Contrairement à ce que suggère Pellat dans l’Encyclopédie de l’Islam (1960, p. 1208), l’existence de « berbères blonds » ne saurait être assimilée à un problème supplémentaire, rendant encore plus mystérieuse l’origine des Berbères, dont Gibbon disait déjà qu’elle était « enveloppée dans les ténèbres » (1985, t. II, p. 98). Ainsi que l’indique assez clairement Sergi (1901, p. 59), le problème ethnogénique posé par les « Blonds » est lié à celui de l’origine européenne des Libyens, c’est-à-dire des Berbères.
En fait, la question a été résolue par Kidder, Coon et Briggs (1955, pp. 65-66) qui montrèrent qu’elle n’était pas pertinente, dans la mesure où la tendance au blondisme des populations berbères s’avère équivalente à celle de la plupart des populations méditerranéennes.
Néanmoins, plusieurs hypothèses ont été avancées sur l’origine des « Berbères blonds » ; ces hypothèses, erronées ou fantaisistes, constituent des représentations actives de l’identité berbère, et interfèrent sensiblement dès qu’il s’agit d’en débattre. Au demeurant, la plupart d’entre elles, en dépit de ces erreurs, s’inscrivent dans un réel processus d’identification, même si elles demeurent tributaires des aléas scientifiques d’une époque. Aussi importe-t-il de les évoquer avant de s’intéresser aux hypothèses inverses, qui devaient provoquer, sinon leur abandon explicite (ce cas de figure est généralement absent de la vie scientifique), du moins leur oubli partiel.
Certes, Vallois affirmera, à son tour, l’existence de blonds nordiques (1944, p. 38), ainsi que Ferembach, qui suggère, en outre, que les Carthaginois, les Romains et les Vandales seraient venus renforcer le contingent des individus à peau claire (1975, p. 116) ; mais, si l’on cite, aujourd’hui encore, ces origines nordiques, cette thèse ne prête plus à aucun débat scientifique sérieux.
Le paradigme des blonds étrangers
Shaw demeure la référence obligée dès que l’on évoque les « Berbères blonds ». Il les a décrit dans Travels or observations relating to several parts of Barbary and the Levant (1738), faisant des blonds, les descendants des Vandales de Genséric, après qu’ils eussent été défaits par Bélissaire : « ces dissemblances nous portent à croire […] qu’ils sont, sinon la tribu dont parle Procope, du moins les descendants des Vandales » (Shaw, 1830, t. II, pp. 169-170). Buffon, dans son Histoire naturelle de l’homme (1749), cite cette thèse sans donner l’impression d’y adhérer : « ce qui peut faire croire que ces hommes blonds descendent des Vandales » (Buffon, 1792, t. II, p. 84). Gibbon critique directement le point de vue de Shaw, en remarquant que Procope répétant ce que disait le chef maure Orthaïas, affirmait qu’au delà du territoire de celui-ci (situé à l’ouest de l’Aurès) était un vaste désert puis des hommes au corps blanc et à la chevelure blonde. La présence de blonds était ainsi antérieurement attestée à la venue des Vandales. Desmoulin (1826, p. 172) réfutera aussi Shaw, en indiquant qu’il aurait mal interprété Procope. A partir de cette époque, la plupart des auteurs évoquant les blonds, à l’exception notable de Broca (1876, p. 400), se croiront obligés de réfuter la thèse de Shaw comme si personne ne l’avait fait avant eux, tels Vivien de Saint-Martin (1863, pp. 56-57), ou même Gsell (1913, p. 292, note 5), et, plus récemment encore, Leroi-Gourhan et Poirier (1953, p. 115).
En fait l’hypothèse vandale s’alimentait à l’idée de peuplements militaires remontant à l’époque romaine (Omalhius d’Alloy, 1859, p. 59). Elle n’est pas loin de l’hypothèse Gauloise évoquée par Féraud (1863, pp. 231-232) à propos des monuments « dits » celtiques de la province de Constantine, où il s’agirait de Gaulois mercenaires ayant introduit leur culte en Afrique, hypothèse reprise une quarantaine d’années plus tard par Saint-Rémy (1904). Une autre hypothèse due à un commentaire de Topinard sur Collignon (Topinard, 1883, p. 12), suggérerait même que les blonds d’Afrique du Nord fussent originaires des Gaulois, mercenaires de Carthage.
