Cela s’est passé un 11 novembre 1887 – Naissance de Rachid Ksentini

Surnommé le « Charlot Arabe » tant il était populaire, il avait ce don de savoir mettre en scène et d’interpréter ce qui préoccupait les petites gens, ces algériens passés au rang de sous citoyens dans leur propre pays. Avec Allalou, il est le promoteur du mouvement théâtral algérien dans les années 1920 et 1930.

De son vrai nom Mohamed Belekhdar, il est né le 11 novembre 1887 à Bouzeréah (Alger). Son père, savetier, est venu très jeune de Constantine à Alger.

Ksentini va à l’école coranique Zenqat-Bou-Okkacha, mais sa scolarité est brève. Il travaille dès son jeune âge en qualité d’ébéniste. En 1909, il épouse sa cousine. Il doit simuler la folie et passer trois mois à l’hôpital psychiatrique de Blida pour obtenir le divorce. La perte de ses deux petites filles, mortes l’une et l’autre à deux ans, son caractère impétueux et sa vitalité juvénile, ainsi que sa passion des voyages font qu’il sillonnera les mers du monde.
Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, il s’engage comme matelot dans la marine marchande et part en France. Le bateau où il embarque est torpillé par les forces navales allemandes. Les rescapés ont été repêchés par la marine anglaise qui les transfère ensuite à Marseille.

Après une année entre Malte et Marseille, il rentre à Alger et trouve son nouveau-né, un garçon de quatre mois. Mais dès 1919, sa passion des voyages le reprend. Il fait les Etats-Unis, l’Indochine, l’Inde, l’Europe. Exerçant plusieurs métiers, il va jusqu’à trainer les touristes dans les rues de Canton, en Chine avec un pousse-pousse. En France, il travaille quelques temps en Normandie. C’est là qu’il se marie avec Marguerite Sévigné. Il emmène sa femme à Paris où il travaille aux ateliers d’ébénisterie des Galeries Lafayette et fréquente les théâtres parisiens où il est engagé comme figurant.
Après six années de vie sédentaire, il retourne à Alger en compagnie de son épouse, en 1926. Son retour coïncide avec la première représentation d’une pièce théâtrale en arabe dialectale, Djeha, de Sellali Ali, dit Allaou et de Brahim Dahmoum, jouée le 12 avril 1926 au Kursaal, à Alger.

Alors qu’il travaille dans une menuiserie à Bab El-Oued, Rachid Ksentini fait ses débuts dans la Zahia, troupe d’Allalou, dans la pièce Zwâdj bouaqlin, en octobre1926. Enivré par son succès, il veut donner des représentations de ses propres créations dans une salle de la rue de La Lyre. Sa pièce El-Ahed elwafi ne remporte pas un grand succès, vu qu’il a éliminé le programme musical qui précédait toute représentation théâtrale à l’époque.

Il revient travailler sous l’égide de la société de musique El-Moutribia, dirigée par Mahieddine Bachetarzi. En 1928, il écrit une pièce qui sera un grand succès, Zwadj Bou-Borma ou La folie de Bou Borma. Dès cette époque, il connaît une jeune comédienne, Marie Soussan, qui devient sa compagne et sa partenaire sur scène. Ils forment un couple artistique jusqu’en 1934. Les sketchs qu’ils jouent ensemble ont beaucoup de succès.

Après avoir abandonné le théâtre, Ksentini tente, sur les conseils d’Allalou, l’expérience de la chanson burlesque où il excelle et réussit à écrire plus de douze chansons par jour.

Son répertoire dans ce genre compte environ 600 chansons, dont une centaine sont enregistrées sur disques.
Instable, il l’est aussi bien dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle. Marié et divorcé, matelot et menuisier, a vécu diverses situations, parcouru de nombreux pays et exercé de nombreux métiers. Toutefois, une chose l’intéresse plus que tout : son art. Il ne quitte jamais le chant et le sketch. Son humour est incisif et ses critiques portent toujours. Il fouette les charlatans de la rue de La Lyre, malmène les nouveaux conseillers municipaux, s’insurge contre les traditions rétrogrades, dénonce les fléaux sociaux, comme l’alcoolisme, parle du chômage qui frappe en premier les Algériens et évoque « le bateau blanc » (Al Babor Al Abiad) qui accoste chaque mois à la baie d’Alger et qui reste, pour le peuple algérien, le symbole vivant de la répression coloniale, de l’exil forcé.

Si le théâtre de Ksentini est populaire, son chant est douloureux malgré l’humour qui lui sert d’enveloppe ou justement à cause de cet humour-là. Et l’homme était vraiment prolétaire comme d’ailleurs le fut tout son peuple à cette époque. Il n’était pas un illuminé, il était clairvoyant. Ce qui faisait dire à l’un de ceux qui l’ont connu de près qu’il était « en avance de 40 ans » sur son temps. L’artiste meurt en solitaire, le 4 août 1944, à Alger (le 2 selon Allalou). Une année plus tard, ce fut le grand soulèvement de mai 1945, la dernière colère avant l’explosion du 1er novembre 1954 et la fin d’une époque.

Z.M

Sources :

  1. « Dictionnaire encyclopédique de l’Algérie », par Achour Cheurfi. Editions ANEP, 2007
    https://www.vitaminedz.com

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