« Les jeux, tels qu’on les pratiquait en Kabylie, ne correspondaient jamais à ceux dont on parlait dans les livres d’enfants édités en Métropole.
Ici, une ligne gravée sur le sol indiquait le lieu à ne pas dépasser pour les lancers ou les tirs. Un mètre plus loin, un trou hémisphérique de la taille d’une petite pomme était creusé. Juste à côté, l’empreinte creuse d’une bille servirait à poser la bille gagée, que les adversaires convoitaient. Comme au golf, le trou était le but. On avait le loisir de s’en approcher en plusieurs coups, mais les autres pouvaient, comme à la pétanque, faire un carreau et chasser les billes trop proches. Le tir, violent, se faisait après avoir logé la bille dans le creux de l’index replié, en déclenchant le pouce avec force, coincé jusque là derrière le majeur. Pour s’approcher du trou, le même geste était pratiqué, mais tout en douceur. Il fallait, pour atteindre une certaine précision, et aussi parce que c’était la règle, appuyer le dos de la main sur le sol pour lancer ou tirer. Ce qui se traduisait, à la fin de la “saison des billes“ par de vilains cals sur les articulations des doigts, qui allaient mettre quelques semaines à disparaître. Les billes utilisées étaient de pauvres petites sphères brillantes d’usage, faites de ciment, dépareillées, rescapées des années précédentes, et souvent héritées du grand frère. Chaque enfant en possédait 3 ou 4, et n’en perdait ni n’en gagnait. La victoire serait une satisfaction toute morale, la défaite, une contrariété vite oubliée.
Saute-mouton
Ce jeu ne pouvait se pratiquer en saison sèche, comme nous allons le voir. C’était en gros, un concours du saut le plus long. De chaque côté de celui qui jouait le rôle du “mouton“, étaient tracés au sol une série de traits de plus en plus éloignés, et symétriques, qui allaient servir à définir la longueur imposée du saut. On commence par arracher deux touffes d’herbe qui viennent avec les racines et un bloc de terre humide. D’où l’impossibilité de pratiquer ce jeu en saison sèche ! Ces amas d’herbes et de terre serviront à signaler les traits-repères. On commence par les disposer, de part et d’autre, sur le trait le plus proche du “mouton“. Les enfants réalisent le saut, en respectant les touffes d’herbe collées sur les traits. Lorsque tout le monde a sauté, on déplace les mottes sur les traits un peu plus éloignés, et ainsi de suite. Arrive le moment où le pied d’appel ou celui de la réception écrase la motte, ou la franchit. On devine que le coupable de cette maladresse va devenir de facto le nouveau “mouton“, sentence acceptée sans discussion, mais considérée comme une sévère punition. Contrairement à son apparente simplicité, ce jeu déclenche sa dose d’adrénaline, car les sauts les plus longs, réussis ou non, constituent chaque fois un petit exploit sportif. Ne parlons pas de la traîtrise éventuelle du “mouton“ vicieux qui ose se dérober, ou faire mine de trébucher au moment crucial, envoyant le sauteur embrasser le sol boueux
Les osselets
Je ne sais pourquoi, à Mechtras, un jeu se rapprochant de celui des osselets ne se pratiquait qu’avec de petits cailloux. Pourtant la matière première ne devait pas être difficile à trouver, ni cher à acheter. Des osselets de mouton, quoi de plus banal ? Bref, ici, on jouait aux “5 cailloux“. Il fallait trouver 5 cailloux de la taille d’une cerise, les plus réguliers, les plus proches de la sphère ou d’un cube aux angles arrondis. Ces petites pierres venaient parfois d’une cachette personnelle, et leur aspect luisant montrait qu’elles avaient déjà bien servi à la saison précédente. Le jeu consistait à lancer une des pierres vers le haut et pendant sa course, ramasser les autres une à une, par 2, par une et 3 ou les 4 à la fois dans un geste rapide de ratissage, puis de recueillir dans la même main la pierre qui retombait. Un “jeu de filles“, qui, sans doute, se pratiquait à l’abri par temps de froidure, ou peut-être à l’ombre d’un figuier pendant la canicule…
Tire-boulettes
Il y avait une période où nous fabriquions des lance-pierres. Il fallait une fourche provenant d’un rameau fourchu d’olivier, que l’on avait pris soin d’attacher dans la position nécessaire pour qu’elle prenne la forme d’un diapason, ceci plusieurs semaines avant de la séparer de l’arbre.
Puis, des lanières de caoutchouc découpées dans une vielle chambre à air en latex. Ce caoutchouc naturel, de couleur claire était doté d’une remarquable élasticité, à l’inverse de la matière noire utilisée aujourd’hui. La poche pour la pierre était faite de cuir fin. L’efficacité de ces engins était étonnante et certains enfants s’en servaient régulièrement pour tuer de petits oiseaux, qu’ils allaient manger.
Synthèse
Extrait d’un article publié sur le site du centre de documentation historique sur l’Algérie. Cdha.fr
Dominique Ottavi, « Les jeux en Kabylie et autres coutumes populaires, 1935-1945», inspiré de son livres « Les couleurs de l’Atlas ».
Source image à la une : Enfants kabyle- Photo prise par un soldat français – Période coloniale
Image intérieur : carte postale timbrée à la poste le 16/02/1907 -Colorisée par Omar El Ankaoui