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Le 1er novembre 1954, vu par un historien Hongrois.

pr-nagyLe 1er novembre 1954 est un événement phare dans l’histoire contemporaine de l’Algérie. Les anciens moudjahidines en parlent, les personnes lambda qui avaient vécu l’événement aussi. Nous avons toujours accès à cet événement vu de l’intérieur, mais qu’en est-il des autres regards? Comment les étrangers, à cette guerre, ont-ils interprété cet événement? 
Pour répondre à cette question, le professeur d’histoire contemporaine, Mr NAGY László, de l’université de SZEGED, en Hongrie a fait des recherches et parle des « ”événements” du premier novembre et les premières réactions »: 

Dans la nuit du 1er novembre 1954, des attentats secouaient le territoire algérien, en premier lieu l’Est du pays: attaques de poste de police ou de gendarmerie, lignes téléphoniques coupées, incendies. L’épicentre des attentats était la montagne des Aurès. Il n’y avait pas de dommages considérables, les bombes de fabrication artisanale n’ont même pas souvent explosées. Par contre, il y avait 8 tués et 12 blessés. Le fait le plus stupéfiant pour les autorités et surtout pour les Européens fut l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot. Le jeune homme de 23 ans d’esprit julesferryste s’engagea pour aller enseigner en Algérie. Il était en train de se rendre avec sa femme à Arris, son premier lieu de travail, quand les insurgés armés arrêtèrent leur autocar lequel se déplaçait toujours à heures fixes. Hadj Sadok, l’un des passagers fut forcé de descendre et comme c’était un fidèle serviteur du pouvoir colonial, il fut tué sur le champ. Ensuite, l’un des insurgés mis le feu au couple européen. Les rafales de balles tuèrent Guy Monnerot tandis que sa femme était grièvement blessée. L’assassinat de ce jeune instituteur avait des conséquences très lourdes au détriment de la cause du mouvement de libération national algérien. Toute la durée du conflit les autorités et les partisans de l’Algérie française et une large partie de l’opinion publique pouvaient stigmatiser d’une manière très efficace les patriotes algériens comme des bandits, des barbares, des terroristes, des aventuriers d’hors-la-loi. Cela fut un argument devant l’opinion française et internationale.1

D’un point de vue militaire, les actions violentes n’étaient pas d’une importance particulière. Par contre, leurs effets psychologiques étaient spéctaculaires. Ce qui surprit le plus les autorités coloniales était la coordination des attentats et le fait que personne n’était au courant jusqu’à la dernière minute. Les autorités ont eu connaissance de l’éclatement du soulèvement la veille.2 Les services de renseignement civile et militaire avaient des informations indiquant que le CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action), les anciens membres de OS (Organisation spéciale – groupe paramilitaire du MTLD) et des jeunes nationalistes se préparaient à des actions volentes contre l’ordre établi. Jean Vaujour, le préfet signalait en vain à Paris que les actions militaires pourraient se produire à tout moment dans le pays. Les milieux gouvernementaux n’ont pas pris au sérieux ses avertissements.3 Selon Paris, les actions armées ne furent que les conséquences de la crise du MTLD et elles devaient vite cesser à cause des troubles au sein du parti. 4 Le gouvernement et tous les partis politiques – sauf le PCF et le PCA- considéraient l’insurrection comme des actions terroristes mettant en danger l’intégrité territoriale de la France. Ainsi ils le traitèrent comme un problème policier et non politique: «Algérie c’est la France et des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule, nationale”- a déclaré le ministre des Affaires Etrangères à l’Assemblé Nationale. 5

