UNE LUNE POUR LE PASSE – Partie 5 – Hymne à la toponymie, par Chawki Amari

Le mois du patrimoine, 18 avril-18 mai, coïncide cette année avec le mois de ramadan. Babzman vous propose un petit tour du secteur en 7 parties.

5- HYMNE A LA TOPONYMIE

L’étude des noms de lieux, montagnes, cours d’eau et personnages peut-elle venir au secours de l’archéologie et de l’Histoire ? Peut-être, si les nombreux problèmes, confusions, déformations et traductions impropres, liés à la toponymie sont réglés.  

   C’est le cauchemar du facteur algérien dans les nouvelles villes et cités, remettre une lettre à Mohamed Larbi, cage 2, batiment C, cité des 2000 logements, 4 chemins d’en haut. Cette imprécision dans l’attribution de noms à des cités, des rues ou des lieux donne un chaos psychologique comme l’avait déjà relevé le directeur du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC), Brahim Atoui, également membre du Groupe d’experts des Nations unies pour les noms géographiques(GENUNG) pour l’Afrique, qualifiant de « dérèglement toponymique” cette absence de dénominations.

   La toponymie est large, elle renferme l’anthroponomie, noms de personnages, l’onomastique, étude des noms propres, l’oronymie, étude des noms de montagne, l’hydronymie, étude des cours d’eau et la microtoponymie, étude des noms des ‘’lieux dits ‘’ jusqu’à l’odonymie, l’étude des noms des rues. Toutes des sciences qui peuvent être utiles à l’archéologie à titre d’indicateurs ou de pistes de recherches, liées directement aux peuplements, amazigh ou mégalithique, Ibéromaurusien ou capsien mais aussi les couches suivantes, phénicienne, romaine, byzantine, arabe, espagnole, vandale, turque et française. Un nom peut-il être utile dans la recherche de trésors archéologiques et de pans du patrimoine perdu ? Assurément, si l’on démêle les confusions, traductions approximatives et hypothèses farfelues sur l’origine des noms. Mais comment ? Rappelant l’élaboration d’une base de données en 1996 par un groupe de chercheurs de l’Institut national de cartographie et de télédétection (INICT), comportant quelque 200.000 toponymes, Brahim Attoui encore, propose de l’utiliser, ce qui aiderait « à la distribution du courrier » entre autres, selon lui. Ce qui n’est pas encore fait en attendant son application par l’INICT, instance sous tutelle du ministère de la Défense nationale. Oui, même les noms.

A qui appartient le nom Algérie ?

   La toponymie et d’abord le nom du pays en entier, qui reste encore aujourd’hui sujet à débat. Pour les uns, des îles, djazair, pluriel d’un pluriel (djazira, djazair, djouzour) comme il en existe en Arabe (madina, mada’ine, moudoun), du fait des quelques îlots éparpillés au large de la capitale. C’est lui qui l’a ainsi baptisée, Bologhine Ibn Zighi, refondateur d’Alger en 960 sur la base d’un village berbère lui-même basé sur l’ancienne Icosium romaine établie sur un comptoir phénicien I-Kosim, l’île aux mouettes (i est l’île et im est un pluriel), qui sont en fait des goélands et non des mouettes, ici appelés tchoutchou maleh (de tchoutchou, viande, maleh, salée, car on mangeait des goélands en temps de disette. Bref, un comptoir commercial phénicien établi sur un ancien peuplement local, c’est donc Alger, nommé par Bologhine, un montagnard, et qui sera étendu à tout le pays. Mais peut-on croire que trois ou quatre îlots rachitiques, tellement petits qu’ils sont inhabités, ont pu être à l’origine du nom, les îles ? Peu probable, bien que l’Algérie possède 220 îles sur ses 1400 kilomètres de côtes (et non 1200 dans cet ancien calcul corrigé depuis) selon le dernier recensement du commissariat national du littoral. Mais Al Djazair désignant à l’origine uniquement Alger, on ne peut pas en tenir compte, reste l’explication liée au nom du fondateur lui-même, Ibn Ziri, de la tribu des Zirides, Iziriyen en Tamazight et Banou Ziri en Arabe, du nom du père de Bologhine, Ziri Ibn Menad. Qualifiant l’habitant d’Alger tout simplement de Ziri, qui deviendra Dziri et donnant Dzayer comme le prononcent les Turcs qui en feront la capitale du pays, l’affaire est entendue, Djazair est le pluriel de Dziri, tout simplement.

