– » Vous avez réussi la première épreuve, passons à la seconde ! Voici un rocher qui bouche un passage secret, nous nous mettons à quarante pour le déplacer, essayez de le bouger en unissant toutes vos forces ! »
Celui qui jonglait avec les meubles s’avance tout seul vers le rocher, il lui imprime un savant tour de rotation. Il bouge et dévoile le passage caché. Les ogres sont ahuris. A lui tout seul, il a fait bouger le rocher, et s’ils s’étaient mis à quatre, qu’auraient-ils fait ?
– « Vous êtes sortis vainqueurs de la deuxième épreuve, réussirez-vous la troisième ?
– On essayera !
– Nous sommes capables de tuer quarante lions et quarante vipères à la fois, pouvez-vous en faire de même ? »
Celui qui labourait avec des lions et qui se servait d’une vipère comme aiguillon s’avance. :
– « Je suis capable de cet exploit. »
On le met en présence des fauves et des reptiles, il leur brise à tous l’échine.
La troisième épreuve gagnée les quarante ogres ont eu peur de se frotter à ces jeunes, qui semblaient décidés à tout. Ils consentirent d’un commun accord, et ce afin d’éviter les ennuis, à laisser partir leur jeune sœur avec ce jeune homme qui promet. Bah ! se disaient-ils, un homme qui a bravé tous les dangers pour pouvoir se marier avec notre sœur n’est pas n’importe qui. Elle sera heureuse avec lui. Laissons-les partir en toute tranquillité.
La mission accomplie, les quatre hommes sont retournés, chacun à sa vocation, auréolés de leurs exploits. Et le fils du roi ne manqua pas de les récompenser, dès son retour au palais.
Après s’être séparé de ses trois compagnons, le jeune prince et la jeune sœur des ogres entament le chemin du retour, mais ils se perdent en cours de route. Avisant un homme, ils lui demandent le chemin à suivre pour arriver à la capitale du pays. Il leur dit :
– » Avrid’ idhoulen itsouadhmen Avrid’ ioudzlen d’ouin inouaâren ! (Le chemin le plus long est sécurisé, le plus court est plein de dangers !).
– Puisque je suis très pressé, je prendrai le chemin le plus court.
– Fais comme bon te semble, mais n’oublie pas mes mises en garde ! »
Le prince et la jeune fille enfourchent leurs chevaux. Au détour d’un sentier, ils tombent nez-à-nez avec un géant noir qui leur barre la route.
– « Ce sont mes terres, ici. Vous ne passerez pas, si vous ne me payez pas !
– La route appartient à tout le monde. Je passerai sans rien payer que tu le veuilles ou non. Ta taille de géant ne m’impressionne pas ! «
Les deux hommes s’affrontent à l’épée. Le combat dure une journée, mais, à la fin, le combat fut emporté par le prince héritier. Vaincu, le géant lui dit :
– « Our iyi neq ara Ak’ oughalagh d’-ak’li Ak’ thedough d’i levghi ! (Ne me tue pas, et je serai ton esclave pour la vie !).
– Puisque tu consens à devenir mon esclave attitré, je vais te demander d’accomplir ta première mission. Tu accompagneras la sœur des ogres au palais. Tu diras à mon père le roi que je l’épouserai dans quelques mois. Tu veilleras sur elle comme sur la prunelle de tes yeux. Attention ! pour le moment je vais accomplir une autre mission dans un pays lointain, et je ne sais pas combien de temps je vais rester ! »
Le géant, accompagné de la sœur qui était resplendissante de beauté, fait son entrée au palais. Le roi est mis au courant à son sujet. Une année passe sans que le prince ne donne signe de vie. Le roi qui croyait que son fils était mort, lorgne sur la sœur des quarante ogres. Puisque son fils n’est pas revenu, il allait épouser sa fiancée. Bien qu’étant le roi, il demande l’avis de l’assemblée.
Elle déclare que cela est « h’alal » (licite) à l’unanimité. Seul le fils de la veuve désapprouve l’union. Le roi prépare son mariage avec la sœur des ogres. Mais avant que le mariage ne soit consommé, les membres de l’assemblée qui ont approuvé l’union du père avec la fiancée de son fils, désirent la voir. Le fidèle géant noir leur refuse l’entrée. Sur ces entrefaites, le jeune prince qui s’était exilé rentre au pays déguisé en homme du peuple. Devant l’entrée de la demeure de la jeune fille, le jeune prince demande ce qui se passe. On l’informe. On lui dit qu’un géant noir barre la route aux membres de l’assemblée qui veulent voir de leurs propres yeux la nouvelle fiancée du roi.
Il aura affaire à moi. Comptez sur moi ! Le jeune prince déguisé se précipite sur le géant. Il le reconnaît. Ils font semblant de se battre à l’épée. La sœur des ogres, qui regardait par une fenêtre l’âpre combat, reconnaît le fils du roi. Pour mettre fin au « combat » elle lance autour du cou du géant un boyau rempli de sang. Le jeune prince le pourfend de son épée, le sang se répand faisant croire à tous les présents que le géant a été tué.
Ils acclament l’exploit. Le jeune prince profite de la confusion pour entrer au palais, se fait reconnaître par les gardes auxquels il demande de laisser rentrer les membres de l’assemblée. Une fois dans l’antichambre de la sœur des ogres, il les balance un par un au bas du mur. Après avoir réglé le compte à tous les membres de l’assemblée qui ont avalisé un acte que la morale réprouve, le jeune prince apprend que le fils de la veuve a été le seul à s’opposer au projet. Il l’appelle, le remercie et fait de lui son ami. Le roi était penaud, mais l’incident est clos.
Les noces du prince et de la sœur des ogres durent sept jours et sept nuits. « Our kefount eth’houdjay i nou our kefoun ird’en tsemz’ine. As n-elâid’ anetch ak’soum ts h’em’zine ama ng’a thiouanz’iz’ine. » (Mes contes ne se terminent, comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd nous mangerons de la viande avec des pâtes, jusqu’à avoir les pommettes rouges et saillantes).
Source :
- Lounes Benrejdal, dans le quotidien algérien La Dépêche de kabylie
Retrouvez les premières parties, sur Babzman.com: https://www.babzman.com/2014/le-conte-du-jeudi-le-prince-cloitre-partie-i/
https://www.babzman.com/2014/le-conte-du-jeudi-le-prince-cloitre-partie-ii/