Cela s’est passé un 1er avril 1831

Il y a 183 ans, on ordonnait de démolir la plus belle mosquée d’Alger, Djamaa Essayida, attenante au palais du dey, la Djenina. Les travaux de démolition ont démarré le 1er avril 1831. La France occupait l’Algérie, et n’était pas encore sûre de rester… Pourtant, le mal s’enracinait déjà.

Le 17 mars dernier, des vestiges archéologiques ont été mis au jour dans le site de fouilles préventives sous l’actuelle Place des Martyrs, emplacement de la future station-musée du métro d’Alger. Il s’agit, entre autre, des restes démolis de la salle de prière, la cour intérieure et la base du minaret de la mosquée  » Essayida », le sol carrelé de « Beyt el Mal » (Siège de l’administration financière à l’époque ottomane), ainsi que des ateliers de ferronnerie. C’est là une partie du quartier vital de la ville, jusqu’en 1830. Tout l’artisanat et le savoir-faire y était concentré. Jusqu’à la prise d’Alger.

Occupation incertaine et ambitions démesurées

Dès les premières semaines de l’occupation de la ville, le génie militaire français a commencé à construire des routes. Pour se faire, il fallait souvent détruire des zones entières, qu’il s’agisse d’habitations ou de cimetières. Une véritable fièvre qui s’est emparée des conquérants sous Bourmont, se poursuivant sous Clauzel. Pourtant, les français ne savaient pas encore s’il fallait se retirer ou s’il fallait rester et étendre l’occupation à une colonisation. Rien n’était sûr et rien n’était joué encore. Pourtant, sur le terrain, les occupants jouaient aux conquérants. Malgré les promesses faites au lendemain de la prise d’Alger, rien ni personne ne fut respecté.

Dans cette optique de conquérants, les militaires souhaitaient disposer d’un espace pour le rassemblement et les manœuvres des troupes. Mais la ville étant conçue d’une façon traditionnelle, elle n’offrait aucun espace de libre suffisamment étendu. Aménager une place d’armes ne pouvait se faire qu’aux dépens des bâtisses existantes.

Cette zone située au croisement de trois rues principales (rue Bab-el-Oued, rue Bab-Azoun et rue de la Marine) était la plus appropriée, sachant que les forces militaires françaises étaient placées dans la Djenina, le palais du Dey, situé à ce niveau. La construction de cette place et le choix du lieu avait aussi d’autres objectifs. D’abord, elle représentait un point central d’où il était possible de surveiller l’ensemble de la ville. Aussi, par sa taille, la place symboliserait la puissance de la France et confirmerait sa présence au besoin.

Le sacrifice de la plus belle mosquée

Dans Le Miroir, Hamdane Khodja raconte le triste épisode lié à la démolition de Djamaa Essayida. « On fit croire à Clauzel que la mosquée Essayida contenait le trésor du dey. Bientôt, ce général visita pieusement ce lieu religieux ; il allait souvent y faire des prières et des vœux, ouis il décida dans sa sagesse qu’il allait s’en emparer (…) le général Clauzel fit doc fermer les portes de la mosquée, introduisit pendant la nuit des ouvrier et pour procéder à la fouille du trésor prétendu, jusqu’à ce que l’on eut épuisé tous les moyens de recherches et que l’on eut aussi perdu espoir. Pour cacher cette honte, on fit immédiatement démolir cette mosquée, dans laquelle se trouvaient plusieurs colonnes d’un marbre rare et des portails qu’on dit avoir vendus »

Dans un rapport du 22 août 1832 qui résume cette affaire, le lieutenant-colonel Lemercier, Commandant le Génie militaire, indique que les premières démolitions concernaient « de mauvaises baraques à simple rez-de-chaussée… qui servaient de boutiques aux Orfèvres et aux teinturiers juifs ». L’objectif était de faciliter l’accès au palais du Dey. Cependant, le rapport mentionne : « on avait pris soin de respecter les mosquées, afin de ne point blesser les idées religieuses des Maures ». Mais ces premiers travaux ont été arrêtés. Et le 31 octobre, Gallice, commandant du Génie, proposait le premier plan d’aménagement de la place Louis-Philippe, prévoyant la démolition de la mosquée Essayida et même la mosquée de la Pêcherie, sous la baguette de l’architecte Luvini. Ce plan é été accepté par Clausel et entériné par Berthezène. Ce dernier affirmera dans une lettre datée du 14 juillet qu’il donna son approbation trop vite et qu’il n’avait pas examiné le projet attentivement, parce qu’il était préoccupé par le « plus affreux malheur », « en quoi j’eus tort ».

Le 30 mars, Berthezène a alloué à Luviniun terrain de 800m² sur la place du Gouvernement à condition d’abattre la mosquée Essayida. L’objectif était de construire une façade donnant sur la place en réemployant les matériaux de démolition, hormis les marbres.

