Le jeudi 10 novembre 1955 à 18h30, les sirènes de la prison du Coudiat sont déclenchées. Les bruits atteignent tout le centre-ville de Constantine. L’établissement se trouve à quelques dizaines de mètres de la place de la Pyramide. L’information fait le tour de la ville comme une traînée de poudre : Mustapha Benboulaïd s’est évadé.
Un évènement qualifié de spectaculaire et même de sensationnel par la presse française de l’époque et qui révèle le génie de Mustapha Benboulaïd. Arrêté à la frontière libyenne au mois de février 1955, alors qu’il était en mission pour ramener des armes, le chef charismatique de la région des Aurès a été condamné à la peine capitale en septembre 1955 par le tribunal militaire de Constantine.
A la prison du Coudiat, il n’avait qu’une seule idée en tête : s’évader. Après avoir recueilli toutes les informations sur la prison, Benboulaïd se rendit compte que la cellule collective du rez-de-chaussée, où se trouvaient les 30 détenus, tous condamnés à mort, est mitoyenne d’un débarras qui s’ouvre sur une petite cour intérieure. Les deux locaux de la prison se trouvent du coté de la rue de Généraux Morris (actuelle rue Benlazrag Brahim).
Le plan commence à se dessiner : il suffit de desceller la dalle de ciment et creuser un tunnel pour rejoindre le débarras jouxtant le dortoir. C’est ainsi qu’on a commencé à creuser au début du mois d’octobre 1955. Un travail de longue haleine qui durera 28 jours. Le tunnel s’ouvre sur le débarras où se trouvent entreposés des ballots de crin et du matériel de couchage. Rien de plus simple que de fabriquer une échelle, en assemblant trois lits, attachés avec des bandelettes de toile découpées des draps.
Onze détenus prennent la fuite
Le jour de l’évasion a été choisi : le jeudi 10 novembre 1955, après le tirage au sort effectué par Benboulaïd pour choisir les détenus qui sortiront les premiers. L’heure a été fixée juste après 17h. C’est le moment où les gardiens quittent la prison pour rentrer chez eux. Il n’en resta plus que trois gardiens. L’un à la porte d’entrée, et deux autres pour effectuer les rondes. Les détenus commencent à passer dans le tunnel. Dans le débarras, la serrure céda rapidement et la porte s’ouvre sur la petite cour intérieure. Il n’y a aucun gardien. Les ballots de crin adossés au mur intérieur servirent à le grimper.
Une fois sur le mur, ils le traversèrent jusqu’à la partie située en face de l’ex-rue Stephane Gsell (aujourd’hui la station Benabdelmalek du tramway). Un lieu désert et mal éclairé, avec une piste impraticable. Les évadés se servent de l’échelle comme d’une passerelle pour franchir le vide surplombant le chemin de ronde séparant les murs intérieur et extérieur. Au passage du 12ème évadé, la passerelle s’est effondrée. Celui qui passait à ce moment était Saïd Chouki. Il sera trouvé entre les deux murs avec une jambe cassée. Onze détenus ont réussi à descendre le mur extérieur et prendre la fuite.
Le premier était Mohamed Laifa, suivi de Mustapha Benboulaïd, Tahar Zebiri, Brahim Taibi, Mohamed Beziane, Hocine Arif, Hamadi Krouma, Ahmed Bouchemal, Lakhdar Mechri, Slimane Zaidi et Ali Haftari. Les 19 autres détenus, descendus dans le chemin de ronde se sont trouvés enfermés. Ils regagneront la porte du garage, près de l’entrée de la prison où ils se sont rendus. Ils seront reconduits vers leur cellule. Les recherches déclenchées pour retrouver les évadés n’en donneront rien. Le coup a été très dur pour les autorités françaises.
Dans son édition du samedi 12 novembre 2014, La Dépêche de Constantine a révélé qu’en se rendant à la prison, le préfet de Constantine, Pierre Dupuch, a été choqué à la vue du trou creusé dans la cellule. Les premières mesures tombèrent. Louis Maudru, directeur de la prison du Coudiat, et Louis Bernardino, surveillant-chef, ont été relevés de leurs fonctions et mis sous mandat de dépôt pour négligence grave dans l’accomplissement de leur service. Ils ont été écroués dans le même établissement.
Les sanctions ont touché Mr Augusti, directeur de la Circonscription pénitentiaire de Constantine, qui a été relevé de ses fonctions. La nouvelle de l’évasion ne sera pas publiée le lendemain dans la presse sur ordre des autorités « pour ne pas alerter les complices qui auraient pu aider les évadés ». La nouvelle ne fut donnée que le samedi 12 novembre 1955. Les 19 autres détenus seront transférés en janvier 1956 vers la prison de la Casbah, où les exécutions à la guillotine furent entamées dès le mois d’août 1956.
Arslan Selmane El Watan du 10 novembre 2014