Au début du XVIe siècle, le Maghreb central (actuelle Algérie) entre dans une phase d’anarchie. Le royaume Hafçide se replie sur la Tunisie, les derniers Abd el-Wadides s’enferment dans la capitale de leur ancien royaume : Tlemcen. Entre ces deux pôles de civilisations, apparaissent de nombreux petits royaumes et des territoires indépendants. Cette désagrégation devait favoriser l’expansion espagnole.
Entre 1505 et 1511, l’Espagne s’empare des principales villes, à partir desquelles elle espérait conquérir les territoires intérieurs, mais l’intervention turque ne devais pas lui en laisser le temps; car les habitants d’Alger, las de la menace constante des canons espagnols, sollicitèrent l’intervention d’aventuriers qui s’étaient installés à Djidjelli en 1514 : les frères Barberousse.
L’aîné Aroudj devait asseoir sa domination personnelle sur la Mitidja, la vallée du Chélif, le Titteri, le Dahra, l’Ouarsenis, et la ville de Tlemcen. Aroudj ayant été tué lors de la bataille de Rio Salado en 1518, son frère Keir ed-Din lui succède, et son premier acte politique sera de faire allégeance au sultan de Constantinople, Sélim. Le sultan se voyait ainsi offrir la souveraineté du royaume d’Alger à bon compte, nomma Kheir ed-Din Beylerbey, lui envoya 2000 soldats armés de mousquets, de l’artillerie et l’autorisa à lever des volontaires en Turquie.
De cet acte politique, date la domination turque en Algérie; d’un point de vue institutionnel la régence s’exprime à travers 4 régimes différents, qui vont se succéder : Beylerbeys, pachas triennaux, aghas et deys.
Les beylerbeys
Le régime des beylerbeys a duré près de soixante-dix ans, de 1518 à 1587. Né de façon fortuite, ce système d’administration de l’Algérie devait engendrer lui-même ses propres règles. Les frères Barberousse se sont imposés à Alger grâce à leur force navale, et déjà en 1512, Aroudj commandait à une flottille de douze galères. les capitaines de ces navires, corsaires, conscients de leur importance, devaient jouer un rôle politique en constituant ce qu’il est convenu d’appeler la « taïfa des raïs ». Cette corporation de capitaines corsaires, était composée en grande partie de « Turcs de profession », c’est-à-dire de chrétiens venant le plus souvent de Calabre, de Sicile, ou de Corse, qui, devenus renégats, se livrèrent à la course pour leur propre compte, et celui du sultan de Constantinople.
Jusqu’au XVIII e siècle, la Taïfa des raïs jouit à Alger d’un immense prestige auprès de la population. En effet, le produit de la course est l’un des facteurs essentiels de l’économie algérienne. Lorsqu’en 1518, Kheir ed-Din fit acte d’allégeance envers le sultan, il reçut en contrepartie un renfort de janissaires turcs. Ce sont eux qui allaient être les principaux artisans de la conquête du territoire algérien. Regroupés au sein de l’Odjaq, méprisé par les raïs qui les appellent les « bœufs d’Anatolie« , ils vont constituer la seconde force politique.
Sous le régime des beylerbeys, les membres de l’Odjaq (yoldach), élisaient directement leurs chefs. Leur communauté est solidement hiérarchisée, et jouit de multiples privilèges : les yoldach sont nourris, ils bénéficient d’exemptions fiscales, et ne relèvent que de leur propre juridiction. Malgré les avantages consentis l’Odjaq, durant cette période, les janissaires n’ont pas été associés au pouvoir suprême.
Le beylerbey est en théorie, librement désigné par le sultan; mais en réalité il est toujours choisi parmi les raïs et de préférence dans la famille, ou au sein des principaux lieutenants de Kheir ed-Din. L’ombre de ce dernier plane sur l’Algérie, et le sultan de Constantinople ne se sent pas encore en mesure d’imposer pleinement sa volonté. Notons cependant que les beylerbeys se montrent toujours, très respectueux des ordres du sultan.
Le plus souvent, le beylerbey ne siège pas à Alger. Tantôt il participe à des expéditions militaires contre les Espagnols, en Tunisie et à l’intérieur même du territoire algérien; tantôt, et ce sera le cas le plus fréquent, il s’embarque pour diriger la flotte des corsaires. Durant son absence, il délègue ses pouvoirs à un khalifa. C’est ce qui explique sans doute que lorsqu’un beylerbey est appelé à un poste supérieur (capitan-pacha : amiral de la flotte ottomane), la charge n’est pas pourvue, et la Régence continue à être administrée par des khalifas. C’est presque une monarchie viagère et semi-héréditaire.
A la mort d’Euldj Ali, qui fut beylerbey de 1568 à 1587, le sultan put croire que le moment était venu de rattacher plus étroitement l’Algérie à l’Empire ottoman, c’est la raison pour laquelle il ne nomme plus de beylerbey; à sa place un pacha est désigné pour une durée de trois ans. C’est ce qu’on appelle le gouvernement des pachas triennaux.
Mira B.G
- D’après le livre : « La domination turque et le régime militaire 1518-1870″, C. Bontems
- Illustration : Sultan Sélim II, dit le blond (1524-1574)