Contre toute attente, Yahia nous a quitté prématurément, emporté par un arrêt cardiaque. En effet, son cœur a lâché et a cessé de battre, ce cœur qui ne battait que pour une Algérie progressiste, moderniste, démocratique et sociale.
Lorsque les camarades d’Oran m’ont demandé, à l’occasion de cet hommage d’évoquer la parcours militant de Yahia Benlakhdar, j’avais, dans un premier temps émis quelques hésitations. Pour cette circonstance, cette opportunité n’a pas un caractère d’évidence. Je suis un jeune militant et appartenant à la nouvelle génération, différente de celle du regretté Yahia et qui ne l’a côtoyé que durant ces dernières années, tandis que lui qui a traversé toute l’histoire post indépendance de notre pays et a été à l’avant-garde et par ricochet au cœur des événements et bouleversements majeurs qui ont marqué l’histoire du mouvement progressiste et moderniste de l’Algérie.Il est donc difficile pour moi de porter un témoigne exhaustif sur son parcours et son engagement politique.
D’emblée, son itinéraire ne laisse personne indiffèrent. Yahia a été de toutes les initiatives politiques, actions et causes justes allant dans le sens de la justice sociale et de la démocratisation de la société. Sociologue de formation et formateur, il était à l’écoute des différentes mutations qu’a connues notre société. Il ne cessait de déplorer et de porter des propositions à la régression politique et sociétale qui a suivi l’ouverture frelatée d’octobre 88.
Militant du Parti d’avant-garde Socialiste (PAGS) depuis les années 70, un parti qui avait repris l’héritage du Parti Communiste Algérien. Yahia Benlakhdar, durant la clandestinité et en compagnie de plusieurs camarades, a structuré le parti dans l’oranie et a enraciné dans le monde ouvrier la littérature du PAGS en intégrant la plupart des organisations de masse du fait de leur statut non reconnu, affrontant ainsi le parti unique et l’impitoyable police politique. A l’ouverture démocratique et avec la montée en puissance des islamistes fondamentalistes, le PAGS, a été confronté à une grave crise interne. Les divergences sur l’analyse politique de l’islamisme et la nature du projet de société théocratique porté par le Front Islamique du Salut (FIS) ont fini par avoir raison de ce Parti et ce après avoir subi une véritable implosion.
Ils n’étaient pas nombreux ceux qui autour d’El Hachemi Cherif ont eu l’insigne honneur et la lucidité politique de comprendre dès les années 90, le danger véritable de l’islamisme politique sur de notre pays et les menaces qui pesaient sur les acquis de notre glorieuse révolution. Yahia y était de ceux qui ont activé de toute leurs énergies pour le dépassement de la crise et répondre ainsi aux nouvelles exigences de cette page douloureuse de l’histoire récente de notre pays. Il s’était impliqué activement dans la création d’Ettahadi, ensuite Ettahadi Tafat et enfin le mouvement démocratique social, qui se sont illustrés faut-il le rappeler par une analyse politique d’une rare pertinence et d’une grande lucidité intellectuelle. Celle qui se reposait sur le socle de la double rupture à la fois contre le pouvoir hybride, despotique et rentier et contre l’islamisme politique.
A la mort d’El Hachemi Cherif en 2005, le mouvement démocratique social est plongé dans une crise profonde sans précédent et ce suite à la fracture du mouvement entre partisans de la ligne originale et celle de l’abandon de la double rupture. Une trahison mal vécu par Yahia et bien d’autres camarades. Après plusieurs initiatives avortées de réconciliation et de conciliation dont le but est de relancer le mouvement, Yahia et ses camarades ont continué à s’exprimer au nom du MDS Oran en prenant leurs distances avec les concepteurs de la normalisation de la ligne originelle du mouvement. Depuis, Yahia réfléchissant sans cesse sur les nouveaux instruments et mécanismes de luttes politiques.
Yahia Benlakhdar est l’histoire exemplaire d’un militant politique et associatif persévérant, tenace et constant, qui a travers ses qualités a prouvé à la classe politique en général et à la société civile en particulier qu’une militance sérieuse et qu’un engagement politique sincère sont possible, y compris dans les pires moments de reniements et de compromissions. C’est un homme qui a le sens de la mesure. Une force tranquille.La philosophie qui a inspiré et nourri son combat postulait l’action politique comme une impulsion et un appel à initiatives.
Toute sa vie durant, il a vécu dans l’enthousiasme et l’exaltation avec le sentiment que l’avenir est riche d’infinies promesses. Il vibrait à l’idée de construire le pays riche de la diversité de ses symboles, de ses modes de vie et ses cultures.
Je ne peux m’empêcher de reprendre une citation de Nelson Mandela extraite de ses mémoires et qui illustre parfaitement le parcours et la conduite exemplaire de mon ami Yahia.« J’ai découvert ce secret après avoir gravi une haute colline, tout ce que je découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. Je me suis arrêté un instant pour me reposer, pour contempler l’admirable paysage qui m’entoure, pour regarder derrière moi la longue route que j’ai parcourue .Mais je ne peux me reposer qu’un instant ; avec la liberté viennent les responsabilités, et j’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin. »
A l’occasion de cette évocation, je m’incline devant la mémoire d’un sage, d’un progressiste, d’un militant politique, d’un patriote et d’un homme de principes et, partant, celui qui véhiculait une multitude de valeurs qui caractérisent les fondements mêmes de la déontologie politique et sociale, dont il est un fervent adepte.
Le combat continu pour une Algérie progressiste, moderniste, démocratique et sociale !
Mustapha Hadni
Illustration: Le regretté Yahia Benlakhdar à droite a côté de Said Kateb.