Bimestriel Babzman : Le balai, un outil domestique à la symbolique surnaturelle

Le balai, dont le mot français serait d’origine celte (en arabe mekensa/mesalha) est un instrument domestique. Il n’en est pourtant pas moins un signe de puissance surnaturelle.

Depuis les temps antiques, cet outil, dont la fonction première est de débarrasser les sols des intérieurs et extérieurs des poussières et détritus, représentait bien plus qu’un dispositif ménager. Le balai représente dans diverses cultures la puissance, le symbole magique mais aussi sexuel. Il peut être bénéfique ou maléfique. Le balai, source de légendes, est multiple.

Quelques croyances autour du balai

Le balai, en tant qu’instrument enchanteur, trouve sa place en tant que tel dans les récits de l’Egypte antique relatifs à la magie. Fidèles aux croyances populaires, Pythagore défendait de monter sur un balai. Au cours des fêtes athéniennes dédiées à Dionysos, on laissait de la nourriture pour les ombres et les morts qui étaient par la suite chassés à coup de balai.

Dans les temples anciens, on se servait du balai pour débarrasser le sol de ses souillures venues de l’extérieur (purification temporelle et spirituelle). C’était un service du culte qui ne pouvait être pratiqué que par des mains pures (purification de soi) autrement dit : par les garants du  dogme. 

Le balai sert donc à purifier mais aussi à protéger les lieux. Dans certaines sociétés, son manche était fabriqué en frênepour favoriser son aspect protecteur.

Dans les croyances populaires occidentales du moyen-âge, le balai est l’attribut des sorcières, lesquelles l’enfourchent pour se rendre au sabbat (assemblée nocturnedes sorcières dans le folklore européen), célébré sur une montagne. La sorcellerie étant alors considérée comme maléfique, l’association entre cet usage et le balai aux pouvoirs malfaisants fut très vite faite. On retrouve les traces de cette imagerie encore plus loin dans le temps, dans les mythologies celtiques, nordiques, germaniques, puis romaines et grecques. Par ailleurs, le balai entre les jambes nues des sorcièresest souvent considéré comme symbole phallique. De fait, et par association d’idées, l’on peut considérer que la sorcière chevauchant son balai est une claire manifestation d’une tradition antique (en référence à une coutume antérieureau cours de laquelle les femmes enfourchaient un balai et sautaient sur les champs) visant à favoriser la fertilité de la terre.

Toujours de l’autre côté de la Méditerranée, c’est visiblement l’idée d’une force contenue dans les poils qui prédomine. Ils étaient censés dissiper l’oragelorsqu’ils étaient placés sous les toits. Cette croyance fait référence à une mythologie séculaire selon laquelle la déesse du beau temps chassait les nuages à coup de balai.

Dans la Chine ancienne, il était interdit de laisser un balai dans la chambre des mortscar le défunt risquait de revenir hanter le lieu…

Au Mexique, il existait même unefête du balaiconsacrée à l’antique déesse de la terre Teteo-Innan, qui était censée chasser le malheur et la maladie.

Chez certains peuples d’Afrique subsaharienne, frapper un homme avec un balai le rendrait impuissant. Toujours en Afrique, si l’on veut empêcher un invité indésirable de revenir chez-soi, il suffit de bien balayer, après son départ, la pièce ou l’endroit où il se trouvait lors de sa visite.

Dans les civilisations agraires d’Afrique du Nord, c’est l’un des symboles des cultures. Et pendant les premiers jours de deuil, la maison ne doit pas être balayée afin que l’abondance ne soit pas chassée, ou encore pour ne pas offenser l’âme du mort.

Dans la culture musulmane, le balai est majoritairement entaché d’un signe négatif. Balayer auprès des pieds d’une personne, c’est lui assurer une vie de célibat et de solitude car il paraîtrait qu’avec la poussière c’est toute l’aura de la personne qui s’envole… Mais inversement, et de façon purement culturelle, le balai, suspendu à une porte, peut indiquer la présence d’une fille à marier. Il convient de préciser que son usage demeure également très codifié durant les périodes de deuil.  De plus, balayer la nuit est déconseillé car on risque de blesser les hôtes invisibles, et avec eux les génies protecteurs du foyer qui s’y promenèrent. 

Pour parer à ce côté maléfique et renverser la tendance, les femmes kabyles, au cours des festivités du  printemps, cueillent des touffes de bruyères en fleur qui deviendront des balais de bon augure (donc protecteur), lesquels ne «chasseront pas la prospérité et ne heurteront pas par mégardeles hôtes invisibles»*. 

L’on retrouve souvent les mêmes symboliques autour du balai dans les différentes régions du monde. Ainsi, qu’il soit pour purifier ou chasser les occupants importuns, le balai devrait servir avant tout à balayer devant sa porte !  

Mira B.G.

 

* Jean Servier,Les Portes de l’année. Rites et Symboles. L’Algérie dans la tradition méditerranéenne.

Sources :

  • Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, Ed. Albin Michel, 2001.
  • J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Ed. Robert Laffont/Jupiter, 1982.
  • Encyclopédie des symboles, Munich, Ed. La Pochotèque, 1989.
  • Jean Servier, Les Portes de l’année. Rites et Symboles. L’Algérie dans la tradition méditerranéenne, Paris, Ed. Laffont, 1962.
  • Jean Markal, Prodiges et Secrets du moyen-âge,Ed. Jean-Claude Lattèse, 2008.

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