 16 février 1933, qui a institué un contrôle de l’administration sur le recrutement du personnel cultuel, a prévu des indemnités pour ce personnel qui devait prêcher dans les lieux de prière reconnus par l’État.
Ce n’est que beaucoup plus tard que le nouveau statut organique de l’Algérie, édicté par la loi du 20 septembre 1947, a rendu le culte musulman indépendant de l’État. Les projets réformateurs sont restés lettre morte jusqu’à ce que l’Assemblée algérienne crée en 1951 une commission du culte musulman, parvenant à établir le projet d’une Union générale des comités cultuels, financée par l’État. Mais le Conseil d’État a estimé en 1953 que la création par l’État de ce type de structure était contraire au principe de séparation des Églises et de l’Etat, et c’est le schéma ancien qui est resté en cours jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962.
Dans le même temps, le maintien du statut personnel spécifique pour les musulmans faisait de la croyance religieuse une condition de la reconnaissance juridique, créant ainsi un communautarisme légal. L’accès à la citoyenneté répondait à une logique discriminatoire sur le plan religieux : les musulmans devaient renoncer au statut personnel, lié à leur foi, pour adopter celui du code civil. Ce n’est qu’à partir de 1947, que fut acceptée la citoyenneté dans le statut, c’est-à-dire le fait d’être français et musulman, mais en portant le titre de « français musulman ».
Un constat d’évidence s’impose donc : durant la période coloniale (1830-1962), les musulmans vivant sous l’autorité de l’État français ont connu un statut juridique caractérisé par une double violation du droit : le non-respect des engagements contenus dans la convention de 1830 et la non application de la loi de 1905.
- Article de Gilles Devers, initialement sur le blog Actualités du Droit (https://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/) sous le titre « La religion dans l’Algérie coloniale »
4 Comment
c’est magnifique. j’aime beaucoup ce que vous faite. bonne continuation
je tien a recevoir d’autres documentaires.
merci par avance
Bonne continuation sur votre chemin!!!!
C’est tres bien , de connaître l’histoire la sale histoire …merci.