C’est une petite Casbah complètement négligée. Sa construction a débuté une année après celle d’Alger », explique un vieil homme, le chapeau glissant sur le front et les mains dans les poches. La commune de Tixeraïne à Alger a son lot de chroniques et de monuments.
Debout en face de l’aqueduc, il prétend l’avoir toujours connu, lui qui est né dans les antres de cette vieille Casbah. Lui a qui son grand-père racontait que l’aqueduc servait à alimenter le coin en eau potable. L’Oued Romane vers El Achour atterrissait dans ce lit d’oued à Tixeraïne pour parcourir l’architecture ottomane et déverser de son eau miraculeuse. Aujourd’hui, l’aqueduc, colosse de pierres, est quasi invisible sur son versant sud, caché par les bidonvilles qui l’ont squatté pour finir collés à ses murs, l’aqueduc se révèle en venant du nord de la ville.
Partiellement occupé de ce côté par trois box qui ont baissé rideau en cette heure matinale, la structure s’acoquine avec un pin d’Alep qui se dresse pour lui offrir quelques ombrages. Des marches le transcendent à droite vers un passage ridicule laissant entrevoir d’autres habitations précaires. « Ils ont pris toutes les terres agricoles, les jardins et leurs opulences pour quadriller la place de béton et de grillage », poursuit le vieil homme. Les éléments naturels peuvent porter atteinte au monument, si l’on n’y prend pas garde. Le rapport sur l’état et l’avenir de l’environnement en Algérie rapporte que « l’eau s’infiltre dans le mur et élimine peu à peu le liant des pierres de taille souvent constituées d’un mélange de chaux et de terre.
Après quelques années, cela se traduit par l’effondrement de parois entières ». A bien observer l’aqueduc de Tixeraïne, le temps semble effectivement avoir laissé ses marques mais le plus gros des dégâts provient de l’action anthropique. Le développement urbain se fait au détriment du parc archéologique gagnant de plus en plus de parcelles. Pourtant, les natifs de la commune aiment leur aqueduc qu’ils appellent « souk ». Une femme transportant des courses demande s’il est vrai qu’une route devrait passer par là et détruire l’aqueduc. Elle prétend qu’une délégation de l’APC de Tixeraïne s’est déplacée pour établir un recensement. « On ne les laissera pas casser notre souk », déclare un vieux monsieur qui en profite pour montrer du doigt quelques reliques du temps des Turcs.
« A ce jour, aucune enquête ou analyse n’a eu pour objet de mesurer l’état de conservation du patrimoine archéologique et historique », trouve-t-on dans le rapport dédié à l’environnement algérien. Tixeraïne n’est pas la seule commune pourvue d’un aqueduc. On en répertorie quatre à Alger dont celui de Aïn Zeboudja au Val d’Hydra qui connaît un épilogue heureux, ce dernier est classé monument national depuis janvier 2008 seulement. En effet, la direction de la culture de la wilaya d’Alger s’est décidée à réagir pour sauver l’œuvre en le restaurant. Datant de l’ère ottomane, l’ouvrage aura attendu plusieurs décennies avant que les autorités ne réagissent. Les habitants du souk à Tixeraïne souhaitent également voir leur aqueduc classé monument national et restauré.
Perdu entre Bir Mourad Raïs, Draria et Birkhadem, le souk semble être situé dans un creux. La structure hydraulique qui amenait l’eau a vu sa place usurpée par une technologie moderne et invisible. Pourtant, le colosse mériterait d’être dans les annales et réaffirmer ainsi l’identité culturelle des communes algéroises. Dans les feuillets d’El Djazaïr, il est noté que « ces travaux hydrauliques qui pendant des siècles alimentaient El Djazaïr de la quantité d’eau nécessaire à sa nombreuse population, lui ont permis aussi de parer sa banlieue des luxuriants jardins ». Et de rappeler également que tous ces ouvrages étaient protégés par une loi sévère : « Tout individu convaincu d’avoir détérioré une conduite d’eau, avait la main droite coupée. ».
Zineb A. Maiche