Cette année, nous commémorons le 28e anniversaire de la disparition du militant nationaliste authentique Hadni Mohamed Ameziane, un personnage hors du commun qui a marqué l’histoire de la Fédération de France FLN.
Son engagement envers le pays est marqué du sceau de la conviction inébranlable, au point d’abandonner tout pour se consacrer entièrement au militantisme et à l’engagement politique pendant la guerre de Libération nationale et à la construction du pays à l’indépendance.
Il est un patriote, un battant, à la fois un homme de cœur et d’action. Un anticonformiste et un brillant orateur. Il est autant à l’aise avec les intellectuels qu’avec les humbles. La première des causes à laquelle il adhère est l’indépendance de l’Algérie.
Depuis, il est de toutes les initiatives, actions et causes justes allant dans le sens de la justice sociale. Un homme libre, juste, honnête et rebelle à tout embrigadement. Il est un modèle d’exemplarité. De par son comportement exemplaire, il contribue à l’édification morale et intellectuelle de toute une génération de militants post-indépendance, qui se retrouve au premier rang des destinées et responsabilités politique de l’Algérie.
Hadni Mohamed Ameziane est né en 1921 au département de Larbaa Nath Irathen, ex-Fort National, précisément à Tamazirt (Irdjen), une région qui a marqué de son empreinte le récit national, singulièrement celle ayant trait à l’histoire du mouvement national. Il est le cadet d’une famille de quatre frères et deux sœurs.
Comme l’écrasante majorité du peuple algérien de l’époque, il est issu d’une famille modeste de paysans, dans une Algérie colonisée ou ses enfants sont dépossédés, violentés, privés de vie et de liberté et par-dessus tout, soumis au code de l’indigénat. Il perd sa mère très jeune, alors qu’il n’a que 12 ans.
Il est renvoyé de l’école au seuil du certificat d’études qu’il réussit brillamment, découvrant ainsi le sort réservé aux Algériens de seconde zone, aux indigènes. Il en ressent profondément l’injustice. Il grandit dans l’entre-deux guerres mondiales ; une période qui vit l’éclosion de partis nationalistes, l’Etoile nord-africaine (ENA) et le Parti du peuple algérien (PPA).
Il se rend à Alger en 1943 et enchaîne des petits boulots instables et temporaires. En janvier 1945, il est recruté en tant qu’agent titulaire à l’hôpital Mustapha jusqu’à mars 1949. Il s’éveille à la cause indépendantiste dans le giron nationaliste actif dans le milieu hospitalier.
Il adhère à l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) dès sa création en 1946, parti fondé par Ferhat Abbes, dont il demeure militant jusqu’à 1951. Un capital d’expérience qui lui servira plus tard dans les responsabilités qu’il assumera au sein de la Fédération de France et qu’il mettra au profit du FLN.
Au déclenchement de la guerre de Libération nationale, il intègre le FLN. Son frère Hadni Saïd, dit si l’Hakim(1), alors chef de région, le charge de plusieurs missions dont celle de prendre attache avec les personnes susceptibles de joindre le maquis : «Dès 1955, Hadni Saïd dit Si l’Hakim, adresse un émissaire a un certain Mahiouz Ahcene, qui deviendra plus tard commandant de l’ALN. Il reçut l’émissaire en la personne de Hadni Mohamed Ameziane, le frère de Si l’Hakim, qui lui transmet le message suivant : ‘‘Si tu veux servir ton pays, c’est le moment !’’.»(2)
Après le Congrès de la Soummam, il se rend en France et participe activement à la structuration de la Fédération de France. Il s’établit à Toulouse en septembre 1956. Les premières structures du FLN, il les installe avec Mohamed Rezzoug : «En compagnie de Hadni Mohamed, nous mettrons en place les premières structures véritablement homogènes en s’appuyant sur un groupe d’Algériens originaires de la même région qui assurera la liaison dans tout le sud-ouest. Dans ma responsabilité de régional, je fus secondé par Hadni Mohamed et c’est lui qui prendra la relève au lendemain de mon arrestation le 16 janvier 1957 par la DST.»(3)
A l’arrestation de Mohamed Rezzoug, Hadni Mohamed Ameziane lui succède et prend les responsabilités de régional(4). Dans cette nouvelle fonction, l’enfant des Ath Irathen compte sur deux militants d’exception, le premier est Gana Illoul, étudiant de médecine à l’époque et futur professeur de gastro-entérologie de l’hôpital d’Alger. Il lui facilite l’accès aux milieux estudiantins et des travailleurs. L’autre est Abdenour Abrous qui est à la tête du groupe de choc(5) chargé de protéger les distributeurs de tracts dans les milieux les plus exposés et l’accompagne dans ses différents déplacements.
