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La colonisation française (1830 à 1962)

Quand la torture était décriée par des français « réfractaires »!

lanzaTous les Français ne sont pas restés insensibles à la torture largement pratiquée durant la guerre de révolution. En France même, des âmes sensibles et des êtres simplement humains et foncièrement contre toute forme de violence, ont dénoncé les exactions commises par les militaires français contre des algériens qui luttaient pour l’indépendance. Babzman vous livre des témoignages dans ce sens et des actions lancées par l’Action Civique Non-Violente, très peu connue par les algériens.

 

L’Action Civique Non-Violente se constitue en 1957 en coordination avec la communauté de l’Arche (fondée par Lanza del Vasto, catholique et disciple de Gandhi), mais en dehors d’elle, et en suivant ses propres règlements. Elle est à l’origine des premières grandes manifestations non-violentes en France dans les années 1957-1960.

Lanza del Vasto et ses compagnons alertèrent l’opinion par divers jeûnes de protestation contre la pratique de la torture que subissaient les Algériens combattants, ou non, pour l’indépendance. Ensuite, ils se levèrent contre la bombe atomique française qui se préparait à Marcoule (intrusion sur le site, jeûne public devant l’usine et autre jeûne, à Genève, aux abords du palais des Nations unies). Puis, il y aura un jeûne et des manifestations contre les tortures en France ; puis les premières manifestations (en province et à Paris) contre les camps d’assignation à résidence où le pouvoir français enfermait de façon arbitraire nombre d’Algériens « suspects ». Yvon Bel, un futur réfractaire se souvient :

« Je lisais le Nouvel Observateur et Témoignage chrétien, deux journaux engagés. Ils dénonçaient les tortures et les exécutions, bien avant les aveux du général Aussaresses. La gauche avait lancé la guerre, et le général de Gaulle la continuait. Le parti communiste défilait pour la paix… et envoyait ses gars en Afrique du Nord. L’Église répondait aux jeunes : “La hiérarchie pense pour vous ! ” Et ceux qui en revenaient, comme mon frère René, se taisaient.

 « Où était la fierté des poilus de 14 ou celle des résistants de 40 ?

 « Pour moi, il y avait une incompréhension : pourquoi avoir donné si facilement l’indépendance à la Tunisie et au Maroc et la refuser à l’Algérie ?

 […] « Quelque temps après, j’apprends qu’un groupe parisien se rend tous les jeudis soir, place Vendôme, devant le ministère des Armées, pour faire cinq minutes de silence pour la paix. Pour moi, c’est la révélation : j’ai trouvé des gens qui viennent dire leur conviction, sans hurler des slogans, sans se battre avec les flics, ni se sauver comme des lapins. Évidemment, le jeudi suivant, quand le cortège débouche de la rue de Rivoli, je me joins à eux. Je ne sais plus comment j’ai quitté l’internat ce soir-là, mais je me souviens qu’en cinq minutes de silence j’ai compris toute la puissance de la non-violence. »

1960-1963 : Le soutien aux réfractaires

 

Des jeunes militants essaient de mobiliser pour des actions de refus de la guerre, mais les organisations politiques et syndicales se cantonnent à signer des pétitions et à manifester un anticolonialisme de principe. Les difficultés sont grandes…

C’est une demande de Pierre Boisgontier (un appelé incorporé chez les parachutistes) qui va amener l’Action civique non-violente à s’engager dans ce nouveau combat avec les jeunes qui refusent de partir en Algérie. Ces actions démarrent en automne 1960 et dureront jusqu’au cessez-le-feu au printemps 62, puis elles se poursuivront jusqu’à fin 1963 avec l’obtention d’un statut pour les objecteurs de conscience.

En 1960, donc, l’ACNV met en place non seulement une structure d’accueil pour ces réfractaires mais aussi des formes d’actions de solidarité allant d’un soutien moral, technique et financier jusqu’au soutien physique et concret des volontaires qui se constituaient prisonniers avec eux (il y avaient « onze Jack Muir », « six Michel Hanniet », « sept André Bernard », etc.). Ainsi, le réfractaire n’était pas seul à se faire arrêter. Par la suite, il pouvait encore compter sur d’autres solidaires pour préparer son procès et garder le contact pendant son emprisonnement. Son geste était constamment relié aux autres actions en cours. Une trentaine de réfractaires se font ainsi arrêter.

