Conte – Min mratou !

Dans deux maisons qui se faisaient face, vivaient deux ménages. Les maris exerçaient chacun un métier éprouvant pour subvenir aux besoins de leur maisonnée. L’un était charbonnier et l’autre bûcheron.

Mais la différence d’apparence des deux logis était frappante. Autant l’un était bien tenu, rutilent, ordonné et avenant autant l’autre était sale, délabré, pauvre et désordonné. Les maris aussi, avaient une apparence qui forçait la comparaison: autant l’un était net et portait des habits propre, raccommodés autant l’autre était toujours sale et déguenillé. Quant aux épouses, on voyait l’une toujours à l’ouvrage alors que l’autre s’adonnait à une oisiveté patente.

Un jour, le charbonnier dit à son épouse :
 
-« Notre voisin me fait de la peine ! Son état est lamentable ! « 
 
-« Min mratou ! (De sa femme), lui répondit alors, sa femme. »
 
Chaque fois que le mari s’apitoyait sur le sort de son voisin, sa femme lui répliquait par la même expression. Un jour, il lui demanda de lui expliquer ce qu’elle entendait par cette formule. Mais les explications qu’elle donna firent rire le mari qui interpréta cela comme une rivalité entre voisines.
Le charbonnier fit fortune et devint un riche marchand. Il pensait que c’était ses seuls efforts qui l’avaient conduit à cette réussite. Il n’hésita pas à répudier son épouse pour en avoir une autre. Le bûcheron, lui, ployait sous la misère. Sa femme le quitta un jour, l’accusant d’incapacité.
 
Un jour, alors qu’il revenait de la forêt avec un fagot de bois sur le dos, il trouva une femme chez lui, qui lui dit:
 
– » Épouse-moi et ensemble nous vaincrons la misère. « 
 
Le bûcheron accepta et le soir même la femme qui n’était autre que la voisine répudiée, déballa le fagot de bois et le débita en petite bûchettes.
 
– » Que fait-tu là femme ? Demanda le bûcheron. « 
 
– » Ce bois est rare et précieux, c’est du ‘Oud kméri très recherché. Il ne se vend pas par fagot mais par petites branches. Va au palais du roi et propose leur ton bois. « 
 
L’homme, emplit sa besace de bûchettes de ‘oud kméri et se présenta au palais. Il vendit tout ce qu’il avait et reçu de grosses commandes qu’il honora immédiatement. Son commerce se développa et le bûcheron devint un riche négociant en ‘oud kméri. Il voulut quitter sa misérable chaumière pour une autre demeure plus riche, mais la femme lui conseilla d’élever son château sur les lieux-mêmes de son ancienne demeure.
 
Un jour, le voisin d’en face vint trouver le bûcheron :
 
 » Comment as-tu fait pour devenir aussi riche, toi qui ne trouvais pas de quoi acheter le pain quotidien ?  »
 
Une voix de l’intérieur lui répondit alors :
 
–  » Min mratou ! « 
 
L’homme reconnut la formule et dut s’incliner devant la sagesse de son ancienne épouse.
 
Source: Contes du terroir Algérien – Editions Dalimen.
 
Illustration:  Léon Carré 

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