La déclaration de Pierre Mendès-France, radical de gauche, chef du gouvernement, exprima non seulement la position de son gouvernement mais la philosophie de la politique algérienne des forces politiques dominantes, enracinée dans la culture politique de la IIIème République: «Les départements d’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable… Jamais la France, aucun gouvernement, aucun parlement français, quelles qu’en soient d’ailleurs les tendances particulières, ne cédera sur ce principe fondamental.” 6 Selon l’opinion générale, exprimée au cours des discussions au sein de l’Assemblée nationale, l’insurrection était l’oeuvre commune du communisme international et des nationalistes arabes dirigée de l’étranger. 7 A cause de la propagande radiophonique soutenant l’insurrection, deux pays ont été surtout attaqués: l’Egypte et la Hongrie. Au cours du mois, le ministre de l’Intérieur et le Premier minisitre citaient plusieurs fois les stations radio de Budapest et du Caire, dont «la propagande systématique incite jours après jours les populations d’Afrique du Nord à la violence”. 8 La Voix des Arabes du Caire, fonctionnant depuis 1953, faisait le commentaire suivant au jour de l’insurrection: «L’Algérie a engagé aujourd’hui une lutte grandiose pour la liberté, l’arabisme et l’islam… a commencé à vivre une vie digne et honorable… ce n’est pas là une révolte passagère, mais le déclenchement d’un mouvement de libération qui ira en s’intensifiant.” 9 A Budapest, la station appelée La voix de l’indépendance et de la Paix, rédigée par les communistes de l’Afrique du Nord fonctionnait depuis mai 1954. Son rédacteur en chef William Sportisse fut membre du comité central du PCA. Sa durée d’émission était d’une heure et 30 minutes par jour (le matin de 7h à 7h30, le soir de 18h à 18h30 et la nuit de 23h30 à 24h) L’équipe de quelques membres reçurent les informations à diffuser de la direction du PC français par l’intermédiaire de la Légation de Hongrie à Paris. La nuit ils les traduirent en arabe dialectal pour pouvoir diffuser le matin. L’émission était très écoutée au Maghreb, mais au Proche-Orient aussi. La radio transmit l’appel du FLN du 1er novembre, et Ait Ahmed résidant au Caire l’en remercia. 10 L’émission de cette station en langue arabe provoqua une complication diplomatique entre la Hongrie et la France. Paris contacta les autorités hongroises après le 1er novembre. Le ministre français de Budapest intervint plusieurs fois auprès du Ministère Hongrois des Affaires Etrangères. En plus, une délégation parlementaire française lors de sa visite à Moscou en septembre de 1955, en parla à Khrouchtev. Dans sa réponse, le secrétaire général du PCUS ne refusa pas l’intervention de Moscou. Cependant, l’émetteur n’a pas cessé de fonctionner pour autant. Le 28 septembre 1955, le ministre français demanda une audition au Ministre hongrois des Affaires Étrangères, János Boldoczki. Le ministre français demanda la suppression de l’émetteur en se référant à l’atmosphère internationale moins tendue et à la demande d’admission de la Hongrie à l’ONU: «Ces émissions sont d’ailleurs contraire à cet esprit international que les dirigeants hongrois dans leurs discours et dans leurs écrits manifestent le désir de promouvoir. Cette contradiction apparaît d’autant plus frappants en ce moment où la Hongrie sollicite son admission à l’ONU.” 11 Le Ministre hongrois des Affaires Etrangères niait l’existence de l’émetteur, ce qui était complètement inutile. Tout le monde était au courant de son existence depuis le 7 juillet 1954, quand le quotidien Alger républicain se référant au journal marocain Vigie Marocaine, communiqua non seulement l’existence de l’émetteur mais aussi ses coordonnées. Cependant, les arguments du ministre français se révélèrent plus convaincants cette fois-ci. Une semaine plus tard, lors de sa séance du 6 octobre, le Bureau poltique du Parti des Travailleurs Hongrois (PC) décida de supprimer l’émetteur. Cela s’explique par le fait que l’admission du pays à l’ONU aurait pu être bloquée par la France, membre du Conseil de Sécurité. 12

