Afin de rendre hommage à cette grande Femme, Babzman vous propose aujourd’hui un article de Mustapha Benfodil paru dans le journal Liberté 01/08/2005, en attendant d’autres recherches qui permettront à la nouvelle génération algérienne de mieux connaitre l’héroïne.
Dans la maison de Fadhma N’Soumeur, Ses descendants racontent sa fabuleuse épopée
Le maréchal Randon l’avait surnommée “la Jeanne d’Arc du Djurdjura”. Elle lui avait tenu un certain jour ces propos, au sujet de ce même Djurdjura : “Ces montagnes nous ont appris l’honneur !” Que deviennent les siens et les siennes ? Ceux qu’elle a livrés aux bons soins de l’Algérie indépendante ? Que deviennent son legs, son enseignement, sa mémoire ? Pèlerinage sur les traces de Fadhma n’Soumeur…
Le village est sublime. On se croirait en Grèce ou en Italie. Son nom : Soumeur. 65 kilomètres de Tizi ouzou, en Haute-Kabylie. Daïra de Aïn El-Hammam (ex-Michelet). Les ruelles, étroites, serpentent parmi des maisons de type traditionnel absolument charmantes, avec leurs tuiles rouges et leurs odeurs de familles nombreuses. Les ruelles sont pavées de dalles sentant le ciment frais. Le village a été retapé de fraîche date avec les bras des volontaires et les sous de tachemlith, la touiza, les cotisations populaires…
Ici, c’est évidemment le village de la légendaire Lalla Fadhma n’Soumeur, Fadhma Sid-Ahmed Bent Mohamed de son vrai nom. Guillemets pour “évidemment”. Car, comme on le verra, la famille de Lalla Fadhma est originaire d’un village voisin : Ouerdja. Une longue histoire…Toujours tortueuse, tumultueuse, l’Histoire. Le village de Soumeur est entouré de montagnes majestueuses : l’imposant Djurdjura. Magnifique cri de calcaire pétrifié par le temps. D’emblée, l’on se met à imaginer les batailles qui ont émaillé ces gorges. Le village est surplombé par le fameux col de Tirourda, l’un des plus hauts de Kabylie, trônant à plus de 2 000 m au-dessus du Réel. À côté, Azrou Nethour, haut lieu de pèlerinage maraboutique connu pour sa zerda gargantuesque célébrée tous les mois d’août de l’année. Du col de Tirourda, le village de Fadhma n’Soumeur est comme une toile de tuiles rouges émergeant d’un bosquet. Le vert et le rouge donc. Manque le blanc. Le blanc, c’est tout le reste. Le cœur des gens. L’Algérie au cœur. Cette Algérie qui palpite dans chaque pierre, dans chaque souffle, dans chaque empan de cette géographie qui exhale les effluves de l’histoire.
Le village respire la fête en ce jeudi 28 juillet. Presque jour pour jour, 148 ans auparavant, en juillet 1857, Fadhma n’Soumer était capturée par les hommes du maréchal Randon, l’auguste officier chargé de “pacifier” la Kabylie insurgée. Mais si nous sommes ici, c’est surtout à l’invitation de l’association Tharwa N’Fadhma N’Soumeur, la plus importante association du village. Ne pas confondre avec une association féministe de même nom. L’association fête cette année ses dix ans d’existence et elle a tenu à le faire comme il se doit. Son président, M. Mohand Sid-Ahmed, se définit avec une fierté toute “soumèrienne” comme un descendant de Lalla Fadhma. En vérité, celle-ci n’avait pas laissé d’enfants, mais ceux qui dérivent de l’un ou l’autre de ses cinq frères font amplement office de descendants, ne pinaillons pas sur les petites considérations de lignage.
Deux jours durant, le village a explosé. Expos, galas, t’bal, couscous-party, l’association a mis le paquet pour marquer l’événement. C’est surtout une occasion, nous dira Mohand Sid-Ahmed, pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce crime de “lèse-mémoire” fait à l’une des plus grandes héroïnes de tous les temps que notre patrie ait enfantée. Il s’agit donc d’une grosse opération marketing pour revisiter le passé et déterrer quelques vieilles haches que l’Histoire officielle veut ensevelir à jamais.
Une relique sauvée de justesse
Moment fort de ce jeudi : celui où nous nous retrouvons en face d’une vieille maison en pierres nues, celle-là même où avait vécu Fadhma n’Soumeur, où elle réunissait ses lieutenants, où elle recevait, où elle haranguait, où elle donnait ses ordres et fomentait ses révolutions. La maison a été elle aussi refaite. Elle était sur le point de s’écrouler. Dans la pièce, de vieux ustensiles, de la poterie, de la cire de vieilles bougies fondues et un sabre en fer forgé. Chaque pierre respire l’histoire et toute parole devient muette après. “Nous avons laissé cette pièce intacte et avons construit alentour”, dit Mohand. La petite mansarde est classée monument national. Encore qu’il a fallu courir pour la réhabiliter. L’association a profité d’une visite du wali de Tizi Ouzou au village en 1997 pour lui poser le problème. “Il nous a alloué une enveloppe de 50 millions de centimes et, grâce à cet argent, et grâce aux enfants du village qui ont tous participé aux travaux de restauration, ces murs ont pu être sauvés”, dit Mohand. Le wali en question est aujourd’hui ministre. Son nom : Mohamed-Nadir Hamimid.