   Ce n’est donc pas un mot arabe, plutôt berbère, tiré de Ziri mais qui est Ziri ou Zighi Ibn Menad ? Ce n’est pas l’ancien joueur de la JSK mais un chef de la grande tribu berbère Sanhadja qui régnait sur un territoire compris entre Alger et Médéa, Msila, et Miliana et dont l’ascendance complète sera décrite plus tard par l’historien Ibn Khaldoun : Menad est le fils de Mankush, fils de Senac, dit Sanhadj le Jeune, fils de Ousfaq, fils de Jibril, fils de Yazid, fils de Ouasli, fils de Semlil, fils de Jaafar, fils de Elias, fils de Othman, fils de Sekad, fils de Milkan, fils de Kurt, fils de Sanhadj dit le grand, Ancêtre des Sanhadja. Ce qui pose un problème pour le fils de Kurt, né en l’an 900, le père de Ziri serait né en 880, son père en 860 et si l’on continue ainsi à séparer deux générations par 20 ans, l’ascendant Othmane, fils d’Elias et fils de Djaafar, serait né en 700, avant l’achèvement de la conquête arabe (en 709) au Maghreb central, où l’on s’appelait encore Kouceïla, Dihya ou Idir, et pas Othman, un nom typiquement arabe. Le grand Ibn Khaldoun s’est-il trompé dans les dates et les noms ? C’est possible, s’il est admiré pour ses théories sur la sociologie, l’Histoire et même l’évolution biologique, il est de plus en plus contesté sur la généalogie, rattachant par exemple toutes les branches berbères à deux grandes souches, Bernès et Madghis, tous deux fils de Berr et descendants d’un même père, citant par ailleurs une autre source affirmant que Madghis est le fils d’Herak, fils d’Herik, fils de Bedian, fils de Canaan, fils de Cham, fils de Noé. Madghis le fils du Hirak, est donc le descendant d’un personnage biblique, voire babylonien puisque le récit du déluge (bahr ettofane dans le Coran) est tiré d’une légende sumérienne. Quand aux Berbères, qu’Ibn Khaldoun continue à appeler Barbar même si le nom ne vient pas de lui, barbar, « masse de cris inintelligibles » semblable aux « rugissements confus du lion », il les décrit comme « doués d’une noblesse d’âme et d’une fidélité aux engagements et aux traités, de patience dans l’adversité, un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux mais tombé en décadence, perdant son esprit national et son patriotisme au point que beaucoup répugnent à se reconnaitre d’origine berbère. »

   Ibn Khaldoun préférait en réalité l’Egypte (où il a passé la fin de sa vie et y est mort ) au Maghreb alors que ses ouvrages les plus importants ont été écrits en Algérie, à Taghzaout exactement où il était l’hôte des Beni Slama, abrité pendant 3 ans dans leur forteresse (Kalâa). Ecrivant dans une grotte aujourd’hui encore lieu touristique et historique au Sud de Frenda, wilaya de Tiaret, dont le fameux « Livre des exemples », appelé aussi « Livre des considérations sur l’histoire des Arabes, des Persans et des Berbères », avec son introduction jugée plus importante que le livre lui-même et en ce qui nous concerne, les tomes traitant de l’histoire des peuples berbères. Une masse d’informations qui a servi aux Turcs et aux Français lors de leur conquête, qui l’ont abondamment étudié. Il est donc exact et précis s’il a permis ces invasions, pas forcément sur la généalogie des tribus, assez confuse, mais sur les lieux et emplacements. Autant de pistes pour les archéologues, même si des imprécisions sont à relever. Il n’y a bien sûr pas que lui, on peut citer les Ibn Heykel, El Bekri, Ibn Batuta , Al Maliki ou Al Baladuri, Ibn Abd el Hakem et avant eux les auteurs grecs et romains qui ont parlé de l’Algérie, le Maghreb central appelé par les Arabes en opposition à l’Ifrikiya qui englobait la Tunisie et la Libye tripolitaine. L’Algérie n’est donc pas africaine. Sauf pour Léon l’Africain, Marocain, du Maghreb Al Aqsa et pas central, mais qui lui-même se définissait comme « Moi, Hassan fils de Mohamed le peseur, moi, Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d’un barbier et baptisé de la main d’un pape, on me nomme aujourd’hui l’Africain, mais d’Afrique ne suis, ni d’Europe, ni d’Arabie, je suis le fils de la route, de ma bouche, tu entendras l’arabe, le turc, le castillan, le berbère, l’hébreu, le latin et l’italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m’appartiennent. Mais je n’appartiens à aucune. » C’est justement Léon l’Africain qui est à l’origine de beaucoup d’erreurs toponymiques, pas de sa faute mais de celle des traducteurs européens (son livre sur l’Afrique a été écrit à Rome et en Latin), qui ont déformé ses propos et les noms de lieux cités, bases sur lesquelles les historiens et géographes travaillent encore.

