Le costume nuptial en Algérie est le produit de brassages culturels multiples. Influencé par les aléas de l’histoire – les invasions en particulier, mais aussi les échanges commerciaux et les modes vestimentaires dans les grandes capitales du Maghreb, d’Orient et même d’Europe- le costume a subit de nombreuses modifications, allant jusqu’à la transformation totale de l’habit originel pour certaines régions.
Le costume nuptial a ainsi évolué à travers le temps et continuera certainement à subir des changements à l’avenir, l’évolution étant inévitable et même logique : il se transforme jusqu’à épuisement, avant de retrouver un nouveau souffle avec de nouveaux éléments qui deviendront, à leur tour, la tradition.
Un exemple concret : les bijoux qui ornent le costume nuptial. Ainsi, les parures chargées de fonctions ornementales et symboliques ont toujours existé. Dans des temps lointains et plus près de la préhistoire, ces bijoux consistaient en des fragments d’œufs d’autruche, de dents d’animaux ou d’ivoire… Avec le temps, l’apparition des métaux comme le fer et le bronze et plus tard de l’or et de l’argent, ont révolutionné les bijoux. Ces nouveaux matériaux se sont substitués aux matières primitives. Mais aujourd’hui encore, nous pouvons retrouver dans les parures nuptiales une multitude de pendeloques, ornementales certes, mais toujours chargés des mêmes symboliques liées à des superstitions ancestrales.
L’anthropologue Leyla Belkaid qui a concentré ses recherches sur les tenues traditionnelles algériennes explique dans son ouvrage Costumes d’Algérie, qu’il existe en Algérie deux archétypes de costumes, l’un rural, tissé et paré de bijoux en argent et l’autre citadin, taillé dans des textiles et orné de bijoux en or.
Mais à la base, ces costumes ont tous été influencé par l’esprit gréco-romain. Le péplum retenu par des fibules est donc l’ancêtre du costume nuptial algérien, variant selon les régions, le climat et l’artisanat.
L’indétrônable caraco d’Alger
Le jour de ses noces, la mariée algéroise porte le caraco, c’est-à-dire un haut en velours ajusté, entièrement boutonné et chargé de broderies à la fetla ou au medjboud, ainsi qu’un serouel dziri, généralement doré ou d’une teinte claire, également près du corps et fondu des deux côté sur les jambes.
Si aujourd’hui le haut de cette tenue se décline dans différentes couleurs et matières, au début du siècle dernier, il était de couleur grenat et exclusivement en velours ou en brocart. Le serouel était bouffant et laissait les chevilles découvertes, ce qui permettait à la mariée de porter des khlakhel (bijoux de cheville). Cependant, ce costume n’a rien ou presque de commun avec celui que portaient les mariées d’il y a plusieurs siècles. En effet, nous sommes loin des influences grecques, puis romaines où le péplum à fibule était à la mode et dont on retrouve encore le drapé dans certains costumes algériens, comme c’est le cas pour la tenue chaouya.
L’origine du caraco tel qu’il est structuré aujourd’hui est assez récente. Il remonte au début de l’occupation française en Algérie. Avant 1830, il était long, ressemblait plus au caftan et se nommait ghlila djabadouli. Mais les malheurs qui se sont abattus sur les habitants d’Alger dès sa conquête, l’ont transformé pour les années à venir. La ghlila djabadouli devient moins large et plus courte, son décolleté disparait et sa coupe est plus ajustée. Inspiré de la mode européenne, il devient désormais le caraco. Le serouel bouffant fait peu à peu place au serouel chalga (fondu sur les côtés). Aux pieds, la mariée remplace les babouches pointues recouvertes de velours par des chaussures à talons fermées. Au passage, la transformation sacrifie aussi la fouta, le hzam et la toque portés auparavant. Sur la tête de la mariée, il ne restera que la m’herma, un fichu en soie brodé et bordée de longue franges. Elle est portée avec el ‘assaba (diadème) ornée d’épingles trembleuses (ra’achat) et du fameux khit errouh qui, deviendra par la suite l’unique bijou de tête de la mariée algéroise du XXe siècle.
La majestueuse gandoura de Constantine
L’ancêtre de la djebba constantinoise date à peu près du milieu du XIIe siècle, sous le règne des Almohades. Les robes des grandes dames s’agrémentent d’un plastron cousus entre l’encolure et la poitrine, en forme de triangle et brodé d’arabesques au fil d’or ou d’argent. Cet élément élégant et précieux sera légué à la postérité. Contrairement au carakou, la djebba constantinoise ne subit pas de grandes transformations.
Dépourvue de manches à l’origine, deux couleurs contrastées divisent la robe symétriquement, dans le sens de la langueur et la taille est resserrée par une ceinture de brocart ou de soie rayée, bordée de franges dorée. Le vêtement est porté avec une coiffe rigide et pointue, entièrement brodée et dotée d’une bride jugulaire, nommée chéchiya ou koufiya. Portée par la mariée constantinoise, un voile, el ‘abrouq, est posé dur la pointe de la chéchiya. Ce voile est brodé au fil métallique et possède un tombé particulier puisque la coiffe se porte penchée sur le côté. Cette dernière est par ailleurs, enveloppée par un cône en or ajouré et ciselé, ainsi qu’une m’herma blanche attachée à la tempe droite.
Comme principaux bijoux, la mariée porte, un jbin (diadème) orné de pendeloques et serti de pierres précieuses, le skhab, un collier imposant formé de perles d’ambre et d’un pendentif en or nommé meska. Sans compter les incontournables les m’qaïs (lourds bracelets en or) et les r’daïf (anneaux de chevilles en or). Le buste de la robe est orné de bzaïm, des fibules en or ajouré et sertis de pierres précieuses, reliés par une série de chaînes en or, formant une qtina.
Cette panoplie de bijoux, en dehors des bzaïm, reste de mise à ce jour. Quand à la coiffure, elle perdure encore quelques temps après la fin de la période ottomane.
Mais quelques années après le début de la colonisation française en Algérie, et alors que la proportion d’européens installés à Constantine est nettement moins importante que pour Alger, l’influence occidentale ne manque pas d’apporter de menus changement dans le costume nuptial de l’antique Cirta. Ainsi, les pans de la djebba s’élargissent vers le sol, ce qui permet des broderies plus importantes. De même que l’étoffe change, elle est désormais coupée dans un velours au tissage industriel, qui n’a pas l’épaisseur de son prédécesseur, ni son éclat d’ailleurs.
La gandoura qatifa comme on l’appelle le plus souvent, se porte avec des manches amovibles kmem, au lieu de la chemise d’avant. Elles sont en dentelle ou en tulle brodé.
Cette robe, portée une semaine après la noce, se voit resserrée par une ceinture composée de louis d’or, la m’hazma. La tradition veut qu’un homme nommé Mohamed vienne mettre la ceinture à la nouvelle mariée. Par contre, il est difficile de savoir à quand remonte cette tradition et si elle a été modifié ou non. Une chose est sûre, aujourd’hui, elle tend à disparaitre des us de la ville.
Aujourd’hui, la djebba s’associe au nom de Fergani, un artisan couturier qui a actualisé la coupe tout en gardant le model initial. De ce fait, elle reste l’un des rares costumes de mariée à n’avoir pas subit de transformation totale… A suivre
Zineb Merzouk
Sources :
- Leila Belkaïd : «Costumes d’Algérie ». Editions du Layeur, 2003.
- Illustration 1 : Femme vêtue d’un caraco d’Alger, fin XIX e siècle
- Illustration 2 : Mariée constantinoise, vers 1930, vêtue de la gandoura qatifa