– Tu fais quoi ?
– Je suis secrétaire d’avocat.
– Tu tapes à la machine ?
– Oui.
– Tu as des contacts et des refuges sûr ?
– Oui.
– Alors tu seras contacté à ton travail
Il a tourné les talons et a disparu; Je venais de faire la connaissance de Abane Ramdane !
Témoignage d’une reine pendant la guerre d’Algérie, Izza Bouzekri
« Je suis née à la Casbah, 17 rue des Pyramides en 1928,à l’âge de 3 ans j’ai perdu mon père qui gagnait péniblement sa vie, nous avons déménagé à Notre Dame d’Afrique, rue Carmel où j’ai fréquenté l’école communale jusqu’à l’obtention du CEP puis j’ai continué à la Chabiba où j’ai été imprégnée et sensibilisée à la cause nationale par Cheikh Tayeb El Okbi qui a eu une grande influence sur moi. Nous étions pauvre et ma mère, veuve travaillait, je l’aidais comme je pouvais. J’avais conscience de l’indigence des indigènes comparé au train de vie des colons. L’injustice était flagrante.
J’ai commencé à militer en 1949 au sein de l’AFMA (Association des Femmes Musulmanes Algériennes) sous l’égide du MTLD et présidée par Mamia Chentouf, j’y ai croisé Nafissa Hamoud future professeur Lalliam, nous faisions beaucoup de social et nous entrions dans les mariages de la Casbah et de Delcourt pour entonner des chants patriotiques ce qui nous valait de ressortir avec une petite cagnotte.
En 1949, atteinte de tuberculose, je suis envoyée à Marseille où je suis sauvée in extremis. Lors de mon séjour au sanatorium d’Annecy qui dura environ 15 mois, j’ai été formée à la sténo dactylo.
De retour à Alger, j’ai décidé de m’émanciper en enlevant le haïk au grand désespoir de ma mère, de parfaire ma formation à l’école Pigier.
C’est grâce au MTLD que j’ai trouvé un poste de secrétaire chez un avocat, Maître Boyer, rue Duc des Cars.
Dès le déclenchement de la révolution, j’ai cherché à joindre le FLN, Nassima Hablal fut la première à y accéder et ce n’est qu’en juillet 1957 que mon vœu se réalisa.
Nous avions un voisin qui enseignait l’arabe, Hocine Belmili, avec qui je discutais le matin avant d’aller à mon travail. Un jour, il m’a dit:
– Tu es sûr de vouloir entrer au FLN? – Oui ai-je répondu
– Alors tiens toi prête demain.
Le lendemain par une belle journée de juillet, nous avons pris un taxi direction la Glacière El Harrach, un homme nous attendait, j’ai compris tout de suite que j’avais affaire à un élément important du FLN, il m’a d’emblée tutoyee….
– Tu fais quoi ?
– Je suis secrétaire d’un avocat.
– Tu tapes à la machine ?
– Oui.
– Tu as des contacts et des refuges sûr ?
– Oui.
– Alors tu seras contacté à ton travail.
Il a tourné les talons et a disparu. Je venais de faire la connaissance de Abane Ramdane !
15 jours après, j’ai reçu la visite de Amara Rachid, agent de liaison de Abane: « Abane cherche un refuge », je lui ai présenté Fatima Zekkal Benosmane qui l’a reçu chaleureusement.
J’ai profité de mon travail pour taper tout les tracts et autres documents que le FLN m’envoyait, parallèlement à Nassima Hablal jusqu’à son arrestation en octobre 1955, arrestation à laquelle j’ai assisté ! J’ai cessé toutes activités car j’étais fichée par la police qui me filait matin et soir, tout en continuant mon travail chez l’avocat.
Quelques mois après, Abane m’envoie Mohamed Seddik Benyahia pour me demander d’entrer dans la clandestinité, ce que je fis en m’installant chez la famille Al Kama au 20 rue Bastide.
J’ai eu l’honneur de taper les 6 premiers numéro d’El Moudjahid ainsi que la plate-forme de la Soummam.
Après la grève des 8 jours, la répression était telle que Abane a dû fuir Alger pour Tunis en février 57, me laissant seule avec mon bébé, ma vie de militante s’arrêta net, je n’ai plus eu de ses nouvelles jusqu’à décembre 1957 date à laquelle je reçois un télégramme : »rejoins moi ».
Arrivée à Tunis début janvier 1958, il était trop tard, il venait d’être assassiné mais je l’ignorais et on m’a laissé dans l’ignorance durant 5 longs mois… je l’ai cherché sans relâche jusqu’au jour où j’ai croisé Slimane Dehiles, son ami de toujours, le défenseur de la veuve et de l’orphelin.
Nous avons pleuré Abane ensemble et je l’ai épousé en novembre 1959.
Et depuis, je me suis murée dans mon silence ! »
Izza Bouzekri
Mme veuve Abane Ramdane
Aujourd’hui Mme Dehiles.