Des noms et des origines

   Il y a 100.000 kilomètres des routes goudronnées en Algérie, plus grand pays d’Afrique, mais il y a aussi des pistes, toponymiques, qui peuvent permettre la découverte de trésors, matériels ou immatériels, enfouis sous les noms. Il y a au moins deux El Asnam, l’un désignant l’ancienne ville de Chlef, elle-même anciennement appelée Orléans-ville, et l’autre du côté de Bouira. D’anciennes statues ? Mais de qui ? De quelles divinités ? Locales ou étrangères ? De même, il y a aussi plusieurs Feraoun, à béjaia, près de Timimoun et du côté de Chréa, Blida. Ce nom, qui signifie Pharaon, est-il tiré d’une origine égyptienne antique ? Et le lac Triton où est née la déesse Athéna du crâne de son père Zeus, assimilé à Ammon, dieu Libyque décrit par Hérodote et Diodore de Sicile, est-ce bien l’actuel Chott Djerid tunisien qui déborde sur l’Algérie et qui un temps était vu comme la possibilité d’une mer intérieure dans des projets futuristes ? Que pourrait-on y trouver ? Et L’Atlas mentionné par de nombreuses légendes grecques et romaines, quel est-il exactement ? Le Haut Atlas, le moyen ou l’Anti-Atlas marocains ? L’Atlas tellien algérien ou l’Atlas saharien du même pays mais plus au Sud ? Au Sud-Ouest, dans le Gourara et Touat, les vestiges de noms hébreux, ainsi que des inscriptions dans cette langue, expliquent-ils quelque chose ? Sont-ils le fait de Juifs venus avec les Phéniciens  ou ont fui les Romains ? De tribus locales judaïsées ou de retour d’Andalousie ? Ou encore de Cananéens, précurseurs des Hébreux à Jérusalem et ayant légué aux successeurs le nom même de Dieu, El (celui de Bab-el, la porte de Dieu, de Rapha-el, Isra-el, Isma-el, Azra-el, Israf-il et Gabri-el ou même Agurz-il, le dieu amazigh de la guerre) étant ce dieu cananéen repris par les Juifs (Eloh-im, im étant le même pluriel que pour i-kosim, les Phéniciens descendant directement des Cananéens), les Chrétiens (alléluïa) et les Musulmans (Eloh, Allah). Si ce sont donc des Cananéens, Ibn Khaldoun avait peut-être raison, et s’ils sont plus anciens on peut même penser que ce sont des Egyptiens fuyant les persécutions des prêtres d’Ammon après la tentative de monothéisme avortée d’Akhenaton que des auteurs assimilent à Moïse, une partie s’exilant vers l’Est, une autre vers l’Ouest. D’ailleurs l’ancien capitale des Juifs du Touat fut Tamentit, où l’on retrouver le féminin berbérisé de Amenti, qui décomposé en Egyptien ancien signifie tout simplement Amen-Ti, le Ti indiquant le lieu, comme d’ailleurs en Tamachaq Ti(n)Mimoun, Ti(n)Douf ou Ti(n)Zaouten (et non pas le possessif comme souvent expliqué, « celui » ou « celle »), indiquant la particularité du lieu, Mimoun, le fortuné, Douf et Zaouten, des plantes et arbres typiques de la région. Tamentit serait donc lieu de Ammon, c’est-dire pour les Egyptiens anciens l’Ouest, qui le désignaient ce point cardinal par ce même mot, Amenti, Ammon étant décrit comme un Dieu libyque du désert de l’Ouest (du Nil), ce que le Touat est, à l’Ouest. 

