L’histoire de Yahia et Gamby Diagne résonnait comme un écho du passé, entre l’Algérie et le Sénégal. Deux pays qui me sont chers. Durant l’été 2022, je séjournais du côté de Saint-Louis, au nord du Sénégal, tout près de la frontière mauritanienne. Par l’intermédiaire de connaissances sur place, je fis la rencontre de Gamby Diagne. D’abord très discret, il fut surpris en apprenant que j’étais Algérienne :
« C’est la première fois que je rencontre une Algérienne » m’a-t-il dit.
« Vous savez nous sommes près de 45 millions » lui ai-je répondu sur le ton de l’humour. Mais sa stupéfaction était plus profonde.
Au bout d’un certain temps, il commença à raconter l’histoire de son père, aujourd’hui décédé. Basé à Saint-Louis, Yahia Diagne était soldat dans l’armée française en 1945. Au mois de mai de la même année, il reçut l’ordre d’aller à Alger « mater une rébellion ». Je compris immédiatement à quoi il faisait référence. Mon sang s’est glacé. Gamby eut alors toute mon attention. Le temps s’était comme arrêté, je restais suspendu à chaque mot qu’il prononçait.
Au-delà du récit de son père, ce qui m’a touché le plus était que Gamby pensait que le geste héroïque de son père n’avait aucune valeur aux yeux des Algériens. Il ignorait en fait ce que représentaient les massacres de Sétif-Guelma-Kherrata, et plus largement le colonialisme en Algérie, encore aujourd’hui dans la mémoire collective des Algériens. Une plaie douloureuse et béante dans la chair, qui mettra sans doute des générations à cicatriser.
L’engagement héroïque de Yahia Diagne ne fut pas vain. Au contraire. Il est une étincelle d’humanité dans un temps empreint de la barbarie coloniale. Un geste d’une valeur inestimable pour chaque algérien conscient des crimes du colonialisme.
Malika Bentiba