La médecine « populaire » en Algérie, pendant la période ottomane.

La période dite celle de la régence turque succède à l’ère musulmane très riche en avancées scientifiques et pratiques médicales sur le territoire algérien.

Au sujet de cette époque, les auteurs (majoritairement européens), notent une régression scientifique en affirmant qu’il n’existait ni médecine, ni médecins en Algérie, et pour ceux qui attestent qu’il en existe quelques-uns, ils jurent qu’ils « ignorent tout, des grandes personnalités de la science musulmane ».  Si l’on peut dire que l’instabilité politique du début du XVI e siècle peut expliquer la stagnation médicale, l’on sait que cette pratique a été relevée dans la région, depuis les temps immémoriaux de l’antiquité. D’ailleurs, Hassan al-Wazzan* dit Léon l’Africain, dans sa « Description de l’Afrique », signale l’existence d’hôpitaux à Tlemcen, Oran, et Bejaïa au début du XVI e siècle.

Par ailleurs, on relève durant cette période qui s’étend de 1500 à 1830, l’existence de trois médecines qui se côtoient. Elles étaient toutes adaptées à la population à laquelle elle s’adressait. Ainsi, l’une d’elle était réservée aux captifs en grande majorité européens, et était dispensée dans les hôpitaux érigés à cet effet dans les bagnes ; la médecine turque était quant à elle orientée dans un premier temps vers les aspects militaires, et enfin la médecine populaire et à laquelle nous nous intéressons aujourd’hui, et qui était réservée à la population autochtone. Elle peut être considérée comme une continuation de la médecine dite « arabe ».

La médecine populaire 

La médecine populaire était basée sur l’emploi de plantes médicinales recueillies localement. Ces médicaments étaient préparés par le médecin naturaliste pour être utilisés de différentes manières : sous forme de décoction, de macération de poudre à priser, de cataplasme… Ou encore de breuvage. Ils étaient vendus par le médecin lui-même, ou par l’herboriste.  Dans les zones rurales, ces médicaments étaient proposés par les herboristes ambulants. Près de 1000 plantes étaient répertoriées dans le dictionnaire des drogues d’Ibn Hamadouche El Djazaîri (XVII e siècle).

Les médecins étaient très respectés, et étaient appelé hakim ou sages. Ils exerçaient à la ville comme à la campane le jour du marché. Les consultations se déroulaient à l’extérieur ou sous la tente qui leur servait d’officine. Cette dernière était coupée en deux par une légère cloison ; car à l’arrière de la « boutique », on auscultait les patients atteints de maladies graves ou« honteuses » à l’abri des regards… Dans sa caisse, le médecin disposait d’un outillage très compliqué  comprenant les drogues végétales et minérales, du henné, du gingembre ou encore des instruments chirurgicaux. Les guérisseurs recouraient souvent à la saignée, à la cautérisation et aux ventouses.

Traitement des maladies courantes

Des médicaments précis étaient utilisés dans le cadre des traitements des maladies courantes. Par exemple, le henné était employé en cataplasme pour les plaies simples, ou contre les brûlures. Les piqûres de scorpion et de vipère étaient soignées par un emplâtre d’oignon et d’ail, appliqué au point de piqûre.

Pour lutter contre le rhumatisme et les sciatiques, on utilisait des pierres chauffés, disposées sur la zone enflammée, on avait également recours à la friction à l’huile chauffée, ou encore aux ventouses, scarifications et bain de sable chaud.

Contre la diarrhée, le médecin préconisait entre autres le riz, les racines de caroubier ou de myrte.

Pour le traitement de la gale, le patient devait ingérer 4 à 5 figues sèches remplies d’un mélanges de pois secs et de souffre réduit en poudre, tous les soirs, pendant quelques jours. Les eaux thermales étaient vivement recommandées

Pratique obstétricale

Les sages-femmes, appelées qabla, avaient les monopoles des accouchements. Le mot qui désigne ce savoir-faire est berbère. C’est donc une pratique ancestrale.

Le terme désigne spécifiquement l’accoucheuse, et plus généralement la guérisseuse. El qabla était considérée comme étant la gardienne des traditions et du savoir magique, car sa personne se caractérise par la connaissance empirique qu’elle a des plantes, et des techniques curatives. Sa fonction s’acquiert par expérience, souvent à partir d’un accouchement qu’elle a dû effectuer par nécessité une première fois. C’est une femme généralement d’un certain âge, ménopausée, ayant eu elle-même plusieurs grossesses et accouchements.

Il convient de préciser qu’à cette époque, la médecine pouvait être mêlée à la sorcellerie ; et le port des talismans et amulettes qui servaient à conjurer le mauvais sort, servait également à des fins thérapeutiques. D’ailleurs, ce qui différencie l’accoucheuse guérisseuse de la sorcière, demeure au niveau du danger qui émane de l’esprit qui la possède. Certains esprits sont plus facilement socialisants que d’autres ; de ce fait, si l’esprit peut être récupéré socialement, sa victime devient guérisseuse ; au contraire, s’il refuse d’accepter les valeurs sociales, elle devient sorcière dit-on. Par ailleurs, sa maîtrise d’un certains nombres de manœuvres obstétricales, renforcent les croyances qui l’entourent. Car il convient de préciser qu’après la sortie du nouveau-né, elle procédait à la coupure du cordon ombilical ; puis elle attendait l’expulsion du placenta, et en cas d’inertie ; elle procédait à une évacuation utérine.

Enfin, lqabla qui n’a pas d’homologue masculin, bénéficie d’une aura qui « la fera entrer directement aux paradis », selon les dires locaux, car c’est une femme au savoir respecté, et qui se trouve tout à fait intégrée dans la société.

Pratiques chirurgicales

Plusieurs tribus étaient connues pour leurs connaissances en médecine. Notamment les Inoublen dans le Djebel Cherchar, ou encore chez les Beni Oussaib. On y guérissait les coups et blessures, ainsi que les fractures ; d’ailleurs, dans le Tafrent, de nombreux médecins* pratiquaient des actes neurochirurgicaux en recourant à la trépanation, à l’aide d’outils fait de bronze (traumatisme crânien). Certains manuscrits servaient de guide à cette intervention, dont le savoir était transmis de génération en génération.

Par ailleurs, des chirurgiens ont mis au point un procédé ingénieux pour réparer le bec de lièvre, en substituant aux sutures ordinaires, des crochets de mandibules de certains insectes connus en entomologie sous le nom de scaritepyracmon. De plus, les médecins algériens avaient acquis une grande expérience dans les amputations et leurs traitements ainsi que dans l’appareillage des membres.

La destruction des documents administratifs au début de la colonisation française et l’expropriation des infrastructures publiques, ont rendu difficile l’identification des établissements de soins de la période ottomane.La médecine était instrumentalisée dès les débuts de la conquête française ; et elle fut très vite utilisée comme moyen de propagande.

Mira B.

*Explorateur et diplomate d’Afrique du nord des XV et XVIe siècle
*Exemple Ahmed ben Belkacem, chirurgien qui vécut au temps d’Ahmed Bey

 

Sources :

  1. Salvator Furnari, « Voyage médical dans l’Afrique Septentrionale », 1845, paris
  2. Raynaud, H. Soulier et Picard, «Hygiène et pathologie Nord-Africaines », Collection du centenaire, Ed Masson, paris ; 1932
  3. Léon l’Africain, « Description de l’Afrique », paris Ed Ernest Leroux
  4. Mostefa Khiati, « Histoire de la Médecine en Algérie », Ed Anep, 2000
  5. NejmaPlantade, « La guerre des femmes. Magie et amour en Algérie », paris, 1988

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