Harz Mordjana : le talisman d’amour – partie 1 – El harz

Le talisman est né avec la superstition, et celle-ci est inséparable du genre humain; tous les peuples ont une certaine croyance mystérieuse à ce qu’ils ne peuvent comprendre, et se font des reliques avec les objets qu’ils croient bénits au contact de ce qu’ils vénèrent.(Octave Depont et Xavier Coppolanie,Les confréries religieuses musulmanes, Alger, 1897)

La tradition populaire garde le souvenir du Harz Mordjana, un mystérieux talisman magique qui rendrait fou d’amour l’homme désiré. Mais quelle est son histoire?

Un harz, c’est quoi?

En islam, il existe deux sortes de magie ; la magie blanche (char’iya),  et la magie noire (s’hour).  La magie blanche est assez bien tolérée, car elle utilise seulement les mots sacrés de la religion pour se protéger du mal. La magie noire, par contre, est mal vue, car elle fait appel aux djiins, dans le but de faire du mal à autrui. Le harz Mordjana fait partie de la magie blanche. Mais c’est quoi un harz?

Le harz* (ou hidjâb) est le nom donné aux talismans écrits en magie musulmane. Autrefois très utilisés, les hrouz (au pluriel) étaient vendus par les talebs et ils étaient la solution à vraiment tous les soucis. Éloigner les maladies des hommes et des bêtes, guérir du mauvais sort, réussir à approcher les puissants, ou se faire aimer d’une personne. On portait ces hrouz dans les cheveux ou autour du cou, dans une petite boite de fer blanc ou d’argent (boites à amulettes, sous forme carrée, triangulaire ou cylindrique) ou dans un sachet en cuir, jaune ou rouge, souvent orné d’or et de velours. Ces talismans renfermaient des écritures (ktab), qui devaient être tracées avec une encre locale, le soumagh (laine carbonisée délayée dans de l’eau). Les formules magico-religieuses étaient le plus souvent écrite sur du papier, mais il était fréquent aussi d’employer d’autres matières ; comme la peau de gazelle, l’argile, ou de les graver sur des feuilles de cuivre, de plomb ou d’argent.

Un talisman écrit se compose généralement d’un long texte d’invocations (douaa), suivi d’une figure géométrique (djedouel) agrémenté des 7 signes symboliques (sab’a khwatim*). 

Le corps du texte était constitué de très longues prières répétitives (et parfois poétiques et rythmées) invoquant l’aide et la protection de Dieu, des prophètes et des compagnons, des anges, ainsi que des versets du coran ou des évangiles, sur plusieurs longues pages. A la suite du texte, certains de ces mots sacrés étaient choisis, repris et décomposés en lettres et dispersés dans des figures géométriques (carrés, cercles, rectangles, polygones). Ces lettres pouvaient aussi être remplacées par leurs chiffres correspondants. Ce qui donnait de beaux dessins « mystiques » appelés djedouel (tableaux), qui étaient agrémentées de signes symboliques (sab’a khwatim).

 

« Seb’a Khwatim » (Les 7 signes). Ces sab’a khwatim renfermeraient des versets de la Thora (Pentateuque), de l’Évangile et du Coran, et auraient des propriétés merveilleuses selon Ahmad Al Buni, mystique soufi du 13ème siècle, originaire de la ville d’Annaba (Buna) et grand spécialiste en numérologie religieuse. La dernière de ces formes est le pentacle (moukhames ou encore khâtem Souleïman). Il était extrêmement populaire dans toute l’Afrique, porté en amulette, dessiné sur les portes des demeures ; ou adopté comme cachet.

 

Kahina Oussaid-Chihani

Notes :

*La racine hrzveut dire « préserver » en arabe.

*Le mot khâtem, en magie, veut dire « signe » et désigne les divers dessins auxquels on attribue un pouvoir surnaturel.

Références :

  1. Mohamed El Fassi, manuscrit arabe 1663-1664, conservé à la BibliothèqueNationale de France (BNF), fond domaine public consultable sur Internet https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b110021914/f28.item 
  2. Manuscrit « Harz Mordjana » peut être consulté à l’université d’Adrar, portail national des manuscrits : https://pam.univ-adrar.dz/home/ 
  3. Manuscrit Harz Mordjana, bibliothèque Abdelaziz El Saoud, Casablanca, Maroc 
  4. Octave Depont et Xavier Coppolanie, Les confréries religieuses musulmanes, Alger, 1897 
  5. Edmond Doutté, Magie en Afrique du nord, 1909 
  6. Tuchmann, in Mélusine (Mélusine : revue de mythologie, littérature populaire, traditions et usages), IX, 1898-1899, p. 128
  7. Gene W. Heck, Rowman & Littlefield, When Worlds Collide: Exploring the Ideological and Political Foundations of the Clash of Civilizations, 2007, 261 pages 
  8. Mohamed Ibn El Hajaj el Tilimssani, Choumous el anwar wel asrar el koubra 
  9. Ahmed Al Buni, Shams el Maarif 
  10. Mohand Akli Haddadou, L’origine du prénom Mordjana, Liberté, 24/07/2014 
  11. Lafferière, Catalogue descriptif illustré des  principaux ouvrages d’or et d’argent de fabrication algérienne, 1900 
  12. Paul Eudel, L’orfévrerie algérienne et tunisienne, 1902 
  13. Chronique du pseudo-Turpin et la chanson de Roland 
  14. https://www.quaibranly.fr/fr/explorer-les-collections
  15. H. Camps-Fabrer et M. Morin-Barde, « Amulette », in Encyclopédie berbère, 4 | Alger – Amzwar [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 07 décembre 2018. URL : https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2487 
  16. Illustration : Première page d’un manuscrit sur Harz Mordjana (Harz mordjana w houwa ism jallil), Université Leipzig, Allemagne

 

Articles similaires

Le ravisseur des épousées – Khattaf el-‘arayes

Conte – Les six filles du djinn et la reine des eaux

Conte l’oiseau d’or – Partie 5 – A la conquête de l’oiseau d’or

1 Comment

Samir La Brocante 12 janvier 2019 - 15 h 43 min

Ou est la deuxieme partie. Merci.

Add Comment