Une mosquée, pour l’amour d’une princesse

Située dans la basse Casbah, la mosquée Ali Bitchin raconte l’histoire de son édificateur mais aussi et surtout celle d’une union avec une belle princesse.

Ali Bitchin devint l’un des hommes les plus riches et les plus puissant d’Alger au 16 eme siècle. Il avait de nombreux esclaves et ses trésors étaient enfermés dans des salles souterraines. A l’exception du raïs Hamidou qui, lui, vécut vers la fin du XVIIIe siècle, aucun corsaire ne fut autant aimé que Ali Bitchin. Sous son commandement, la marine d’Alger assura sa suprématie en Méditerranée, franchissant le détroit de Gibraltar et poussant loin vers le cercle polaire. Ses corsaires pénétrèrent l’océan Atlantique qu’ils remontèrent jusqu’en Irlande. Par les innombrables richesses qu’il confisquait et rapportait à bord de ses navires, Ali Bitchin contribua ainsi à l’apparente opulence d’Alger. Il laisse son nom à la postérité, mais aussi et surtout une mosquée qui porte son nom et que tous les algérois connaissent.

De quelle origine est le célèbre corsaire ?

En mai 1578, une galère parmi des navires corsaires jetait l’ancre dans la darse d’Alger. Elle traînait à sa remorque un navire vénitien, lourdement chargé de captifs et de richesses. Les captifs débarqués furent tous dirigés vers Bab El-Boustan (marché des esclaves) qui s’étendait dans l’actuelle petite place de la pêcherie.    Parmi eux se trouvait un jeune Vénitien, vif , à peine âgé d’une dizaine d’années, appelé Aldino Puccinin, né à Massa Carrara, en Toscane, vers 1570. La bonne « bouille » et l’air intelligent de l’enfant plurent au raïs Fatah-Allah Ben Khodja qui l’acquit pour 60 pièces d’or. Le jeune Aldino fut aussitôt convertit à l’Islam. Fatah-Allah lui donna le prénom de Ali et de Puccini qu’on lira Ali Bitchin.

Sous l’autorité, l’œil bienveillant et l’éducation du raïs Ben-Khodja, le jeune Ali Bitchin devint rapidement un redoutable corsaire. Celui que l’on nommera le « Lion des mers » deviendra successivement chef de la corporation des Raïs, grand amiral de la flotte navale d’Alger et enfin pacha.

On dit qu’il fit ériger une mosquée s’attirer les faveurs d’une princesse, alors quelle belle histoire d’amour abrite l’édifice religieux ?

La tradition raconte que lorsque Ali Bitchin aperçut pour la première fois la princesse Lalla Lallahoum, la fille de Ben Ali, sultan des Kabyles de Koukou, femme d’une rare beauté et d’une très grande piété, il ne put résister à ses charmes et au désir de l’aimer. Lorsque leurs regards se sont croisés Ali Bitchin perdit le sommeil, ses sens furent troublés, ses jours sans repos…

Accompagné de Lalla N’fiça, veuve du raïs Fettah-Allah Ben-Khodja et d’une nombreuse suite, il se rendit auprès de Ben-Ali sollicitant la main de sa fille. La bravoure et l’intrépidité du corsaire lors de ses sorties en mer, lui avait permis de réunir les plus riches produits des quatre coins du monde. Il déposa au pied de la belle princesse les plus riches tapis de la Perse, les soies et les brocards du pays du Levant, les diamants des Indes, l’or du Pérou …

Malgré tous ses biens et toute sa passion Lalla Lallahoum considérait avec indifférence ces richesses : « Non, dit-elle, je n’ai que faire de tout cela, j’exige que mon prétendant construise une mosquée pour me prouver sa foi ». Son vœu fut immédiatement exaucé et une magnifique mosquée fut érigée, le 4 mars 1622, sur la rue de Bab El Oued, là où Ali Bitchin avait son palais. La Casbah d’Alger se para de ses plus beaux atours pour célébrer un mariage princier.

Cette vieille et remarquable mosquée qui scelle leur amour subsiste encore de nos jours à Zoudj-Aïoun. Elle est composée d’une nef carrée à coupole octogonale qu’entourent, sur trois côtés, des galeries recouvertes d’une vingtaine de petits dômes à la manière de Sainte-Sophie d’Istanbul. La mosquée était également pourvue, à l’époque, d’une fontaine appelée « Aïn ech chara », plusieurs boutiques voisines lui furent attribuées en bien habous en vue d’assurer une rente permanente servant à son entretien.

Un mariage d’amour scelle une union politique et un funeste destin…

En s’alliant au roi des Koukou, Ali Bitchin devint l’homme le plus craint de la Méditerranée. Souhaitant libérer l’Algérie de la tutelle ottomane s’exerçant à travers la régence d’Alger, le lion des mers s’attira les foudres de la sublime porte.

Après diverses manœuvre politique Ali Bitchine meurt dans d’étranges circonstances… Selon l’opinion publique, ne pouvant venir à bout du « lion des mers », le sultan ottoman donna secrètement l’ordre à ses sbires de l’empoisonner. On dit que ce fut sa servante, payée à prix d’or, qui se chargea de lui verser le terrible poison dans son café. C’est ainsi que mourut le « Lion des mers » lâchement assassiné.

Son enterrement fut imposant et une foule, d’un nombre sans précédent dans l’histoire de la ville, y assista. Un religieux chrétien, l’abbé Orse, présent à Alger, écrivit : « Son corps revêtu de riches habits, fut exposé publiquement et gardé par plusieurs compagnies de la milice des janissaires qui se relevaient. Deux bannières déployées rappelaient les victoires qu’il avait remportées sur les chrétiens » … Plus loin, le témoin ajoute : « Le cercueil fut enveloppé dans un tapis vert et l’on déposa dessus les armes dont il s’était servi pendant sa vie. Les marabouts le portèrent à son tombeau. On le plaça, la face tournée vers la Mecque et les bannières rappelant ses exploits, portées par les chefs de la marine, furent placées sur sa tombe. On continua pendant vingt jours à servir sa table à la grande satisfaction de quelques esclaves qui venaient chaque jour se régaler en son honneur »

En dépit de ses ambitions politiques, Ali Bitchin a engagé également des actions caritatives. Après son décès, la princesse Lallahoum continua son œuvre en faisant du bien et aidant les pauvres. Par sa grande piété et sa foi, elle acquit une grande renommée et un grand respect de la part des algérois. Après son décès, elle fut inhumée à côté de son époux à Djebanet el-Bachaouet (le cimetière des Pachas), ancienne nécropole située à la porte de Bab El-Oued.

Rym Maiz

Bibliographie :

Samia Chergui, Les mosquées d’Alger. Construire, gérer et conserver

Dokali, R., Les mosquées de la période turque à Alger


Articles similaires

Documentaire : Maliha Hamidou

La France reconnaît officiellement l’assassinat d’Ali Boumendjel

Les Djwadjla et le commerce du pain, à l’époque Ottomane