Hadj Embarek fait partie de cette catégorie de « Raïs» qui ont marqué l’histoire de la Marine algérienne. Son histoire est entourée de légendes ; et longtemps après sa mort, les historiens doutaient encore de son existence. Pourtant, il a bel est bien existé. C’est peut être même, le Raïs le plus vieux du XVIIe siècle.
Il sillonna la Méditerranée de part en part durant une vingtaine d’années et se fit une popularité telle, sur les côtes d’Espagne que les mamans espagnoles menaçaient leurs enfants de faire appel à Hadj Embarek pour les punir, quand ils n’étaient pas sages.
Excellent marin, courageux jusqu’à l’inconscience, il connaissait les moindres mouillages des côtes espagnoles. Il arrivait la nuit, alors que les villages étaient endormis et tombaient brutalement sur les habitants. Prenant tout ce qu’il pouvait prendre et faisant des prisonniers en grand nombre, les mesures prises par les Espagnols pour préserver leurs villages côtiers restèrent vaines, il était insaisissable.
Le Roi d’Espagne n’en pouvait plus de subir les attaques du Raïs si bien qu’il décida, devant les plaintes incessantes de ses sujets, d’offrir la plus grande récompense de tous les temps à qui capturera ou mettra hors de nuire ce Raïs. En effet, richesses, honneurs et célébrité étaient promises et l’on assista à de grandioses préparatifs de la Marine espagnole et chaque commandant rêvait de capturer Hadj Embarek.
Pour cela, il fallait être plus rusé que lui, alors les Espagnols imaginèrent toutes sortes de stratagèmes pour attirer ce Raïs et «tomber sur lui comme la foudre», ce qui finit par réussir à l’un d’eux, car voici ce qui s’est passé…
«Un jour, alors que le Raïs Hadj Embarek voguait à la tête de son équipage sur son chebek, à la recherche d’une prise possible, il aperçut au loin un immense galion espagnol dont rêvaient tous les Raïs, c’est-à-dire plein de richesses. (1)
Ce galion avait l’air si chargé de marchandises qu’il donnait l’impression de faire du surplace, alors le Raïs donna l’ordre de s’approcher au maximum du navire pour préparer l’attaque, mais dès qu’il s’en approcha, l’atmosphère changea brusquement.
Le galion était camouflé par d’immenses bâches qui tombèrent aussitôt, laissant apparaître une rangée de canons qui ouvrirent le feu sur le chebek, alors que le drapeau espagnol était hissé. C’était une ruse, il ne s’agissait pas d’un navire marchand, mais bel et bien d’un navire de guerre plein de soldats et marins.
Le Raïs ordonna de virer de bord, mais le galion dont on avait hissé toutes les voiles pouvait, grâce au vent, se mettre dans le sillage du chebek, lequel malgré plusieurs tentatives pour s’échapper tombait chaque fois sous les bordées de canons du galion.
Jugeant la situation désespérée, le Raïs décida de se rendre, épargnant à ses hommes une mort certaine. Une joie indescriptible s’empara du commandant espagnol, lorsqu’il reconnut Hadj Embarek parmi les captifs. Il commençait à rêver aux honneurs et à la fortune qui l’attendaient. Il venait de capturer l’ennemi juré du roi d’Espagne. Il avait enfin réussi à délivrer l’Espagne de celui qui la terrorisait.
Le commandant imagina alors de faire amarrer le chebek à même le flanc du galion, presque à le hisser pour que la prise soit totale.
Imaginez donc… ramener le Raïs, l’équipage et le chebek…
Ce qui fut d’ailleurs fait ; le chebek étant nettement plus petit que le gros galion, il fit monter des marins sur le chebek pour garder les prisonniers et les voiles grossies par le vent, tout le monde fit route vers l’Espagne.
Une grande fête fut organisée sur le galion et on y distribua vin et nourriture à profusion, mais surtout de l’eau-de-vie. Les réjouissances se poursuivirent la nuit entière, si bien que la plus grande majorité des officiers et matelots ne tenaient qu’à grande peine sur leurs jambes.
Raïs Hadj Embarek assistait avec tristesse à la victoire des Espagnols, et en observant l’état avancé d’ébriété des gardiens, il voyait là une occasion de tromper leur vigilance et de retourner la situation à son avantage. Il fit passer la consigne à ses hommes afin qu’ils se tiennent prêts au signal, à fondre sur les gardiens et s’emparer de leurs armes.
C’est aux cris d’«Allah Akbar» qu’ils se précipitèrent tous à l’assaut du galion.
Une lutte sans merci s’engagea et au bout d’une heure de combat, Raïs Hadj Embarek était maître du galion. Après avoir balancé les morts à la mer, il mit les survivants au fond de la cale et les enchaîna.
Tout le monde vira de bord et cap sur «Bled El Djihad», El-Djazaïr, où ils arrivèrent dans la matinée. Quel fut le spectacle ! Les habitants d’Alger l’Indomptable, voyant arriver un curieux gros navire espagnol, un chebek accroché au flanc et trônant fièrement en haut de son mât, le magnifique étendard algérien vert et jaune constellé d’étoiles dorées.
A l’entrée du port, il fut accueilli comme le voulait la coutume, par les navires des autres Raïs qui firent tonner des salves de canons en son honneur, tandis qu’au loin lui parvenait, comme portés par le vent, les youyous joyeux des femmes de la Casbah, saluant son retour.
Hadj Embarek n’oublia pas, comme la tradition le voulait, de faire donner trois coups de canon, en signe de dévotion du saint patron d’Alger, Sidi Abderrahmane, en guise de remerciement pour la baraka sollicitée avant le départ, cinquante jours plus tôt, par Hadj Embarek. (2)
Ceci est une version de l’histoire, documentée et appuyée par des recherches, mais ne peut en aucun cas s’avérer exhaustive.. Le débat reste ouvert!
1) Devoult, la Revue africaine
2) L’oralité algéroise
Illustration : Vue d’Alger en 1688. Gravure de Wolfgang
B. Babaci
écrivain chercheur en histoire