Contribution : LA DEVASTATION DU CIRQUE DE CAESAREA, OU LA RENONCIATION A NOTRE MÉMOIRE

Le cirque de Cherchell est un monument antique situé à Chercell  (de son nom antique : Caesarea).  Les ruines du monument sont situées dans le domaine Kaddour, en contrebas du cimetière musulman. L’ouvrage reste le seul exemplaire de cirque antique encore visible en Algérie.
Le Cirque de Cherchell, état des lieux, par Farid Ghili 
« Pour visiter les ruines du cirque voisin du cimetière arabe, il faut monter à droite de la caserne et sortir par la porte de Miliana. On fait une centaine de pas sur la route, puis on prend, à droite, un sentier bordé d’aloès et de cyprès, que l’on suit pendant environ trois minutes.  Le cirque, qui a plus de quatre cents mètres de longueur, présente la forme d’un rectangle,(410mx80), dont un des petits côtés, le plus rapproché de la ville, est arrondi. Au sud, les gradins s’adossaient aux pentes qui dominaient l’arène ; au nord, au contraire, ils étaient soutenus par des voûtes, maintenant perdues au milieu des ronces et des aloès. L’Afrique était la patrie des meilleurs chevaux de course et des cochers les plus renommés ; les représentations du cirque devaient donc être un grand attrait pour les citoyens de Césarée. Une mosaïque trouvée dans une maison romaine, au-dessus du champ de manœuvres, montre un beau cheval bai, se dirigeant vers un laurier, symbole des victoires qu’il avait remportées, sans doute à Césarée même. »C’est ce qu’on peut encore lire sur le blog « monuments de la wilaya de Tipaza » qui a repris, sans l’actualiser, un texte de Stéphane Gsell, vieux de plus d’un siècle. 
Ce jeudi (10/11/17), j’ai refais ce parcours en compagnie de notre ami cherchellois, Abelkader Bensalah, archéologue et mosaïste. Evidemment le sentier bucolique a été envahi par des constructions en parpaing à l’aspect maussade; la porte de Miliana, n’est plus visible (elle serait à l’intérieur de l’académie militaire) et le chemin bordé de cyprès et d’aloès n’est plus qu’un vague souvenir pour les anciens cherchellois.
On imagine des vestiges de légende, de l’époque berbero-romaine (à croire que Juba II roi de la Maurétanie césarienne qui recouvrait les 3/4 de l’Algerie actuelle , hors sud, n’était pas un de nos ancêtres berbères ), protégés et bien entretenus. Il s’agit après tout d’un patrimoine mémoriel national dont on devrait être fièrs. Mais, la réalité est toute autre. Triste et affligeante. Face à l’indifférence des autorités qui se réfugient derrière d’accommodantes allégations procédurières, de la population qui refoule sa conscience mémorielle en feignant d’ignorer que CAESAREA repose sur un trésor archéologique unique en Algérie, la lente et méthodique renonciation d’une population démissionnaire n’aura pour témoin qu’une femme digne représentante de cette cité royale.
Cette femme c’est Assia Djebbar. cette éminente dame de Cherchell, fière de sa ville, assiste douloureusement, du cimetière voisin où elle était censée se reposer, à la dévastation programmée du plus grand cirque de l’antiquité, en Afrique du Nord. Le témoignage qui va suivre, de notre ami Abdelkader Bensalah, un archéologue originaire de Cherchell, confirme si besoin est, que le mauvais traitement infligé au patrimoine archéologique et historique de l’Algérie, jusqu’à sa quasi disparition, en raison de l’absence de mesures préventives de sauvegarde, est d’une banalité désespérante
« Tout a commencé il y a environ 4 ans », », se souvient avec déplaisir, Kader BENSALAH , «lorsqu’un habitant qui avait bénéficié d’un chalet suite au séisme de 1980 avait décidé d’agrandir son « domaine » en construisant une bâtisse de deux étages, en empiétant sur les contreforts des gradins (caveas) nord du cirque »
« La direction de la culture a été avisée et Mr Zebda s’est déplacé sur les lieux, accompagné des éléments de la brigade du patrimoine du Darak el Watani. Selon lui, il ne pourra rien faire, du moment que le monument n’est pas classé (alors que non seulement il l’ est, mais il est également porté sur le PPVSMH”, assure notre témoin). “Quand les autres habitants mitoyens ont vu ce laisser aller et le règne de l’impunité, ils se sont rués sur ce qui reste du site», poursuit manifestement dépité, notre archéologue mosaiste. “Certains ont ramené des bulls, pour casser les bases des voûtes qui soutenaient les gradins nord, d’autres ont élevé des murs de la honte, pour cacher leurs méfaits “
« Aujourd’hui il y a une quinzaine de bâtisses illicites qui ont été érigées, toujours dans l’impunité absolue (sans titre de propriété ni permis de construire). Le P.APC a été avisé, il a envoyé une brigade pour un constat. En vain. Pis, elles se sont étrangement multipliées, depuis » se plaint notre interlocuteur . Apparemment tout comme le cirque de Sitifis (rasé par un irresponsable décideur de l’époque pour construire le fameux parc d’attractions), c’est désormais au tour de celui de Caesarea de subir le même sort, au vu et au su de tous.
« Demain il ne faudrait pas dire nous ne savions pas (je m ‘adresse plus particulièrement aux archéologues et aux gens qui ont à cœur de défendre le patrimoine) » conclut amer, notre lanceur d’alerte, en pressant le pas pour éviter de se faire écraser par l’une des nombreuses voitures école, qui ont fait de ce site un circuit d’auto -école. Un moindre mal.Tout comme le cimetière situé sur les cotés Sud et Ouest du cirque.
En quittant cette pollution, une pensée me vint à l’esprit. Ces apprentis pilotes auto, se doutent-ils que sur ce même terrain vague, il y a 20 siècles, d’émérites pilotes conduisaient des chars au péril de leur vie ?

Farid Ghili 

  • photos de couverture tirée du guide de Cherchell (P.Leveau, N. Benseddik, S.Ferdi) prêté par Maamar Sefta photos couleurs ( F. Ghili)

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