   Ce sont bien sûr des hypothèses, tout comme Medghacen du fameux tombeau dont personne ne sait à qui il est destiné, un pluriel, encore, amazigh, Imedghacen, peut-être de Madghis cité encore par Ibn Khaldoun, fils de Berr ou Hérak, chef d’une des deux grandes tribus berbères. Mais qu’y a-t-il sous ces noms ? Des histoires, des passés et des aventures. De qui ? C’est comme répondre à la question : qui est enterré dans « les bois sacrés », ainsi dénommés depuis des temps immémoriaux par les habitants, celui de la vieille ville de Béjaïa par exemple ou celui que traverse la nouvelle rocade entre Nador et Cherchell au bord de l’oued Hashem. Les noms recèlent donc des trésors, à condition de bien les transcrire.

Le crime suprême de la traduction

   Plateau du Tadmaït, entre El Menia et In Salah, immense hamada désolée mais qui n’a rien à voir avec la verdoyante Tadmaït près de Tizi-Ouzou, bien que ce soit le même nom mais pas un oronyme puisque le premier est plat et la seconde montagneuse. Une légende court sur ce plateau où seuls deux petits villages existent sur une superficie équivalente à la Belgique, In Belbel, du nom d’un arbre si vieux que même ses habitants ne savent pas duquel il s’agit, la désertification n’ayant laissé que des acacias (Zaouten, d’où le nom de Ti-n-Zaouten), et un second village, Matriouen, lieu d’origine du premier d’où les habitants se sont déplacés (de quelque kilomètres) à cause du tarissement des sources. La légende donc, raconte que ces habitants de Matriouène parlent le Latin et sont en fait des Romains installés là-bas il y a 2000 ans. Bien sûr, à Matriouen et In Belbel, tout le monde parle Algérien, le plus normalement du monde et vit à l’Algérienne, mais en analysant le nom Matriouène, encore un pluriel, amazigh, Imatriouène dans sa forme non contractée, il apparait que son singulier pourrait être en effet mater, la mère en Latin. Une légende ? Oui, mais derrière chaque légende, ne dit-on pas que se cache des vérités ? A condition bien sûr d’être sûr des noms, car les déformations et traductions approximatives n’aident pas dans la recherche, pas plus que l’idéologie, ce qui s’est bien vu dans la première traduction italienne de Léon l’Africain pour son livre « Cosmographia de Affrica » (Description de l’Afrique), publié à Venise  en 1525. Selon la thèse de Nabila Chaïb en 2015, « La manipulation idéologique dans l’édition et deux traductions de la Description de l’Afrique de Hassan El Wazzan / Jean-Léon l’Africain », le premier traducteur Ramusio, qui a fait découvrir Léon l’Africain à l’Europe en pleine Renaissance, a sciemment transformé les dires de Hassan El Wazzan en voulait faire du Maghreb central, l’Algérie, un conglomérat berbère sans nation, aux racines gréco-romaines, donc à envahir pour contrer l’influence turque dans la Méditerranée. Nabila Chaïb cite à ce titre un autre ouvrage, « Translation and Power (2002) » de Maria Tymoczko et Edwin Gentzler qui expliquent que c’est à partir des années soixante-dix que les chercheurs et intellectuels ont commencé à explorer la relation existant entre la traduction et le pouvoir. Opposant les Arabes, cruels et sauvages, aux Berbères, non civilisés mais intégrables dans l’ensemble européo-chrétien, le traducteur Ramusio a ainsi déroulé un justificatif et fait passer Léon l’Africain pour ce qu’il n’est pas. Pour preuve, Nabila Chaïb rappelle que cette traduction va être la base pour la suite des éditions du même livre, jusqu’en 1830 (année de la colonisation de l’Algérie) où une nouvelle édition est préparée aux frais du gouvernement français, avec la dernière étape qui s’étend de 1940 à nos jours, marquée par la traduction française d’Alexis Épaulard (médecin et général de l’armée française) en 1956, deux années après le déclenchement de la guerre d’Algérie. Un tournant historique pour l’empire colonial français qui vient de perdre l’Indochine, le Canal de Suez, le Maroc et la Tunisie. Dans un contexte où la France se refuse de perdre l’Algérie, une traduction exaltant la latinité de cette région est de circonstance. Des traductions comme celle d’Épaulard dévoilent sa perception des Arabes en des termes peu élogieux, signalant par exemple qu’El Wazzan est un observateur doué d’un esprit réellement moderne et d’une grande impartialité, de type occidental, suggérant qu’il nourrissait une véritable aversion envers les « Arabes », considérés comme responsables de la ruine de la Berbérie, à l’instar d’Ibn Khaldoun d’ailleurs. Les exemples de détournement sont nombreux, au Moyen-âge, certaines légendes décrivaient les Africains comme des cyclopes de plusieurs mètres de hauteur, des unijambistes ou des individus dotés de cornes ou de queues, rappelle encore Nabila Chaïb.