André Bernard raconte :

 « Un moment, alors que nous étions quelques-uns dans une pièce [sur le chantier] à discuter, deux gendarmes passent la porte et me demandent. Je me lève. Pas avant, pas après, mais en même temps que moi, d’un seul mouvement, six autres se lèvent en disant : “C’est moi, André Bernard. ” Surprise des gendarmes ! Mais je le suis tout autant qu’eux, pourtant bien prévenu, mais il y a une telle distance entre le geste et la parole ! La solidarité physique, c’est autre chose que le blablabla des mots. Ce qui est sûr, c’est que l’émotion éprouvée ce jour-là est toujours présente. Les gendarmes rebroussèrent chemin, provisoirement… »

Christian Fiquet déclare :

« […] Je pense que la petite « mise en scène » que nous faisons avant d’être arrêtés : détruire nos identités pour n’en avoir qu’une même, est plus qu’un symbole. »

Il sera condamné à trois ans de prison.

L’engagement

Pouvaient participer tous ceux qui promettaient de respecter la consigne de non-violence et d’action collective tant que durerait cette guerre. Il ne s’agissait donc nullement d’un regroupement de non-violents mais d’une forme de désobéissance civile limitée dans le temps (même si l’on ne pouvait évidemment pas savoir combien de temps cela durerait) et ouverte même à ceux qui étaient déjà incorporés (ou qui avaient déjà fait leur service). C’est ainsi que parmi ces réfractaires se trouvaient des insoumis (ceux qui n’ont pas mis un pied à l’armée), ceux qui avaient fait un refus d’obéissance à la caserne et les déserteurs, des militaires qui avaient choisi de fuir l’armée. Sans oublier les étudiants qui avaient résilié leur sursis.

Claude Voron, étudiant en astronomie, écrit :

« Je résilie mon sursis pour bien signifier que je ne me dérobe pas devant le problème de la guerre. Cependant, je pense mieux construire la paix des cœurs en réalisant un service civil en Algérie qu’en étant contrôleur des opérations aériennes. »

L’organisation

Si une trentaine d’hommes, de fait, étaient en première ligne lors de cette action, tout avait été pensé et organisé de telle façon qu’un grand nombre de personnes, chacun selon ses moyens, puisse y participer. L’engagement des femmes allait de soi. La structure mise en place était souple et à plusieurs niveaux.

– Un premier cercle est donc constitué par ces jeunes que l’on appellera « réfractaires ».

– Un deuxième cercle est formé par des hommes qui, ayant passé l’âge du service militaire, se libèrent de leurs obligations professionnelles pour soutenir les premiers (se constituer prisonnier en prenant l’identité du jeune). Cette forme de solidarité active pouvait aller jusqu’à la désobéissance civile avec les risques de sanctions que cela implique. Il y avait aussi des renvois de livrets militaires (un renvoi de livret militaire est un véritable « parrainage » lorsqu’il est effectué lors du procès d’un jeune réfractaire).

– Dans le troisième cercle, il y avait d’abord les hommes et les femmes qui s’étaient également libérés de leurs obligations familiales et professionnelles pour être des permanents sur les chantiers et au secrétariat qui coordonnait les différents cercles et les individus isolés. Mais il y avait aussi des personnes moins engagées qui apportaient une aide plus ponctuelle, physique, morale ou financière. Tous les groupes de l’ACNV de province ainsi que les groupes des Amis de l’Arche en faisaient également partie.

Les formes multiples de la solidarité :

1. Organisation de manifestations et procès en province ; chaque arrestation et chaque procès ayant lieu dans des villes différentes.

2. Envoi de lettres de réconfort, ou d’explication, aux familles. Josette Bel se souvient :

« J’étais très touchée par les lettres venant de différents pays qui exprimaient un soutien à cette action et par l’accueil à Marseille des amis de l’ACNV quand je venais, avec mon bébé dans les bras, pour le procès d’Yvon. L’échange de lettres avec lui était presque quotidien : je racontais le monde extérieur ; lui, disait la promiscuité, l’ascèse des cellules, la joie active des chantiers. Nous ne disions pas nos peurs. Sans doute n’en éprouvions-nous ni l’un ni l’autre. »

3. Des dizaines de lettres sont également envoyées aux présidents des tribunaux militaires lors des procès.

Par exemple, pour le deuxième procès d’André Bernard, la plupart des témoignages (écrits le plus souvent à la main) étaient d’abord envoyés à sa compagne qui les recopiait à la machine à écrire avant de transmettre les originaux au tribunal.

