Nacéra Benseddik, historienne, épigraphiste et archéologue, revient avec nous sur la période vandale. Elle rétablit des vérités quant aux aspects sanguinaires de ces conquérants, tout en soulignant les comportements de tribus berbères durant cette période.
«Les Vandales n’étaient pas si vandales»
Les Vandales arrivent en 429, et en 539 les Byzantins vont les chasser. A cette époque, il y a trois gros groupes. C’est valable pour toute l’Afrique du Nord. On a une frontière qui court tout au long du sud qu’on appelle le Limes. A l’intérieur, c’est l’Empire romain. Les trois gros groupes sont composés d’abord des Romano-africains. Ils parlent et écrivent le latin. Beaucoup d’entre eux parlent certainement aussi l’amazigh. C’est bien pourquoi c’est encore l’une des plus anciennes langues de la Méditerranée à être parlée aujourd’hui. Ils parlaient le punique également, ils écrivaient donc le berbère mais, à un moment donné, le latin a tout balayé. On a donc des Romano-africains qui sont de culture berbère, qui écrivent et parlent le latin ou pas. Ils étaient soit chrétiens, soit païens/polythéistes. C’est la classe qui est au pouvoir et qui a en main la destinée de l’ensemble des provinces. Après, on a ceux qui sont en dehors du Limes. On y retrouve des Berbères qui sont indépendants. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont aucun rapport avec la romanité. La frontière n’est pas un mur, ils vont et viennent et, évidemment, il y a des contrôles. Ils composent donc le deuxième groupe. On a aussi ceux qui sont complètement en dehors et, à partir des Ve et VIe siècles, ils vont remonter et vont s’associer à ceux qui sont sur les marges. C’est à partir de ce moment-là que ça va aller mal pour les Vandales et les Byzantins. Par ailleurs, le long des frontières, des deux côtés, nous avons des tribus. Elles sont en contact avec l’Empire. Alors, parfois, ces tribus servent l’Empire, à un autre moment elles sont contre. Ces tribus, nous allons les retrouver ensuite contre les Vandales puis contre les Byzantins et, enfin, contre les Arabes.
Ce sont elles qu’on appelle les Maures ?
Oui. Les Maures. Pourquoi ce nom ? A partir d’un moment, c’est ce terme générique qui les a définis. Ce sont des Berbères qui ne sont pas des Romanos-africains. Et les Arabes quand ils vont arriver, ils vont faire une distinction entre ce qu’ils appellent les «Afarik», ce sont les Romano-africains, et les autres. Quand on parle des guerres maures, c’est quand toutes ces tribus vont se liguer contre les Byzantins. Elles vont même s’allier à des tribus tripolitaines contre Carthage vandale ou contre Carthage byzantine. Les Vandales arrivent en 429, rentrent à Hippone en 430. On a, à cette époque, le seul royaume germanique. Ils entrent à Carthage en 439. Cela ne veut pas dire qu’ils occupent tous les territoires. Loin de là. C’est grâce à cet intermède vandale que vont se reconstituer les royaumes berbères indépendants. Nous avons trois grands royaumes berbères. Il y en a un à l’ouest, qui comprend même ce qu’on appelle la Maurétanie tingitane, c’est-à-dire le Maroc actuel, qui est le grand royaume de Masuna. C’est un grand royaume avec la ville d’Altava qui s’appelle aujourd’hui Hadjrajoun, à côté de Tlemcen. On va y retrouver des inscriptions datant du VIe siècle. Ils ont continué à écrire le latin alors que c’est un royaume indépendant. D’ailleurs, le roi se dit rex gentium maurorum et romanorum. C’est-à-dire qu’il est roi des Maures et des Romains. Ils avaient les mêmes droits. On a retrouvé des inscriptions sur des institutions municipales comme on en retrouve sur les institutions romaines alors que ce royaume était totalement indépendant. Toute cette région était berbère, tellement puissante que ce royaume pouvait interdire l’accès à la ville de Cherchell. Cherchell qui était restée byzantine. Pour arriver à Cherchell, ils étaient obligés d’arriver en bateau car ils ne pouvaient plus passer par la terre. Puis, il y avait dans le Hodna, le Hodna actuel, des tribus berbères mais aussi dans la Kabylie des Babors. On est là au VIe siècle. Il y avait un roi, et une inscription sur la pierre parle de ce roi des Vcutamani, les Koutama qui ont aidé les Fatimides, qui étaient en Tunisie, à récupérer l’Egypte. Enfin, il y a le royaume des Aurès. Un coup, il y avait alliance avec les Vandales ou les Byzantins, un coup il y avait la guerre. Le royaume de Masuna était tellement indépendant qu’un temps il a recueilli des rebelles qui fuyaient l’autorité de Carthage. Les Vandales arrivant en Afrique étaient à peu près 30 000 avec femmes et enfants. Ils ont quitté l’Espagne, on ne sait pas trop pourquoi. L’Afrique était très riche. L’Europe était entre les mains des Barbares, Rome n’était plus.