En militant aguerri, il met son expérience et son savoir- faire politique au profit de l’organisation. A l’époque, au sein de l’émigration algérienne, très peu sont ceux qui sont au courant que le 1er Novembre est l’œuvre du Front de Libération Nationale, un mouvement nouvellement créé, moins nombreux ceux qui en font partie.
De Perpignan à Agen, de Cahors à Pau, il ne cesse de sillonner le territoire sud de la France. En homme politique averti et brillant orateur, il mène sans relâche et sans répit le travail de sensibilisation et de conscientisation. Ses discours sont structurés, ses analyses sont d’une rigueur, d’une précision, d’une finesse remarquables. Il est méthodique, résolu, allie la force de caractère à l’envergure intellectuelle. Il veut rallier l’hésitation encore grande de l’émigration algérienne à s’engager dans les rangs du FLN.
Il est persévérant et tenace. Les résultats sont tangibles et l’organisation gagne du terrain. Il installe les secteurs et structure les kasmas au sud-ouest de la France. Le Front de Libération Nationale étend son champ d’influence. Le rapport de force s’inverse. Au moment où le FLN s’implante profondément et durablement dans cette région, son régional, en l’occurrence Hadni Mohamed Ameziane, est surveillé étroitement par la DST et les filatures deviennent permanentes et ostensibles.
A la fin du mois de mai 1957, il est arrêté par la DST. Il est condamné à cinq mois de prison ferme. Il est transféré à la prison de Toulouse où il purge sa peine. Tout au long de son incarcération, il connaît les souffrances et les privations en tous genres.
Il est libéré le mois d’octobre 1957. Il renoue les contacts avec les réseaux du FLN et reprend naturellement ses fonctions de régional. Le comité fédéral instruit l’organisation de la Fédération de se préparer à l’ouverture du second front. Ce dernier consiste essentiellement à déclencher une guérilla urbaine sur l’ensemble du territoire français.
Ce sont les directives du CCE transmises à Omar Boudaoud, chef de la Fédération de France du FLN. L’objectif de ce front est de maintenir une partie de l’armée française sur le sol métropolitain afin d’affaiblir l’importance du contingent face aux militants du FLN dans les maquis algériens.
Hadni Mohamed Ameziane organise sa région et s’adonne avec sérieux, abnégation et détermination, et ce, pour la concrétisation et la réussite de cet événement majeur de l’histoire de la Fédération de France du FLN et par ricochet, celle de la guerre de Libération nationale. En juillet 1958, en pleins préparatifs et en prévision de l’exécution du second front, il est interpellé et à nouveau arrêté par la DST. Il est jeté en prison et écope cette fois de 10 mois de prison ferme. Il est placé une nouvelle fois à la prison de Toulouse. Dès les premiers jours de son incarcération, il recourt à des grèves de la faim répétitives contestant à la fois le régime pénitentiaire et les conditions de détention.
Il revendique le statut de détenu politique. Ses grèves de la faim le mènent souvent à des régulières hospitalisations, mettant ainsi l’administration du pénitencier dans une position inconfortable. Suite à une énième grève de la faim, il est affaibli, démuni et son état de santé se dégrade. Il est transféré en urgence à l’hôpital pour subir des contrôles médicaux approfondis. Les médecins détectent et constatent une grave pleurésie. Ils décident alors de son maintien et de son hospitalisation. Il reste à l’hôpital le temps de la convalescence et de la prise en charge médicale, avant d’être transféré vers un autre pénitencier, celui de Liancourt, dans L’Oise, où il demeure jusqu’à sa libération en fin mai 1959.