Lalla Fadhma était, semble-t-il, d’une grande beauté. Elle avait les yeux clairs, la peau laiteuse, la taille moyenne mais élancée. Elle serait née autour de 1830. Bien qu’ayant vu le jour au village de Soumeur, sa famille est en fait établie depuis plusieurs siècles au village de Ouerdja, un village voisin. Le père de Fadhma, un homme de religion, d’extraction maraboutique, s’était établi à Soumeur pour y répandre la parole de Dieu et c’est ainsi que Fadhma y vit le jour. Mais tout au long de son enfance, elle ne cessera d’osciller entre Ouerdja et Soumeur.
Khaled Sid-Ahmed est un autre “descendant” de la lignée de Fadhma n’Soumeur. Khaled a 35 ans. Il est ingénieur en génie civil et travaille à son compte. Très branché histoire, il nous sera d’un précieux secours lors de ce voyage sur les traces de Fadhma n’Soumeur et de sa fulgurante épopée. “Je possède un arbre généalogique bien détaillé, dit-il. La famille de Fadhma N’Soumeur descend de Moulay Idriss, au Maroc, dont la lignée remonte jusqu’à Fatima, la fille du Prophète. Au 16e siècle, deux descendants de Moulay Idriss, en l’occurrence, Sidi-Ahmed Benyoucef et Sidi-Ahmed Améziane, sont venus en Algérie. Le premier s’est installé à Miliana. Quant au second, il est venu en Kabylie et s’est établi à Ouerdja”.
Une conscience politique précoce
Lalla Fadhma n’Soumeur grandira ainsi dans un univers maraboutique fortement empreint de rigorisme. Elle étudiera le Coran et la langue arabe dans le giron de l’enseignement prodigué par la zaouïa Rahmania, la confrérie qui embrasse tous les marabouts de Kabylie. En raison de sa forte personnalité, de sa beauté, de sa piété, on voulut la marier très tôt. Il se trouve qu’elle rejetait tous les prétendants qui se présentaient à elle. Elle finit par céder à la pression familiale et accepter un de ses cousins. Les noces seront de courte durée. Certains disent qu’elle a fugué au bout de trois jours, d’autres qu’elle a été rendue vierge à sa famille au bout d’un mois. Quoi qu’il en soit, on commençait à la redouter. “Ses frères ont compris qu’elle était différente, qu’elle avait un don”, dit Khaled. “Fadhma n’Soumeur devait mener un double combat : à la fois comme femme pour arracher sa liberté, et en même temps comme combattante dans sa résistance à l’occupant”, dit Abdelhamid Boukir de l’association pour la protection de l’histoire et des vestiges historiques (Béjaïa). C’est sans doute cet esprit frondeur et impavide qui l’érigera en icône des mouvements féministes. “Les historiens ne soulignent pas assez le fait qu’elle est issue d’une famille maraboutique où les femmes sont sévèrement contrôlées”, fait observer Mohand. Femme étrange, femme de caractère, femme crainte, femme savante, femme battante, elle avait, semble-t-il, des dons prémonitoires, si bien qu’elle sera surnommée la “Prophétesse”. Lorsqu’à partir de 1844, les troupes françaises commencent à gagner la Kabylie, elle fait preuve d’une conscience politique et nationaliste précoce. Elle a à peine 24 ans lorsqu’elle organise la résistance contre l’envahisseur. On est en 1854 et elle martèle : “Ennif ayathmathen”, “Ennif mes frères !” Un siècle d’avance sur la révolution de novembre ! Elle achète des armes aux Turcs, elle envoie des émissaires dans tous les archs, elle mobilise les femmes, aiguillonne les chefs de tribu, appelle au djihad. Très vite, son aura rayonne dans toute la Kabylie, et la voici, elle, la femme, la fille de marabout, à la tête de plus de 7 000 hommes. Certaines sources parlent même de 45 000 hommes. Sous sa houlette, la Kabylie devient plus qu’un état d’âme, un Etat tout court. Elle infligera des pertes inouïes à l’arrogant maréchal Randon et à ses troupes entre 1854 et 1856, à Azazga, à Tachkirt, à Larbaâ Nath-Irathen. Mais c’est sans doute dans la grande bataille d’Ichariden qu’elle montrera la pleine mesure de son courage et de son talent de stratège. Khaled nous mènera en voiture jusqu’au lieu où l’armée française, conduite par Bugeaud, dut battre en retraite sous les assauts de Lalla Fadhma et ses vaillants combattants. La stèle élevée céans est dans un état lamentable. Les plaques qui immortalisent ce moment sont arrachées. Des gravats encerclent le monument. Tout autour, des hectares de maquis ravagés par les flammes comme l’oubli ravage la mémoire. Troublant paysage et troublante métaphore. Khaled est formel : “C’est ici que le général Bugeaud a laissé sa canne”, assène-t-il. Vrai ou faux ? Difficile de vérifier tant les témoignages sont chiches et l’histoire bancale. “Le problème de la Kabylie est que son histoire est orale”, note Khaled avec pertinence.