L’idée qu’ils sont venus vandaliser…
Ça aussi c’est du toc. Je suis très ennuyée car je n’ai pas de synonyme de vandaliser. C’est une injustice d’ordre historique. Ils n’ont pas plus pillé que n’importe qui d’autre, ils n’ont pas plus cassé que n’importe qui d’autre, au contraire. On sait maintenant que les Vandales parlaient leur langue. Contrairement à ce qu’il s’est passé à l’époque romaine, il n’y a pas eu fusion avec les Berbères. En revanche, les Vandales sont restés à part pendant un certain temps. Ils constituaient une caste à part. Evidemment, ils se sont servis, et ils ont servi les leurs. Ils s’habillaient différemment mais nous avons peu de connaissances dessus, nous n’avons pas de statue.
Les Berbères ont-ils été séduits par l’arianisme des Vandales ?
Non, ça aussi c’est du toc. Ils n’ont été séduits par rien du tout. L’arianisme est une hérésie chrétienne. Il y avait un prêtre qui s’appelait Arius et, tout d’un coup, les Vandales se sont mis à le suivre et à évangéliser en fonction de ce prêtre. Ce qui est vrai, c’est que, quand ils sont arrivés ici, ils ont persécuté les catholiques. Beaucoup ont fui en Espagne à cause de cela. Cela dépendait aussi des rois. Certains ont été terribles. Ildéric ayant épousé la fille de l’empereur, il était réputé comme étant plus doux. D’ailleurs, les Berbères ont négocié avec les Vandales comme ils ont négocié avec les Romains déjà. Ce qu’il faut savoir, c’est que déjà au IVe siècle, tout doucement, les tribus étaient dirigées par un chef reconnu par les Berbères. Il y avait eu des négociations entre Rome et ces chefs qui étaient pourtant romanisés. On sait, justement, par Procope que Rome donnait à ces chefs un manteau, certainement des insignes du pouvoir qui devait avoir cours dans la tradition berbère. Et c’est ça qui montrait que c’étaient eux les chefs. Rome se servait d’eux pour calmer les tribus. Cela nous renvoie aux caïds, les bachaghas, tout ça… Ils n’ont rien inventé à l’époque contemporaine. Cela s’est fait tout doucement. C’était au IVe siècle. Du coup, quand les Vandales sont arrivés, les Berbères ne se sont pas sentis solidaires de Rome. Ils ont négocié avec les Vandales et s’ils reconnaissaient leurs chefs, il n’y avait pas de problème.
Quel document a-t-on de cette période vandale ?
Nous avons des documents très célèbres. Ce sont les fameuses tablettes Albertini. Ce sont des actes de vente d’esclaves, d’arbres, de terrains. C’est très intéressant car on s’est aperçu que les femmes, au VIe siècle, géraient le patrimoine de leurs enfants. Elles sont veuves et, avec l’aide du beau-père, elles gèrent. Et elles signent. Ces actes proviennent du sud de Tébessa. Elles sont en latin, très difficile à déchiffrer. Ces tablettes ont été découvertes, tout à fait par hasard, dans une poterie qui se trouve au Musée des Antiquités. Malheureusement, les tablettes ne sont plus lisibles. Les Suédois ont demandé à l’Algérie les tablettes. La Suède désirait les utiliser pour une exposition sur «la vraie histoire des Vandales», sauf qu’eux, sont allés trop loin dans l’autre sens. Une exposition, ce n’est pas scientifique, c’est du tape à l’œil. En contrepartie, ils étaient censés faire quelque chose pour les restaurer mais n’ont rien fait car on ne peut rien faire. Ces tablettes sont en bois, inscrites à l’encre et, malheureusement, l’état de conservation et d’exposition au Musée des Antiquités est tel que l’humidité est en train de les effacer. Alors, au lieu de se munir d’appareils pour mesurer l’hygrométrie, c’est-à-dire le degré d’humidité, et d’appareils pour faire baisser le taux d’humidité, eh bien non, on va vers la chose la plus simple : on enlève les objets pour les entreposer dans une réserve et d’une manière pas plus sûre que dans les vitrines. Du coup, si vous allez au Musée, vous avez deux infâmes papiers, des espèces de photos de tablettes au lieu d’avoir les tablettes. C’est quand même lamentable. Ce sont les seules tablettes de cette époque qui existent à l’heure actuelle où que ce soit. Il y a ça, et aussi les ostraca de Bir Trouch. Ces céramiques, découvertes aussi dans la même région, seraient de cette époque. En fait, les gens enfouissaient ce qui leur était précieux. A l’époque coloniale, on a trouvé des choses comme celles-ci enterrées. En réalité, nous avons très peu de choses. Nous avons aussi des monnaies qu’on reconnaît maintenant parce qu’on sait aujourd’hui qu’il y avait beaucoup d’imitation de monnaies romaines.
Les djeddars de Frenda en font partie ?
En fait, on pense qu’ils faisaient partie du royaume de Masuna. Ce qui comprend tout l’ouest jusqu’à Sétif. Jusqu’à cette limite. On a donc un grand royaume dans l’ouest et en gros trois ou quatre pas plus sur le reste des territoires. Les djeddars sont dans ce grand royaume. Ils doivent dater des IVe ou Ve siècle. Peut-être VIe. C’est vrai aussi qu’il y a aussi du christianisme. Je ne dis pas par là qu’ils étaient tous chrétiens. On a des croix sur les pierres. Ils écrivaient le latin. Ça n’appartient pas aux Vandalew. C’est juste peut-être de la même époque.
Propos recueillis par Zineb A. Maïche