4. En fournissant hébergement et moyens de transport, ces « solidaires » font également tout leur possible pour que les compagnes des réfractaires puissent, si elles le désirent, les suivre au plus près lors de leurs différents déplacements (au gré des chantiers, des arrestations, lors de la visite psychiatrique, lors du procès).

Françoise Fiquet raconte :

« L’ACNV m’a fourni une adresse en Algérie, chez des quakers visiteurs de prison, où j’ai séjourné pendant un mois, et également lors du procès. De même à Aix-en-Provence quand Christian était à l’Etape. »

5. La caisse de solidarité pouvait aussi garantir le salaire du réfractaire dont la femme ne travaillait pas à cause d’un enfant en bas âge.

Provenance de l’argent

Les recettes provenaient uniquement de dons de particuliers et des abonnements au journal. Un bilan financier y était publié chaque trimestre avec, si nécessaire, un appel à la solidarité.

1961 – L’action continue malgré des événements dramatiques : le putsch d’Alger du 24 avril et la répression de la manifestation des Algériens le 17 octobre à Paris.

1962 – La fin de la guerre d’Algérie

L’ACNV, qui ne veut pas abandonner ceux qui sont encore en prison (plusieurs procès sont prévus), se voit alors obligée de repenser sa stratégie ; elle amorce une nouvelle orientation et pense que chacun doit désormais reconsidérer son engagement. Il faut ajouter que certains réfractaires qui ne s’opposaient qu’à cette guerre coloniale n’ont désormais plus envie de reprendre l’uniforme tandis que trois d’entre eux adoptent le compromis proposé par les autorités en juillet : libération immédiate de tous ceux qui acceptent une affectation dans un service non armé : santé ou intendance.

Par ailleurs, avec la grève de la faim de Louis Lecoin, la lutte s’oriente vers l’obtention d’un statut de l’objection de conscience, quel qu’en soit le motif. L’ACNV appuie ce combat et accueille des jeunes gens voulant bénéficier de la nouvelle législation. Les réfractaires sont regroupés au camp de Mauzac (Dordogne) à partir d’octobre.

1963 – Le statut se fait attendre

Après leurs procès, les réfractaires sont toujours envoyés au camp de Mauzac et l’ACNV continue de soutenir tous ceux qui sont déjà engagés. Elle accueille même de nouveaux jeunes qui refusent l’armée, mais sur les nouvelles bases fixées fin 1962. La pression sur le gouvernement ne se relâche pas. Les réfractaires écrivent aux autorités :

« Depuis le mois d’octobre 1962, nous sommes regroupés à Mauzac dans l’attente du statut instituant le Service civil. De plus, ce que nous pensons être un essai de service civil, devait être effectué sous la forme de travaux divers utiles à une commune de Dordogne, dans le cadre de la législation pénitentiaire appliquée aux détenus employés sur des chantiers extérieurs. » Un chantier est finalement organisé et ils construisent un foyer rural.

Le statut est enfin voté en décembre.

1964 – Cela se termine comment ?

L’histoire des réfractaires à la guerre d’Algérie est bien finie. Chacun retourne dans son milieu professionnel et politique enrichi de cette expérience. Certains essaieront dorénavant d’y mettre en pratique l’idée de l’action non-violente.

Tous les réfractaires qui n’avaient pas encore terminé leur période furent convoqués, en été 1964, à Brignoles (Var) dans le cadre de la Protection civile pour former un corps de secouristes pompiers. Ils s’organisent eux-mêmes, et ces nouvelles générations doivent encore lutter pendant plusieurs années pour que le statut soit accessible au plus grand nombre et s’effectue réellement dans un cadre civil et ce jusqu’à la suppression du service militaire en 2002. Ce sont quelque 75 000 jeunes gens qui en ont bénéficié.

Quant à l’ACNV, quelques personnes se lancent dans un projet communautaire de formation à la non-violence qui fait long feu.

 

Sources :

  1. https://ldh-toulon.net/l-action-civique-non-violente.html

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