Une histoire en trous de mémoire
Le maréchal Randon, après une trêve, finit par conquérir la Kabylie. Un arc de triomphe dressé à Larbaâ Naâth-Irathen porte la date de 1857. C’est celle où la résistance est vaincue. Lalla Fadhma, amoindrie, à bout de forces, se réfugie au village de Thaourirth (ou Thakhlijth) Ath Atsou, en contrebas du col de Tirourda. Surplombant ce village, un mémorial délabré surgit près d’un détachement militaire au lieudit Tizi l’jama. Le monument est toujours inachevé à ce jour. 1,4 milliard de centimes partis en fumée. Autre signe de la dislocation de la mémoire s’il en est. Khaled regarde le village où sa lointaine “aïeule” a été capturée et raconte : “Dans ce village, il y avait beaucoup de femmes et le délateur qui a vendu Fadhma ne la connaissait pas. Elle s’est rendue de son plein gré pour épargner la vie des autres femmes.” Emu, Khaled évoque des détails saisissants de la personnalité de cette femme de feu : “Elle disait aux femmes : maculez-vous de cendres pour cacher votre beauté et préserver votre honneur.” Traînée dans la tente d’un maréchal Randon impatient de connaître cette mystérieuse prêtresse qui lui avait tenu si ardemment tête, ce dernier lui demande : “Qu’avez-vous à vous battre pour un pays si inclément ?” Sa réponse est cinglante : “Ces montagnes nous ont appris l’honneur !” Khaled poursuit : “Randon était si ébranlé en entendant cela qu’il en a versé des larmes.” Le maréchal Randon la surnommera “La Jeanne d’arc du Djurdjura”.
Lalla Fadhma n’Soumeur sera déportée vers un camp militaire dans les Issers avant d’être incarcérée à Tablat. C’est d’ailleurs là-bas qu’elle trouvera la mort en 1863, à l’âge de 33 ans, après six ans de détention. La chronique rapporte qu’elle est morte de chagrin pour son peuple et pour son pays. Détail sidérant : il a fallu attendre l’année 1995 pour voir ses ossements rapatriés à El-Alia dans l’indifférence générale, un 8 mars. 1863-1995. Il aura donc fallu 132 ans pour que Fadhma n’Soumeur ait sa place au Carré des martyrs. 132 ans… Un autre signe du destin…
Le sort réservé à cette femme exceptionnelle en dit long sur l’injustice que l’Algérie indépendante lui a faite. Sa famille n’a ni pension ni aucun privilège d’aucune sorte. Aucune statue digne de Fadhma n’Soumeur n’a été érigée à sa mémoire à ce jour. Et tandis que séminaires, colloques, prix, fondations et autres célébrations de toutes sortes pleuvent sur les autres hauts symboles de la résistance, rien n’est fait autour de cette figure emblématique de la lutte des femmes. Hamid Boukir y voit une volonté de “déconnecter” la Kabylie de la mémoire nationale. “Il y a une guerre des mémoires”, dit-il. Et, comme ultime affront, déplore sa famille, il a fallu que l’ENTV enfonce le clou par un feuilleton qui laissera perplexes tous les Sid-Ahmed que nous avons rencontrés, feuilleton qui nous vaudra cette tirade ironique d’un jeune : “C’est pas Fadhma n’Soumeur, c’est Fadhma n’Souria”, allusion à la Syrie, le pays où le feuilleton a été tourné. “Il y a l’odeur de la trahison, on a trahi ces femmes et ces hommes et aujourd’hui, on en paye le prix”, conclut Khaled d’une voix amère.
M. B
Illustration : Huile sur toile, Chérif Boubaghla et Lalla Fatma N’Soumer, Philippoteaux, 1866
4 Comment
C’est l’exemple parfait de la femme combattante…
Etant donné qu’elle fait partie de la mémoire nationale,il faut la réhabiliter et lui donner plus d’importance car personne ne peut nier son combat.
Je saisis cette opportunité pour remercier l’auteur de cet article qui a éclairé notre lanterne.
quand il y a des erreurs dans les écrits ça ne fait que crée le trouble on arrête la cette mascarade; il n’y a personne qui a les archives le seul qui détient des documents au nombre de neuf écrits en script archivés avec références
un livre est en cour d’édition sa famille au grand complet vous le certifieront et MOHAND est la pour le confirmer je suis l’arrière petit fils de feu MOHAMED son frère et non son père
je suis prêt des mon retour de Paris de confronter n’importe qu’elle historien non sur l’oralité mais sur la base de documents officiel
Je vais vous répondre ce message n’est ni agressif ni insultant c’est a la suite de nombreux blogs qui reprennent toujours des informations erronés concernant sa généalogie et non pas autres chose je suis l’arrière petit fils du frère de lala fatma et je crois qu’il est de droit de défendre et de faire rectifier ceci bien entendu sur la base de documents mon age avancé ne me pardonne pas d’aller vers la collision
a soixante quinze ans c’est comme même performant d’utiliser un clacier