La presse hongroise rendit compte des actions armées le lendemain des événements: le 3 novembre Magyar Nemzet (Nation Hongroise) et le 5 Szabad Nép (Peuple Libre). Le même jour la Pravda commenta aussi les événements sans mentionner le FLN. Par la suite et jusqu’à la fin de l’année 1956, le journal du parti soviétique ne s’en occupait pas vraiment. En septembre 1955, Khrouchtev déclara devant une délégation parlementaire française: «La question de l’Afrique du Nord est française. Les Français auront, je le pense, la sagesse de la résoudre.” 13 La radio nationale publique de Budapest parlait également de l’insurrection. En ce temps-là, l’attention des dirigeants politiques était focalisée sur les traités de Paris, signés les 19-23 octobre, créant l’Union d’Europe Occidentale et préparant ainsi l’adhésion de la République Fédérale d’Allemagne à l’OTAN. Mentionnant ce fait, le rapport de la Légation hongroise à Paris sur l’insurrection ne peut pas être qualifiée d’insignifiant, à plus forte raison car la presse et les émetteurs des pays arabes ne la mentionnèrent pas non plus en premier lieu. Seuls les yougoslaves étaient au courant de la préparation de l’insurrection. Les insurgés avaient beaucoup de respect pour la guerre de libération antinazie des Yougoslaves au cours de la deuxième guerre mondiale. L’ambassadeur yougoslave au Caire fut «la seule personnalité européenne à être dans le secret des événements du premier novembre 1954”. 14 Ces propos recoupent les informations des services secrets français qui constatent de visites fréquentes des nationalistes algériens (parmi eux Mohamed Khider) à l’ambassade yougoslave au Caire au cours des mois d’octobre et de novembre 1954. 15 Les services français interceptant les émissions arabes (mêmes celles des pays socialistes) et analysant la presse, écrivirent dans un rapport du 22 novembre: «Contrairement à ce qu’on attendait, les événements d’Algérie n’ont pas encore donné lieu, dans la presse du Moyen-Orient, à une campagne anti-française de grande envergure” 16 . La Ligue Arabe et les pays arabes indépendants commencèrent à s’intéresser davantage à la question algérienne à partir du mois de décembre. Ils votèrent une aide financière au début de l’année 1955 .17 Dans les rapports de la Légation de Hongrie à Paris, en mai 1955 on retrouve le nom du pays de l’Afrique du Nord, dans un document ayant comme titre : «Les événements qui explosèrent à Alger à la fin de 1954”.18 . Il mentionna la situation coloniale comme cause des actes violents, mais il mit l’accent sur les agissements des agents de la Ligue Arabe, dominée par les Anglais. Une partie des armes mais également des agents arrivaient directement d’Angleterre! Le rapport ne faisait aucune mention du FLN. Concernant les insurgés, on peut y lire les phrases suivantes: «Il s’agit des éléments paysans et nomades, poussés plus par le fanatisme religieux que par les idées politiques. Pour eux, les agissements organisés par les agents britanniques offrent un terrain favorable à la révolte. C’est parmi ces éléments qu’on retrouve les premiers maquisards algériens.”19. Cette analyse très schématique relevant de la doctrine Jdanov est tout à fait éloignée de la réalité. Le rapport envoyé en automne de la même année donnait une image plus réaliste de l’insurrection. Il souligna que le problème algérien pourrait provoquer une crise sérieuse: «En analysant le problème dans une perspective à long terme, on peut dire que la crise de l’empire colonial français est en mesure de provoquer tôt ou tard une crise très grave de la politique intérieure.” 20 Le manque d’intérêt par rapport aux événements du début de novembre, s’explique d’une part, par le fait que pendant plusieurs semaines il n’y avait plus d’autres actions d’une telle intensité. Et d’autre part, parce qu’en Tunisie et au Maroc ces événements se produisaient régulièrement, presque quotidiennement depuis un an. Les Américains se forgèrent une opinion suivant la logique de la guerre froide. Selon Clark, le consul américain à Alger il ne faisait aucun doute que : ”les terroristes, membres du MTLD, agirent sous la pression de la Ligue arabe”21. Cependant, lors de la rencontre entre Dulles et Mendès-France, fin de novembre, le Sécrétaire d’Etat américain exprima ses craintes à propos des événements d’Algérie. Il considérait la situation comme dangereuse, car elle aurait pu forcer le retrait des forces armées de l’Europe, territoire stratégiquement le plus important de la guerre froide. Dulles refusa la participation des Etats-Unis et de l’OTAN à la résolution du problème algérien en expliquant que Washington ne pourrait suivre la situation que comme observateur extérieur. 22 Les partis du mouvement national algérien nommèrent le régime colonial comme cause de l’insurrection. Toutefois en analysant leur discours, il était évident qu’ils ne partageaient pas les mêmes méthodes que les insurgés. Selon Ferhat Abbas, l’utilisation de méthodes violentes ne prévaut pas à la résolution du problème, il essaie encore de convaincre les autorités coloniales de changer de politique, parce que : «l’ère coloniale est définitivement close23”. Il exprima directement ses idées lors de sa visite au préfet de la ville de Sétif le lendemain de l’insurrection: «Il m’a expliqué que lui n’était pas dans ce mouvement. UDMA ne participait pas à ce mouvement insurrectionel. Il considérait même que c’était une faute énorme. Je suis pour l’indépendance de l’Algérie mais pas comme ça, Votre régime français est si déliquescent que nous allons inexorablement à l’indépendance…Comme le régime colonial ne peut pas se tenir par la force il a proposé deux solutions pour sortir de la crise.24…. Choisissez une des deux solutions. Choisissez vite. Et moi Ferhat Abbas je me batterai pour cette solution qui restera dans le cadre français avec un drapeau français. Mais si vous ne choisissez pas nous allons nous obliger à nous battre contre vous. Et moi qui ne suis pas dans l’insurrection j’y entrerai. L’insurrection gagnera et je vais être du côté des vainqueurs. Mais dites vous bien (et dites autour de vous) que le jour où je me batterai contre vous je le ferai (et c’est sa phrase textuelle) le dos au mur et les larmes pleines des yeux”.25 Les mots du nationaliste algérien le plus français sont très touchants et traumatisants. Cependant, ils n’avaient aucun effet. Le MTLD, dans une déclaration datée du 5 novembre, dénonça le gouvernement comme responsable des actions violentes : sa politique de force et le refus total de la volonté d’autonomie du peuple algérien ont conduit à la violence. Le MTLD considérait que le problème algérien avait atteint sa phase finale et que sa résolution ne pouvait être que politique , et en aucun cas militaire. 26 Le lendemain de la parution de l’article, le ministre de l’Intérieur dissoud le parti. Les Oulémas publièrent le même jour une déclaration dans laquelle ils ne prirent pas position sous prétexte que peu d’informations étaient accessibles. Ils ne commentèrent ainsi pas les événements. Cependant en se référant à la tolérance de l’Islam, ils condamnèrent toutes les actions violentes. Ils pensaient qu’en négociant avec «les représentants véritables du peuple algérien” il serait possible d’arriver à l’instauration de l’autonomie interne. Ainsi, ils ne protégèrent ni les moyens d’action (la lutte armée) ni les objectifs (l’indépendance) du FLN.27

