Ce lundi du 5 avril 1949, à 7h45, le centre de la ville d’Oran commence à peine à s’animer, lorsqu’une Citroën noire se gare devant le bâtiment de la poste, encore fermée, à l’exception du service du télégraphe. Dans le véhicule se trouvent six hommes habillés en complets, cravates et chapeaux mous.
Le chauffeur est le premier à quitter la traction avant. Il se précipite vers la poste du côté de la permanence du télégraphe et demande à l’employé du bureau d’envoyer en urgence un câble en anglais, prétexte pour l’occuper. Le postier qui maitrise mal la langue est donc occuper à trouver les bons mots pour une immense commande de tissus à une entreprise de Manchester, lorsque trois des passagers de la Citroën pénètre à leur tour dans le bâtiment. Armés de pistolets et d’une mitraillette, ils passent discrètement, mais très vite, devant le guichet et se dirigent plus loin, vers la troisième porte du couloir. Précisément dans la salle du coffre-fort. La poste n’étant pas encore ouverte au public, seules deux femmes de ménages s’activent sur les lieux et ne se préoccupent pas des trois individus.
Les assaillants sont très bien renseignés. Ils savent que ce 5 avril, comme tous les premiers lundis de chaque mois, la poste oranaise récupère de grandes sommes d’argent en provenance de tout le département, étant la plus importante de la région. « Elle est chargée de centraliser les espèces de tous les bureaux avant de les redistribuer là où c’est nécessaire », écrivent Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune.
Ainsi, les trois hommes armés pénètrent dans la petite salle grillagée où l’argent est gardé en dépôt. Deux employés, un jeune et un vieux, sont occupés à compter des billets autour d’une table. Lorsque ces derniers aperçoivent les arrivants dont l’un hurle «Haut les mains ! Personne ne bouge !», le plus âgé s’évanouit, alors que le plus jeune crie : «Au voleur ! À l’aide !». Il sera assommé d’un coup de crosse.
L’alerte donnée, les trois hommes comprennent qu’ils ont très peu de temps pour agir. Et comme il leur est impossible d’avoir la combinaison du coffre, ils se contentent de ramasser les liasses de billets accessibles. «Ils remplissent tant bien que mal des sacs mais aussi, dans l’affolement, leurs poches et même, pour l’un d’entre eux, l’espace entre sa peau et sa chemise », racontent Stora et Rochebrune.
Les deux hommes restés en couverture accourent pour tenir en joue le personnel de la poste et permettre aux autres de terminer leur action. Quant au chauffeur, il abandonne le guichet du télégraphe et ressort vers le véhicule. Il met en marche le moteur et ouvre grand les portières en attendant les autres hommes.
«Quand les auteurs du hold-up sortent du bâtiment de la poste, ils constatent que l’agitation n’est pas passée inaperçue à l’extérieur. Les clients des cafés alentour commencent à s’approcher, certains avec des chaises devant le visage en guise de protection dérisoire. Le détenteur de la mitraillette braque la petite foule et fait mine de balayer le trottoir avec son arme. C’est, immédiatement, le sauve-qui-peut. Les hommes armés remontent tous dans la traction avant, qui démarre sur les chapeaux de roues», racontent encore les deux auteurs.
La Citroën prend la route du port, en direction de la plage d’Aïn-el-Turk à l’est de la ville, avec plus de 3 millions de francs de l’époque. La police sera persuadé que le coup est réalisé par un gang venu de Paris se réfugier à Oran. Version qui sera confirmée par le propriétaire du véhicule- kidnappé la veille au soir par les braqueurs- qui affirmera, bien que n’ayant jamais bien vu leurs visages, qu’il s’agissait assurément d’européens.
L’attaque de la poste d’Oran passe, ainsi, pour un fait divers. Pourtant, les braqueurs ne sont pas des malfrats, mais de jeunes nationalistes appartenant à l’Organisation Spéciale, l’OS, le bras armé du PPA-MTLD.
Le hold-up a été préparé plusieurs mois auparavant par l’état-major de l’OS, notamment Ahmed Ben Bella, responsable de l’Oranie et Hocine Aït Ahmed, responsable de la Kabylie, en accord avec Hocine Lahouel et Sid Ali Abdelhamid de la direction du parti. L’objectif de cette action était de constituer un trésor pour l’OS, l’argent étant le nerf de la guerre, car l’action insurrectionnelle était prévue pour au plus tard la semaine des élections. L’OS avait besoin d’argent d’autant que l’organisation révolutionnaire clandestine devait se débrouiller elle-même pour se procurer les armes, subvenir aux réguliers et aux recherchés ; les militants versaient jusqu’à 500 francs de cotisation par mois, achetaient leurs propres armes mais les recettes étaient insuffisantes », écrit Mahfoud Kaddache qui explique que la police ne connaitre le caractère politique de l’opération qu’après l’arrestation de l’un des membres de l’OS.
Synthèse Babzman
Sources :
- Renaud de Rochebrune & Benjamin Stora : «La Guerre d’Algérie vue par les Algériens. 1. Le Temps des armes (Des origines à la bataille d’Alger)». Edition Denoël, 2011
- Mahfoud Kaddache : «Histoire du nationalisme algérien. Tome II. 1939-1951 ». Edition Paris Méditerranée et EDIF 2000, 2003