Extrait revue Babzman 6 – Salim Halali, le crooner maghrébin

Portait de Salim Halali par Badia Vilato – Pathé

Chanteur, joueur d’oud et virtuose de la derbouka, il était la plus belle voix masculine arabe d’après-guerre, selon Mahieddine Bachtarzi. Nord-africain, juif, laïc, homosexuel,propriétaire de cabarets, fêtard invétéré, Salim Halali était un personnage haut en couleurs du music-hall oriental. Dans sa vie romanesque, il brassa une grande fortune et finit ses jours dans l’anonymat. 

De son vrai nom Simon Halali, Salim est né le 30 juillet 1920 à Annaba, dans une famille pauvre, qu’il décrit comme «judéo-berbère» de Souk Ahras. Son père était boulanger et Salim grandira entouré de neuf frères et sœurs. En 1934, il tente sa chance pour la France et réussit à s’embarquer pour Marseille, dans un bateau transportant des moutons. Quelques années plus tard, vers 1937, il «monte à Paris», à une époque où les cabarets orientaux et les «mille et une nuits» font rêver. Il est beau, chante fantastiquement bien et commence très vite à se faire connaître, d’abord au Club, un haut lieu du flamenco près de la place de Clichy.

Ses débuts

C’est à cette période qu’il fait la connaissance d’artistes algériens de renom comme Mahieddine Bachtarzi (producteur, acteur et ténor), Mohamed El-Kamel (auteur compositeur interprète)et Mohand Iguerbouchène (compositeur). Ils lanceront alors Simon Halali qui prend le nom de scène de «Salim» et chante en arabe. Mohamed El-Kamel lui écrit ses premières chansons, aux influences espagnoles, comme Andaloussia (J’aime une fille andalouse), Sevillane, Ritt ezzine (J’ai vu la beauté) et El’âachq s’ïb (La passion est difficile). Ses envolées arabo-andalouses folkloriques, mêlées de flamenco, font leur effet. Il enchaînera alors les disques et les chansons. Ta’âli (Viens), Ardjaâ la bladek (Reviens dans ton pays) et El-Qalb chahik (Le cœur te désire). Et une cinquantaine de titres composés par Mohand Iguerbouchène suivront.

Salim Halali chante aussi bien de nouveaux textes que des reprises du terroir maghrébin, comme Mounira, Nadira, Bine el barah we lyoum (Entre hier et aujourd’hui), Al-aïn zarga (L’œil bleu), Mahenni zine (La beauté m’a troublé), Habibti samra (Ma brune bien-aimée) et Sidi hbibi… Sa musique rythme les «nuits orientales» parisiennes et trouve aussi un public de l’autre côté de la Méditerranée, au Maghreb, où il devient la coqueluche des radios d’Alger, Tunis et Rabat qui passent, en boucle, ses morceaux. Comme Salim Halali maîtrise parfaitement tous les accents, algérien, tunisien et marocain, ses disques connaissent un succès fulgurant dans toute l’Afrique du Nord et les ventes atteignent des records. En 1938, Mahieddine Bachtarzi l’enrôle dans la troupe El-Moutribiya (d’Edmond Yafil) pour une grande tournée à travers l’Europe. Il a tout juste18 ans.

Paris sous Vichy

Puis le cours de l’Histoire change brusquement, la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, et Paris se retrouve sous le régime collaborationniste de Vichy. Salim vit dans le quartier juif du Marais avec sa jeune sœur Berthe-Beya. Ils sont dangereusement concernés par les rafles antijuives des nazis. Très peu de données existent sur la famille du chanteur, mais tout ce que l’on sait est que, malheureusement, en 1943, sa sœur de 17 ans sera arrêtée et déportée à Auschwitz avec son jeune bébé. Salim, lui, réussit à échapper à la traque nazie grâce au fondateur et premier recteur de la Grande Mosquée de Paris, Kaddour Benghebrit. Ce dernier parvient à dissimuler les origines juives de Salim Halali en lui fournissant une attestation de musulman et en gravant le nom de son défunt père sur une tombe anonyme du cimetière musulman de Bobigny (Seine Saint-Denis). Kaddour Benghebrit engage aussi Salim au café-maure de la mosquée où il se produit avec de grands musiciens tunisiens tels le oudiste Ali Sriti et le joueur de cithare (qanûn) Ibrahim Salah.(En 2011, le film franco-marocain Les Hommes libres propose une vision romancée de cette période de la vie de Salim Halali).