C’était la prise de position des communistes algériens et français qui avait suscité – et continue toujours de susciter – le débat le plus grand et le plus passionnant. En France, ce fut le Parti Communiste Français qui analysait d’une manière complexe le problème algérien, les racines de l’insurrection quoi qu’il ne fût pas vraiment convaincu qu’il s’agissait d’une insurrection nationale. La première réaction du parti fut d’estimer qu’il s’agissait d’une provocation car les actions armées s’étaient déroulés pendant la période durant laquelle le MTLD en pleine crise était au bord de l’éclatement. Le PCF craignait que le pouvoir colonial ne réitérerait la répression terrible de mai 1945 et écraserait les nationalistes. C’est pour cela qu’on peut retrouver dans leur prise de position officielle la phrase la plus fréquemment citée: ”en de telles circonstances, fidèle à l’enseignement de Lénine, le Parti Communiste Français, qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux”. 28 La critique des actes de violence individuels exprimait évidemment une certaine méfiance. Néanmoins, le jour de l’insurrection la direction du PCF recevait des informations sur l’existence du FLN de Pierre Lentin, l’envoyé spécial du journal Libération à Alger, mais toutefois, il ne les considéra pas authentiques. 29 Les données connues se referaient à une insurrection de type blanquiste, d’une base restreinte ce qui surpris les Algériens et ne provoqua point leur activité souhaitée. La déclaration du Parti Communiste Algérien, adoptée au jour de l’insurrection « estime qu’à l’origine de ces événements, il y a la politique colonialiste d’oppression nationale, d’étouffement des libertés et d’exploitation, avec son cortège de racisme, de misère et de chômage” 30 Dans cette déclaration, il ne s’agissait point des «actes individuels” ni de méfiance vis-à- vis de ces actes. Cependant, dans sa prise de position du 14 novembre et du 9 janvier 1955 le PCA exprima clairement ses doutes par rapport aux: ”slogans et aux actions individuelles irréfléchis.” 31 Par la suite, le PCA fit son autocritique: il expliquait sa position erronée par le fait qu’il jugea la situation sociale et politique d’une manière trop schématique interprétant trop rigidement et les conditions décrites par Lénine dans son article «Le marxisme et le soulèvement”. 32. Le PCA, comme tous les partis communistes de l’époque, soutenait les mouvements anticolonialistes. Cependant, il avait une certaine méfiance vis-à-vis de ceux qui n’étaient pas dirigés par des communistes. L’opinion des membres d’origine européenne contribua à la formation de cette position erronée: «Ils trouvèrent la politique des dirigeants trop compréhensive envers les nationalistes et pour cette raison ils quittaient en nombre grandissant le parti.” 33 Cependant, plusieurs membres du parti, par leur propre volonté, épousaient les idées des insurgés, aux premiers jours du soulèvement. La direction ne les retenaient pas. Bien au contraire, elle prit également contact avec le FLN. (Ce fut le seul parti qui le fît si tôt.) Les 7 et 8 novembre puis le 12, Mohamed Guerouf, le membre du comité central, puis son secrétaire Paul Caballero menaient des négociations avec Mostafa Ben Boulaid, le chef de la première wilaya ainsi qu’avec son adjudant. Ils se mirent d’accord que les communistes apporteraient une aide financière aux insurgés34. Il y avait aussi un rapprochement de la part du FLN. Pendant les jours suivant l’insurrection, l’adjudant de Mostafa Ben Boulaid contacta Abdelhamid Benzine, le rédacteur en chef d’Alger républicain, quotidien à tendance communiste. C’était un choix volontaire, car Benzine était membre du PPA dans les années 1940 et, même après son départ, il garda de bons contacts avec les nationalistes. Au cours de ce rendez-vous clandestin, ils se mirent d’accord sur le fait que Benzine serait le contact entre le PCA et le FLN-ALN. 35 Ce qui est frappant dans toute la littérature critique de la position des communistes est qu’elle ignore complètement la position du mouvement communiste international («la ligne de Moscou”) envers les mouvements de libération nationale des colonies. Jusqu’au milieu des années 1950 la politique de Moscou était déterminée par le Kominform («petit Komintern”) qui réprouvait toute forme du nationalisme (gandhisme, panarabisme) dans les colonies. Moscou – les pays socialistes et les partis communistes – attaquaient surtout violemment les partisans de la troisième voie (p. ex. Nehru) qui voulaient rester neutres dans la lutte entre le «camp de la paix” et «celui de la guerre”. La véritable indépendance ne pouvait être réalisée que par la lutte des ouvriers et des paysans dirigée par les PC et aboutissant à la révolution démocratique et populaire (socialisme). La bourgeoisie nationale n’y était pas capable, elle était considérée comme le laquais de l’impérialisme.36 Cette position commence à subir un changement après la disparition de Staline. Moscou s’engage de plus en plus dans les affaires extra-européennes et développe une doctrine à vocation globaliste. attribuant une importance grandissante – même exagérée – aux nouveaux Etats appelés ”ses alliés naturels”.