Les travaux de démolition de la mosquée Essayida commencèrent le 1er avril 1831. Ils seront interrompus du 22 avril au 16 juin pour des considérations de compétition entre le Génie et l’architecte, puis à cause de lenteurs administratives.

Les splendeurs de la mosquée Essayida

Son histoire est assez peu connue. On trouve, aujourd’hui, très peu d’éléments sur sa construction et surtout, sur son auteur. Certains pensent qu’il s’agit d’une dévote musulmane, mais rien n’est moins sûr. On sait par contre qu’elle fut reconstruite au 16ème siècle- assurément après le séisme qui détruisit une partie de la ville- par Mehemmed-Pacha, un dey qui régna 25 ans et mourut de mort naturelle.

Alber Devoulx, dans « Les édifices religieux de l’ancien Alger » reprend le témoignage d’Auguste Lodoyer, ancien membre de la société historique algérienne. Ce dernier explique que l’extérieur de la mosquée était assez banal. Quant à l’intérieur, il reconnait aisément sa splendeur : « une coupole élégante et d’une grande hardiesse de dessin, formait le milieu de l’édifice ; elle reposait sur des bas-côtés soutenus par une vingtaine de grosse colonnes en marbre blanc, les mêmes qui ont servi plus tard à former le péristyle actuel de la grande mosquée de la rue de la Marine, dont la première pierre a été posée en 1837 et en grande pompe, par S.A.R. le duc de Nemours. Ces bas-côtés servaient eux-mêmes, à droite et à gauche, de tribunes réservées pour le Souverain et sa cour. Elles étaient ornées de balustrades finement sculptées et formées par compartiments dont chacun avait une coupole festonnée et découpée en arabesques du meilleur style et du meilleur goût. Des versets du Coran, en grand caractères dorés, formant des cartouches d’un bel effet, étaient écrits de distance en distance autour de la coupole principale ».

Alber Devoulx déduit que le type de la nef carré entourée d’arcades ogivales, inauguré dans la mosquée Bitchin en 1622, avait été adopté pour la reconstruction de Djama Esseyida, mais avec beaucoup plus de goût et de richesse. L’auteur précise aussi que les pièces de marbre (colonnes et autres pièces) utilisées dans la construction à l’époque étaient importées d’Italie.

Albert Devoulx affirme que la mosquée Essayida possédait une dotation modeste malgré son rang. Selon les archives qu’il a trouvé, elle n’a eu que trois donations faites par des pachas « l’une émanant du dey El-Hadj Mohammed ben Mahmoud (1677-1678), l’autre due au pacha Hassan (1681-1682) et enfin, la troisième, provenant des libéralités de Mohammed pacha, restaurateur de l’édifice, et ce ne fut qu’en novembre 1832 que l’on fit tomber le minaret. Il faut noter que ce dernier était resté dix-huit mois debout dominant les ruines de la mosquée.

Mais enlever pierre par pierre, à coup de pioches et de matériaux, cette hauteur compacte de matériaux, parut trop long au gré du chef des travaux. Celui-ci fit donc attacher des cordes au sommet de l’édifice, et au moyen de cabestans, il tentât de l’ébranler et de l’abattre. Mais les cordes cassèrent sous les efforts des travailleurs, et le minaret resta debout », un passant dont le nom est tue sciemment, leur proposa de « saper le minaret par sa base, de remplacer les matériaux, au fur et à mesure que la pioche les enlèveraient, par des supports en bois debout d’un demi mètre de hauteur, et lorsque les trois côtés opposés au palais seraient ainsi minés, d’enduire les bois avec du goudron et autres matières inflammables et d’y mettre le feu, sur tous les points à la fois ». La proposition fut acceptée et exécutée et le minaret tomba d’une seule pièce. Et d’ajouter « sous cette mosquée se trouvait une école qui avait été construite par le Beit El-Maldj Sari Mustapha ben el-Hadji Mohammed, ainsi que cela résulte d’un acte passé devant le cadi hanéfite d’Alger, dans les derniers jours du mois de rabi 2° de l’année 1115 (du 03 au 11 septembre 1703) ».

Le sort connu par cette mosquée n’était qu’un prélude. D’autres édifices religieux subirent le même sort. C’était le début d’une colonisation « certaine » et une fin du monde pour tout un peuple.

 

Zineb Merzouk

Sources :

* « Archéologie : 1500 ans d’histoire d’Alger dévoilés à la Place des Martyrs », APS, 17 mars 2014

* « Les édifices religieux de l’ancien Alger », Alber Devoulx, Alger, Typographie Bastide, 1870. (Extrait de la Revue africaine)

* illustration : croquis de la mosquée en démolition, 1831

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1 Comment

Toufik 6 avril 2014 - 19 h 08 min

Vraiment triste… quel gachi

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