   Dans la traduction donc, il y a déjà de la trahison comme aiment à dire les puristes de la langue, à l’image des Grecs qui mettaient des « s » partout, tordant les noms originels, transformant Khoufou en Kephren, Menkaouré en Mykérinos et Azar en Osiris, ainsi que divers noms de la mythologie libyque déformés au point qu’on ne peut retrouver aujourd’hui un sens dans les langues locales. Les Algériens eux-mêmes ont cru bon transformer In Amenas, indication de lieu en Tamashaq (in), et Amenas, lieu de repos dans la même langue, en Aïn Oum ennas, (la source de la mère des gens), et l’Amenokal des Touaregs, chef suprême, en Amin el 3ouqqal, le chef des sages alors qu’il s’agit de Am, préfixe qui signifie probablement propriétaire et de Akal, la terre.

   La toponymie est donc bien un champ lexical intéressant au point de vue historique si l’on se débarrasse de l’idéologie et de cette tendance à trouver une signification de lieu dans sa propre langue, quitte à déformer le nom. El Wazzan attribuait la construction de la ville de Mediia (Médéa) aux Africains, Épaulard le traduisant en soulignant que cette ville est romaine de par ses vestiges. De même pour Tlemcen, Tala Imcène, El Wazzan écrit que « l’histoire ne dit pas qui l’a fondée », Épaulard fait remarquer en revanche qu’à l’époque des Romains, elle était baptisée Pomaria. S’agissant de la ville de Tenez, bâtie par les Africains selon El Wazzan, Épaulard ajoute qu’elle s’élève sur les ruines romaines de la ville de Cartennas. Il en va de même pour beaucoup d’autres villes, à l’instar d’Alger, appelée Gezeir par Al Wazzan, bâtie par une tribu africaine du nom de Mezganna. Épaulard reprend El Wazzan et écrit : « En réalité la ville romaine portait le nom d’Icosium », donc romaine, et si El Wazzan pèse bien ses mots comme son nom l’indique, Epaulard avance en déformant encore ses propos que les Berbères n’avaient pas de langue écrite, alors que son propre collaborateur dans sa traduction, Henri Lhotte, étudiait dans le même temps l’écriture tifinagh des Touaregs. Une écriture, oui, mais pas assez utilisée pour raconter sa propre histoire, la laissant s’écrire par les autres, qui en profitent pour la tronquer et déformer ses lieux et noms. D’où l’insistance des chercheurs comme Atoui Brahim, Foudil Icherguen, Ahmed et Neila Chikhi, à fonder une académie de la toponymie. Ce qui soulagerait déjà notre facteur décrit plus haut.