Ce sont les résolutions du 20ième congrès du P.C.U.S. (février 1956) qui consacre officiellement cette ouverture vers les pays et mouvements non communistes. La bourgeoisie nationale y est réhabilitée et considérée comme force politique autonome et antiimpérialiste. Mais la consécration triomphale de cette nouvelle stratégie tiresmondiste eut lieu à la conférence internationale des 81 partis communistes à Moscou en novembre 1960. «L’écroulement du système de l’esclavage colonial sous la poussée du mouvement de libération nationale est un phénomène qui, pour son importannce historique, vient immédiatement après la formation du système mondial du socialisme”. 37 Dans cette nouvelle stratégie communiste les mouvements de libération nationale reprennent la 2ème place des forces révolutionnaires internationales devant les communistes des pays développés. En moins de dix ans la bourgeoisie nationale parcourut une carrière foudroyante: du traître, du laquais de l’impérialisme elle devint l’alliée privilégiée. Pour apprécier l’attitude des communistes vis à vis du déclenchement de la guerre de libération et du FLN il faut replacer le problème dans ce contexte-là. Ce qui veut dire que le PCA n’était pas dans «la ligne de Moscour” en novembre 1954 (au contraire du PCF). Par ses activités réelles il la devança! Ce qui était son erreur c’était son hésitation: est-ce qu’il devrait s’engager ouvertement et sans équivoque pour la lutte armée? Il attendait encore quelques mois pour franchir le Rubicon: en été de 1955 il constituait les Combattants de la Libération, son unité armée. En résumant notre analyse: les partis du mouvement national avaient compris et expliqué les raisons provoquant les événements, ils sympathisaient quelques fois avec les insurgés, mais en fin de compte, mis à part quelques cas particuliers, ils ne privilégièrent pas encore la lutte armée. Ils pensaient encore que la possibilité de résoudre le problème par voie légale n’était pas disparue totalement. A cause de cela, et de l’offensive armée du pouvoir colonial, le FLN se retrouva dans une situation très difficile. Par conséquent, son existence et sa survie n’étaient pas du tout garanties fin 1945.

