La création du réseau Jeanson

Le réseau Jeanson correspond à l’organisation d’une poignée de français anticolonialistes, nommés « les justes » ou « les porteurs de valises ». Le réseau a été crée par Francis Jeanson.

Disciple de Sartre, collaborateur régulier des revues Esprit et Les Temps modernes, Francis Jeanson est un jeune intellectuel et philosophe qui signe ses premiers articles sur l’Algérie au début des années 1950. Il y dénonce les injustices du statut de 1947, le racisme des colons et l’oppression subie par les Algériens. Pour lui, c’est une « situation intenable » et il sait de quoi il parle, il a séjourné en Algérie en 1943, dans les Forces françaises libres d’Afrique du Nord et, en 1948, lors de sa lune de miel avec Colette, sa première épouse. Cette année là, alors qu’il passe par Sétif, le sous-préfet lui fait visiter une place publique où se dressait un monticule de chaux. « Ce tas de chaux c’était des cadavres qui avaient été brûlés, carbonisés ». Scandalisé, il écrit un article pour la revue Esprit titré «Cette Algérie conquise et pacifiée… ». Jeanson s’engage clairement dans ses écrits (Esprit, Temps Modernes) pour la cause des algériens. Et c’est tout naturellement que ceux-ci se tournent vers lui après le déclenchement du 1er novembre 1954.

A partir de juin 1955, il s’implique plus concrètement dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie. Pour lui « «  Héberger un Algérien, c’est peut-être soustraire un homme à la torture  ».

En automne 1955, il écrit en collaboration avec Colette Jeanson « L’Algérie hors-la-loi » qu’il fait paraître au Seuil. Dans cet ouvrage, il affiche clairement son soutien pour le FLN et n’hésite pas à attaquer les pratiques colonialistes telles que la torture, largement pratiquée par les militaires français sur les algériens.

Et en mars 1956, il ouvre sa maison et met sa voiture à la disposition des militants du FLN. Puis, il en vient à solliciter des intellectuels, des artistes, des femmes et des hommes de lettres.  C’est la naissance officielle du réseau Jeanson.

Le philosophe espère donner une autre image des français, pour dire qu’ils ne sont pas tous pareils ou, comme il l’explique « pour que l’Algérie puisse un jour ne plus identifier la France aux pires excès d’une certaine politique française ».

La mission de ce réseau est de collecter et transporter des fonds pour le compte du FLN, ainsi que d’héberger et de convoyer ses membres. Les taches sont réparties comme suit : Francis Jeanson gère l’hébergement, Hélène Cuenat (jeune enseignante en lettres et numéro deux du réseau) et le professeur de philosophie Etienne Bolo organisent les déplacements et le journaliste Jacques Vignes s’occupe du franchissement des frontières. Le militant communiste Henri Curiel, de son côté, se charge des contacts avec son parti et supervise l’envoi vers la Suisse de l' »ichtirak », l’impôt révolutionnaire récolté auprès des Algériens de France et transporté par des femmes dans des malles, dont le montant atteint les 400 millions de francs par mois. C’est de là qu’on les appelle « les porteurs de valises ».

Le philosophe continue en parallèle à amener la question algérienne sur la place publique à travers ses conférences et ses prises de position médiatiques. C’est ainsi que des artistes, des anciens militaires, des prêtres ouvriers… adhèrent régulièrement au réseau.

Mais au début de l’année 1960, survient une vague d’arrestation qui conduira au procès des « porteurs de valises » le 5 septembre devant le tribunal militaire. Largement inconnus des français, les vingt quatre accusés – six algériens et dix huit métropolitains- sont poursuivis pour « atteinte à la sureté extérieure de l’Etat ». Mais les accusés comptent vingt six avocats, dont Jacques Vergès et Roland Dumas, et l’appui de nombreux intellectuels de gauche à travers le Manifeste des cent vingt et un sur le « droit à l’insoumission ». « En quelques jours, la situation est renversée : c’est le gouvernement, l’armée, leur politique, c’est la guerre d’Algérie tout entière dont le procès commence », commente Marcel Péju, des Temps modernes, dans sa préface au Procès du réseau Jeanson, la reproduction des minutes du procès publiée en 1961 par François Maspero.

Mais le verdict tombe le 1er octobre 1960 : Dix ans de prison pour quatorze de ses membres, c’est le cas de Jeanson, condamné par contumace, d’Hélène Cuenat, de Jacques Vignes…

Le réseau Curiel poursuivra l’action de Jeanson jusqu’à l’indépendance. Et lorsque celle-ci est proclamée, plusieurs porteurs de valises gagneront l’Algérie, ce sont ceux qu’on nomme « les pieds rouges ».

Z.M.

Sources :

  1. « Un juste, Francis Jeanson, vient de nous quitter », article de l’historien Dhaou Djerbal puiblié au lendemain du décès de Francis Jeanson en août 2009. (in https://ldh-toulon.net/deces-de-Francis-Jeanson-createur.html)
  2.  « LES PORTEURS DE VALISES. LES FRANCAIS DU FLN», article de Mattea Battaglia, in Le Monde Magazine du 20 février 2010
  3. https://www.live2times.com

 

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1 Comment

Youcef-Khodja Mohamed 4 septembre 2015 - 8 h 47 min

Curiel du fait de son passé de militant anticolonaloiste et maitre en clandestinité introduisit des méthodes d’action plus adaptées que celles pratiquées par l’équipe Jeanson:ainsi des transferts d’argent via les services bancaires et la présence à ses cotés de personnes aguerries .

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