La richesse, la diversité, la longévité de cet art dont la source remonterait bien au-delà de 10000 ans pose le problème de son interprétation. Si le témoignage de temps révolus et de modes de vie passés se déploie encore magnifiquement devant nos yeux, nous avons perdu les clés qui nous aideraient à décrypter le message que les fresques tentent de nous livrer. Nous restons donc là, au seuil de la compréhension de ces œuvres, jouissant de leur seule contemplation.
Une clé, cependant, semble pouvoir entrouvrir quelques portes de la connaissance. Elle n’est utilisable que pour certaines fresques de la période bovidienne, mais s’est avérée très utile pour capter un peu du monde trop énigmatiquement révélé par ces peintures. Cette clé nous a été fournie par Amadou Hampate Bâ, sage peul d’origine malienne, né en 1900 et mort en 1991. Lui-même petit-fils de Sigilati, c’est-à-dire de guide ayant atteint le dernier échelon de l’initiation, il a été, dans son enfance, initié aux rites peuls avant de connaître avec l’ensemble de son peuple l’islamisation. Grâce à ses souvenirs, nous pouvons lire au travers des mythes peuls certaines peintures bovidiennes, les populations peules traditionnelles ayant gardé vis-à-vis des bovins une relation privilégiée.
En décembre 1957, au cours de l’exposition à Paris des relevés de fresques réalisés par H. Lhote et son équipe au Tassili Azjer, son attention est attirée par la fresque dite des boeufs accroupis de Tin Tazarift (Fig. 1). Des bœufs en troupeau y sont représentés sans pattes, justifiant l’interprétation erronée de Lhote, aux côtés de 33 personnages à tête d’animaux et eux-mêmes sans jambes. Cette fresque retrace en fait le rite essentiel du lotori, cérémonie annuelle qui célèbre en les revivant des scènes de la mythologie. Il s’agit du bain lustral auquel sont soumis les hommes et les animaux pendant toute la nuit qui suit le quinzième jour lunaire et qui clôture le cycle. Les pattes ne sont pas visibles car elles sont plongées dans l’eau. Dans le rituel peul, il suffit que 28 bovins, renvoi au calendrier lunaire, aient reçu le bain pour que tout le troupeau soit béni. Les personnages qui les accompagnent sont masqués et, de même, leurs jambes n’apparaissent pas puisqu’elles sont dans l’eau. Les masques d’animaux malins, de renard, essentiellement, étaient autrefois de rigueur durant la cérémonie.
D’autres fresques illustrent les rites et les mythes peuls. Parmi elles, la fresque de Séfar intitulée le bœuf à l’hydre qui montre un
Les sept fils étaient en effet réincarnés au cours des rites par des bergers, qui devaient formuler les sept vœux à côté du lieu où était censé se tenir Tyanaba. Un autre groupe, à droite de ce motif, se compose d’un trait sinueux entourant cinq danseuses. Il s’agit là de cinq jeunes filles représentant les filles mythiques du premier couple humain qui devaient danser dans le parc de leur lignage en formulant les cinq vœux traditionnels féminins (maternité, fécondité, etc.). Elles sont ici vêtues de petits pagnes blancs qui étaient de rigueur pendant les fêtes et parées d’une coiffure en cimier comparable à celle des femmes peules actuelles.
Même si elle ne peut représenter un passe-partout, la mythologie peule nous offre une lecture plausible de certaines fresques bovidiennes qui permet de chasser certaines zones d’ombre et laisse entrevoir la trame spirituelle inhérente à toutes les manifestations artistiques préhistoriques.