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1 Henri Alleg: La guerre d’Algérie. Temps Actuels Paris 1981. 1. k. 430.

2 Rapport de police. Renseignements généraux. 1954. november 2. Archives de la Wilaya d’Alger

3 Fabienne Mercier-Bernadot: La „Toussaint rouge”: que savaient les pouvoirs publics? La guerre d’Algérie Magazine. 6. sz. 35.

4 Le Monde, le 7 novembre 1954.

5 Journal Officiel de la République Française, le 13 novembre 1954. p. 1967.

6 Ibidem pp. 4960-4961.

7 Ibidem pp. 4945-4947.

8 Le Monde, les 21-22. novembre 1954.

9Centre d’Archives d’outre-mer (CAOM) Radio-Télévision, Affaires générales Radios étrangères Voix des Arabes 1.11.1954. 18 h. 93/4514.

10 Entretien avec William Sportisse, Paris, le 15 decembre 1999.

11 Magyar Országos Levéltár (MOL les Archives nationales hongroises), XIX-J-1-j Franciaország 1945-1964. 4. doboz 4/of-18/a. Delalaude francia követ látogatás Boldoczki elvtársnál (La visite du Ministre français chez le camarade Boldoczki) 28 septembre 1955.

12 Voir aussi notre article L’affaire de l’émission en langue arabe de la Radio Budapest. Revue d’histoire maghrébine, nº . 116. (2004) pp. 169-173.

13 Albert Gazier:Autour d’une vie militante. L’Harmattan Paris, 2006. p. 209.
14 Les notes 2138/232 (október 1.) és 2630/232 (november 30.). CAOM 81 F 1005 Fonds ministeriels. Les pays socialistes et
l’Afrique du Nord, Présidence du Conseil.
15 Les notes 2138/232 (október 1.) és 2630/232 (november 30.). CAOM 81 F 1005 Fonds ministeriels. Les pays socialistes et
l’Afrique du Nord, Présidence du Conseil.
16 Afrique du Nord (Articles et documents), Sécretariat général du gouvernement. Présidence du Conseil. 42. sz. CAOM, 36H1.
17 Cahiers de l’Orient contemporain, 1955. p. 154.
18 MOL XIX-J-1-j Franciaország 1945-1964. 5. doboz 003027/1 (1955. május 28) sz. irat
19 Ibidem.
20 Ibidem. 12. doboz 11/4 – 009549.

21 Samya el Machat: La question algérienne en 1954 à travers les archives du Département d’État. Revue d’histoire maghrébine, nº 61-62.p. 42.

22 Sanya el Machat: Les Etats-Unis et l’Algérie. De la méconnaissance à la reconnaissance 1945-1962.L’Harmattan Paris 1996. p. 36.

23 République algérienne, le 12 novembre 1954.

24 L’une serait la constitution de la République Algérienne où les diverses ethnies vivraient en paix et le moteur de la société serait la communauté française. L’autre pourrait être le système de college unique qui assurerait l’égalité de tous les hommes.

25 Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) Archives contemporaines, Témoignages sur la guerre d’Algérie. Jacques Lenoir;

26 Algérie libre, le 5 novembre 1954.

27 Ahmed Nadir: Le mouvement réformiste algérien et la guerre de libération nationale. Revue d’histoire maghrébine, nº 4. (1975) pp. 175-176

28 L’Humanité, le 09 novembre 1954.

29 Annie-Rey Goldzeiguer: La gauche française et le 1er novembre 1954. In Retentissement de la Rèvolution algérienne. (Dir.: Mohamed Touili) Alger-Bruxelles 1985. p. 254.

30 Alger républicain, le 2 novembre 1954.

31 Liberté, le 18 novembre 1954., le 13 janvier 1955.

32 Basir Hadzs Ali: Az algériai felszabadító harc néhány tanulsága.(Quelques enseignements de la lutte de libération nationale algérienne ) Béke és szocializmus (Paix et socialisme, mensuel du mouvement communiste international) n º . 1. 1965. p. 111.

33 Rapport de police. Renseignements généraux le 14 décembre 1954. Archives de la Wilaya d’Alger 34 Henri Alleg, vol. 1.p. 478. Les insurgés ont partagé le pays en six arrondissements, en six zones : 1) Aures-Nemencha 2) Constantine 3) kabilia 4) Alger et ses environs 5)le département d’ Oran 6) Les territoires du Sud(Sahara) La nomination wilya est utilisée à partir de 1956.

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