Ses cabarets

Après la guerre, en 1947, Salim Halali lance son propre cabaret, Ismaïlia Folies, dans un hôtel chic de la luxueuse avenue Montaigne, près des Champs-Elysées. Et en 1948, Le Sérail, dans le même quartier. Mais la concurrence est rude en ces dernières années du music-hall. En effet, le cinéma, la radio et le gramophone se développent, et les cabarets connaissent un déclin important. Et peut-être car ses affaires ne marchent pas, il décide de s’installer au Maroc en 1949 avec son compagnon Pierre. A Casablanca, il démarre un autre projet de cabaret, en rachetant un vieux café qu’il transforme en un prestigieux lieu nocturne, le Coq d’Or, aux six salons décorés de draperies tissées d’or et de meubles Louis XV.

Salim Halali a un faible pour le luxe et le faste, ce qui le ruinera plus tard. Mais pour l’instant, son cabaret a du succès, il est fréquenté par les plus riches familles du pays, des princes arabes s’invitent à sa table et on dit même qu’il a chanté pour le mariage de la fille du roi. Au Coq d’Or, il fait connaître des artistes marocains comme Salem Djilali (Jimmy), Haja El-Hamdaouia, Latifa Amal, Omar Tantaoui… Et s’y produisent beaucoup d’artistes prestigieux comme la Tunisienne Chafia Rochdi, les judéo-algériens Line Monty, Blond Blond, Lili Boniche et même Warda Al-Jazairia.Mais après une décennie de folles soirées musicales, le Coq d’Or est détruit dans un mystérieux incendie au début des années 1960. Dépité, Salim Halali revient alors en France, à Cannes. Il s’achète une luxueuse villa, s’entoure de ses œuvres d’arts précieuses et devient antiquaire sur la Croisette.

Carrière en français

Après une longue période d’absence, Salim Halali revient sur la scène musicale dans les années 1970. La guerre d’Algérie est finie, et de nombreux pieds-noirs se retrouvent en France. Il donne alors un autre tournant à sa carrière,en sortant son premier disque…en français. Ses textes sont nostalgiques et il chante l’ambiance complexe de cette époque : «C’est comme les taureaux, Que l’on marque au fer rouge, Eux n’ont jamais dit mot, On les parque, on les bouge, Et les malentendus qui font jaillir les guerres, Quand Dieu a disparu, à chacun sa prière.» Avec cenouveau style de variété française aux sonorités judéo-arabe, il fait salle comble à Paris. Le chanteur de cinquante ans continue aussi d’animer les mariages de grandes familles riches et à faire de somptueuses «arab nights». Mais il dépense trop. Il élève deux tigres dans son jardin et ramène même un éléphant, le temps d’une soirée, pour émerveiller ses hôtes. Il finance également deux studios d’enregistrement. Salim Halali poursuit ainsi cette vie sans compter, jusqu’en 1992-1993, date à laquelle il doit finalement brader sa magnifique villa cannoise. Il finira ses jours dans une maison de retraite, dans l’anonymat le plus complet, jusqu’à son décès en juin 2005. Selon ses derniers vœux, ses cendres ont été dispersées à Nice, face à la mer, pour lui qui se décrivait comme méditerranéen.

Kahina Oussaid – Chihani

Références 

-https://www.telerama.fr/musiques/tresors-de-la-chanson-judeo-arabe,53126.php

-Bibliothèque nationale de France http://data.bnf.fr

-HishamAidi, Rebel Music : Race, Empire, and the New Muslim Youth Culture, Random House, 2014. 

-Arch. AN-F/9/5735 et 5748 fiches d’internement extraites du fichier du camp de Drancy,Valaix, née Halali (Berthe, Beïa) le 16 décembre 1926 à Bône (Algérie), est décédée le 7 septembre 1943 à Auschwitz ; son fils, Claude André Valaix, né le 21 février 1943 à Paris (XVe), est décédé, près de trois semaines plus tard, le 30 septembre 1943, dans le même camp d’extermination.

– Jean Laloum, Cinéma et histoire. La mosquée de Paris et les Juifs sous l’Occupation, Archives juives,‎ 2012.

-Aderet, Ofer (23 March 2012). The Great Mosque of Paris that Saved Jews during the Holocaust.Haaretz.Retrieved 28 January 2016.

-BarletOlivier (2016). Contemporary African Cinema.Michigan State University Press.

-E-book sur la chanson au Maghreb, p. 81 consacrée à Salim Halalihttp://marocculturel.com/ebooks/Livre-Ameskane.pdf

-Bouziane Daoudi, Hadj Miliani,Beurs’ mélodies:cent ans de chansons immigrées maghrébines en France, Séguier, 2003.

Image à la une : Salim Hallali 1944. Archives Ministère de la Culture France. Fonds Harcourt.

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