Justin Daudet : le dernier bourreau de Serkadji. PARTIE 1 : l’identification

« Entre autres actions envisagées pour marquer notre omniprésence active après la grève de huit jours, la mort de Justin Daudet, demeurait de loin, la plus emblématique. Adjoint de Fernand Meyssonnier, et issu d’une secte de bourreaux, dont les membres avaient tranché des dizaine de têtes en France et dans les colonies, avant de s’attaquer aux royales « caboches » de Louis XVI et de son épouse Marie-Antoinette.

Justin Daudet figurait donc, dans nos tablettes de personnes à abattre. C’était le bourreau d’Alger, l’exécuteur des « hautes œuvres » à la prison de Serkadji (Barberousse). C’était à lui qu’il revenait d’exécuter à la guillotine, les peines infamantes. Il fallait donc qu’il trépasse, qu’il expie ses crimes commis au nom d’une tradition française archaïque.

Il était donc établi pour nous, que Justin Daudet était un monstre. On l’imaginait froid, secret, tuant aisément et sans remords… Il n’en fallut pas plus, pour nous décider à passer à l’acte; Mais encore fallait-il l’identifier, le percer à jour, le localiser, car comme toutes bêtes sauvages, Daudet, se cachait pour vire!

C’est Marcel, un algérien originaire de Kabylie, qui nous délivra de son anonymat. Marcel le kabyle tenait un restaurant chic, « La petite taverne », qui était situé rue de Tanger, au centre ville. La petite taverne se trouvait à proximité de « l’Eden Bar », un lieu tenu par le non moins fameux Justin Daudet. Alors forcément, ces deux là se fréquentent. Les relations de bon voisinage sont une tradition que l’on observe scrupuleusement. on se rend visite réciproquement, il faut dire qu’entre cabaretiers, on ne transige pas avec les bonnes manières.

Marcel était très estimé dans le quartier. Les Européens l’ayant adopté sans réserve, et l’assimilant souvent à un « pied noir » que favorisaient son teint clair, sa dégaine et son élégance de Dandy. Chez Daudet, ou à l’Eden Bar, où l’on se rendait fréquemment, Marcel se sentait comme chez lui. Souvent, on y jouait au poker, et malgré le climat de tension quotidienne, dû à la guerre, l’ambiance était plutôt gaie, et quelques fois joviale. Daudet étant à ses bonnes heures, reconnu comme étant un homme de bonne compagnie, ne dédaignant ni la paillardise, ni le vin.

Ce fut là, à l’Eden Bar, qu’un soir tout à fait ordinaire, Marcel le kabyle, apprit accidentellement, que derrière son affabilité vraie ou affectée, le faciès de son voisin cachait en réalité un tueur, opérant à l’aube dans un secret à peu près total. Il en fut choqué, mais le soir même, Marcel retourna à l’Eden, comme si de rien n’était, pour être définitivement fixé sur Daudet. Il en eut la confirmation : Daudet était bel et bien le guillotineur qu’on recherchait assidûment, celui-la même qui avait tué quelques uns, de nos plus vaillants combattants, dont Ahmed Zabana, pour n’en citer qu’un.

Comment l’avait-il percé à jour? Par chance, pourrait-on dire, mais aussi parce-que Marcel le kabyle, ne se départait jamais de l’acuité de ses sens. Toujours en éveil, il avait remarqué que Daudet n’était jamais lui-même lorsqu’il revenait à l’aube à l’Eden Bar. Les fugues du cabaretier n’étaient pas régulières certes, mais lorsqu’elles avaient lieu, le comportement de Daudet changeait… En présence de Marcel, il tentait de ne pas se laisser trahir par un geste, ou une parole concernant ses forfaits, mais Marcel était soupçonneux de nature. Joueur de poker à ses heures perdues, il lui arrivait de veiller jusqu’à l’aube, et même au-delà; c’est ainsi qu’il pu remarquer les absences de Daudet.

Marcel avait attribué dans un premier temps, les va-et-vient de son voisin à des escapades amoureuses, mais le temps passant, il comprit que Daudet n’était pas particulièrement porté sur la bagatelle, mais plutôt sur la bouteille et le jeu. Restait une chose alors! l’appartenance probable de Daudet à l’un de ces réseau anti-terroriste, comme il en naissait tous les jours dans le grand Alger. 

Après sa réflexion, il exclut cette idée, préférant imaginer son voisin de profession, naviguant dans des eaux plus boueuses encore. Et ce fut donc par pur hasard que, juste lors de l’un de ses retours nocturnes, Marcel, découvrit que Daudet jouait un jeu bien plus dangereux que ce qu’il avait imaginé jusque-là. En effet ce soir-là, juste après avoir repris sa place à la table de poker, Daudet annonça un jeu alors même que la partie n’avait enregistré aucune enchère.  Intrigué, Marcel en conçu des soupçons, il ne comprenait pas qu’il put y avoir de l’embrouille entre les habitués. Et finalement, interloqué il comprit qu’il s’agissait de bien pire. L’annonce d’un brelan, d’un full ou d’une paire n’avait rien à voir avec les enchères du poker, mais que c’était un message codé, censé révéler à l’insu de Marcel, le nombre d’algériens auxquels Daudet venait de couper la tête (Un brelan : trois tête, pare : deux etc)…  A SUIVRE 

 

Par Yacef Saadi, chef de la zone autonome d’Alger, « souvenirs de la bataille d’Alger ».

  1. Illustration : Exécution à la guillotine d’Arezki El Bachir, en 1895, à Alger

 

 

 

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