Les noms très propres 

   Heureusement, il y a tous les autres noms, villes et villages, lieux-dits et régions en dehors des dénominations globales, Algérie par exemple, qui ne signifie pas forcément « îles » mais désigne  cette ancienne Numidie, un nom probablement plus proche de la réalité bien qu’attribué par les Grecs qui voyaient en les Nord Africains (les Libyques, de Lebou, ainsi dénommés les Berbères de l’Ouest du Nil par les anciens Egyptiens) des Mèdes (n-ou-medes), Barbarie, Barberia, de barbarisme, Maghreb central ou soleil couchant mais du point de vue arabe (de l’Est) comme l’Amen-Ti  des Egyptiens anciens qui voyaient l’Afrique du Nord comme le pays d’Ammon (Dieu qui a donné aman, imane, amen, amin) où le soleil meurt chaque soir pour renaitre à l’Est. Ifriqia, du verbe faraqa, séparer, pour Hassan El Wezzan-Léon l’Africain, d’une tribu locale, Ifren, pour d’autres, ou encore d’ouvrik, noir. En résumé, le nom global est donnée par des étrangers et ses origines sont incertaines, y compris pour la Tamazgha des Imazighens qui ne signifie par « hommes libres », le mot n’ayant aucune racine tamazight apparentée à « homme » ou « liberté », invention récente qui n’aide pas à la recherche historique. Heureusement qu’il nous reste tout le reste, ces sons de lieux transmis par tradition orale, même si la phonétique peut avoir été altérée par le temps, la paresse et les partis-pris. Citons les jolis Stitten, Taxlent et Tixter, ou Babar, Zbarbar, Abizar et Zouatenlaz, villages aux noms poétiques. Tahaouhaout ou l’imprononçable Terhennanet dans le Hoggar, l’étrange Arzew et le mystérieux Nesmoth, le village Salah Salah Salah, trois fois, et qui existe vraiment, Dendouga et Gartoufa, Fatis, Boufatis, Fesdis et Beni Zentis. Les noms possèdent un particularisme phonétique mais signifient certainement quelque chose ; Aïn Tedles et Aïn Kermes ou Sgagra et Zkara, Aghlad, Agdal, Aghbal et Aghlal, Igli, Timmi et Yellel, les monosyllabiques Sig, Still, Msif, Mcid, Chir et Youb ou les antiques Barbacha, Sougueu et Gueshguesh, les féminines Naïma et Tousnina qui abrite les Jdars de Tiaret, l’oued Lili et l’Oued Nini, Tiout, Tkout et Tit, Anguellou, Tinerkouk et Mertoutek, Tazliza et Tabelkoza, vieux ksours du Gourara, Harchoun et Zbabdja près de Oued Fodda qui ne contient plus d’argent, Guerdjoum, Birbouche, Zenzach et Aïn Bebbouche, Sali et Kali, Mazagran et Mazafran, Fornaka, Aïn Boudinar et Magta3 Douz, Gdyel, Djendel et Cheniguel, Grarem Gouga, Tagouba et In Akachaker dans le Tassili du Hoggar, autant de sons différents qui témoignent d’implantations diverses et de nombreuses cultures. Deldoul, Ichmoul, Yarmoul et Bougzoul, Sebseb, Debdeb et Sebgag, Chenachene, M’Chounech et l’oued Nechou, Timokten et Igosten, Arak et In Ekker ou Hydra à Alger et la forêt de Bouberrak en Kabylie, les monts du Wencharis (Ouarsenis) et les pics de l’Atakor, la plage de Madagh, l’oued Gazoumougzouz qui entaille le plateau désolé du Tadmaït, Oued Abbouchounou au pied du de la colline du même nom, Djebel Za, Gara Ksiksou, Oued Milok, Djorf el Kokol, Zaouiet Kounta, le col de Benchicao et la plaine du Tidikelt ou les très vieux Ksours de l’Aougrout, autant de noms peuvent être compris mais dont d’autres se perdent dans la nuit des temps.

   Sans entrer dans les traductions littérales, Tala Ifacen, la source des mains, Ouled Fayet les enfants du passant, Oued el Khir la rivière du bien ou Hassi Bounif, le puits de l’homme au nez, la toponymie reste une mine d’informations, et ce n’est pas notre facteur qui nous contredira.

Chawki Amari

Illustration : Er. Farnet, Carte administrative des territoires du sud, 1927 © bnf

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