Il importe de noter que la théorie des blonds, Vandales ou Gaulois, a toujours été utilisée pour expliquer le blondisme d’une population limitée, et n’a jamais été utilisée afin d’expliquer l’origine de la totalité des berbères. Même limité aux kabyles, le blondisme pur est présenté comme la caractéristique d’une tribu ; pour le reste, les auteurs favorables à la théorie Vandales font plutôt état d’un métissage (Shaler, 1830 ; Périer, 1873 ; Lenz, 1886 ; Quedenfeld, 1888).
L’ensemble des hypothèses celto-nordiques devaient beaucoup aux mégalithes, comme l’indique la position de Féraud. D’une façon générale, l’aspect « celtique » des monuments funéraires a toujours été utilisé comme corroborant la théorie nordique, en tant que traces culturelles d’une migration, qui aurait suivi l’axe nord-est/sud-ouest (Bertrand, 1863). Broca affirmait, par exemple, que « l’origine européenne des blonds d’Afrique septentrionale étant tout aussi certaine que celle des dolmens de la même région, il est tout naturel de penser que ce double fait a été la conséquence d’une seule et même invasion » (1876, p. 393).
La théorie des blonds du Nord donna également lieu à une hypothèse aryenne, fort controversée au demeurant. Kobelt (1885) pensait ainsi que les aryens blonds avaient précédé les celtes bruns en Afrique du Nord, assertion reprise comme une évidence par Urvoy de Closmadeuc (1898) ou encore Maitrot (1909), qui pensait que les menhirs étaient une manifestation de la race aryenne, et non plus gauloise.
On la retrouve affirmée avec force par Lissauer :« Nous savons maintenant, qu’il n’existe que dans l’Europe du Nord une zone — et nulle part ailleurs — dans laquelle la population blonde est concentrée, et c’est pourquoi nous sommes contraints de penser que les blonds, qui apparaissent isolément sur terre, ont leur origine dans la zone des blonds du Nord » (1908, p. 526). Lissauer pensait, bien sûr, que ces blonds nordiques étaient des Germains, c’est-à-dire des Aryens.
Cette conception sera fortement critiquée par Sergi (1911, p. 114), néanmoins Stuhlmann (1912, p. 136) reprendra les mêmes conclusions. Deux ans plus tard, Guiffreda-Ruggeri (1914) fera preuve de prudence, en ne parlant que d’anonymes nordiques. Notons que pour Anton y Ferrandiz les blonds étaient plus exactement baltiques.
A suivre…
Sources :
- Référence papier
- G. Boetsch et J.-N. Ferrié, « Blonds (Berbères) », Encyclopédie berbère, 10 | Beni Isguen – Bouzeis, Aix-en-Provence, Edisud, décembre 1991, p. 1539-1544
- Référence électronique
- G. Boetsch et J.-N. Ferrié, « Blonds (Berbères) », in Encyclopédie berbère, 10 | Beni Isguen – Bouzeis [En ligne],
- https://encyclopedieberbere.revues.org/1768
- Image une : http://anyaisachannel.blogspot.com/2013/10/meet-north-african-tribe-of-berber.html
3 Comment
azul
Atlassien ou caucasien ?
La leucodermie, ou blancheur de la peau est un phénomène naturel produit par le climat et l’environnement terrestre tempéré des populations humaines qui y vivent. La »blondeur », ainsi que la rousseur de beaucoup de berbères est inhérente à l’immense massif de l’Atlas même s’il y a eu sans aucun doute, une sédimentation certaine et réciproque d’autres contrées de l’Europe toute proche. Ce qui revient à dire que l’Atlas est une branche mère du caractère leucoderme de la race humaine. L’exclusivité caucasienne étant un leurre géo-politicien pour ceux qui tentent d’étayer sans fondement le suprémacisme racial prôné par les dérives des écoles de philosophie matérialiste des pays du nord peu touchés par la lumière du discernement.
Que nous soyons blonds, roux, bruns ou même parfois cuivrés, nous ne venons pas d’ailleurs, nous sommes issus de notre propre terre et nous y retournerons. C’est un décret divin !
Tout a fait d’accord avec vous. En effet pourquoi des populations originaires des montagnes du Rif de la Kabylie ou des Aures ou souvent aucune autre population n a pu avoir acces ou le climat rappelle celui des Alpes ou d’autres regions au relief similaire ne devraient pas etre blondes ou rousses.