Il ressortira amoindri, démuni physiquement et avec de graves séquelles. Néanmoins, il continue son engagement au sein de la Fédération de France jusqu’à l’indépendance. Il décide de quitter la France, rentre en Algérie et rejoint sa région natale où il s’installe définitivement.
A l’indépendance, il vit dans l’enthousiasme et l’exaltation avec le sentiment que l’avenir est riche d’infinies promesses. Il vibre à l’idée de construire le pays entièrement nouveau, riche de la diversité de ses symboles, de ses modes de vie et ses cultures. Le commencement d’une vie nouvelle. Malgré une santé fragile, il s’engage dans le processus de la construction et de l’édification du pays. Il se présente aux élections locales de 1967.
Il est élu à la majorité et devient ainsi dans l’Algérie indépendante, le premier Président de l’Assemblée communale (P/APC) élu au suffrage universel dans l’histoire de la commune d’Irdjen (1967-1971), daïra de Larbaa Nath Irathen. Durant son mandat, il s’illustre par une gestion rigoureuse et transparente. Il ne se consacre qu’aux seuls intérêts de ses administrés.
En pédagogue invétéré, homme clairvoyant et convaincant, il n’impose pas et n’écrase pas. Il sensibilise, conscientise, fait adhérer et par conséquent fédère la population autour de grands chantiers. Son mandat est jalonné par de grandes concrétisations et réalisations de projets d’utilité publique.
La construction des écoles, de routes, de dispensaires, les raccordements en eau potable et traitement des eaux usées, l’électricité et autres sont au cœur de son bilan. Il marque à jamais son empreinte dans cette circonscription.
En 1968, à l’ occasion de la visite d’inspection effectuée à Tizi Ouzou par le président de la République Houari Boumediene, et en marge d’une réunion de travail qui s’est tenue en présence de l’ensemble des autorités locales et cadres de la wilaya, Hadni Mohamed Ameziane interpelle le chef de l’Etat sur la nécessité du transfert des restes de la dépouille de la figure emblématique et architecte de la Révolution algérienne, Abane Ramdane dans sa région natale et préparer ainsi une cérémonie de funérailles nationales. Hélas, la doléance est restée sans suite !
Au terme de son mandat exécutif et pour les raisons de problèmes de santé, il se retire de toute activité politique officielle et se consacre à sa famille et à l’éducation de ses enfants, sans pour autant abandonner son engagement patriotique. A sa manière, il continue sa contribution dans la construction du pays. Il se met à la disposition de la génération post-indépendance et répond favorablement à leurs invitations insistantes pour donner des conférences historiques dont les thématiques sont axées essentiellement sur l’histoire du mouvement national. Il est un acteur vivant dans la narration historique contemporaine de notre pays. Il donne et anime plusieurs conférences et à chaque fois devant une assistance nombreuse.
Pour ses qualités humaines, son éducation raffinée et sa sagesse, il est souvent sollicité pour les règlements des conflits entre familles et population locale. Tous savent que ce digne fils des Ath Irathen a le sens de l’écoute, qu’il est adepte du dialogue et de la médiation, et qu’il ménage les sensibilités. Devant de telles situations, c’est le sage qui parle, le militant qui s’exprime, le patriote et l’homme d’expérience qui agit, et par conséquent celui qui porte des solutions aux problèmes posés.
Tout le long de son parcours et des responsabilités politiques qu’il occupe, il refuse catégoriquement et inéluctablement tout privilège et promotion sociale dans toutes ses formes. Il reste digne, courtois, simple et humble. Toute sa vie durant, il reste très exigent envers lui-même, mais indulgent envers autrui. Un véritable enfant du peuple.
A l’occasion de cette évocation, nous nous inclinons devant la mémoire d’un sage, d’un militant politique, d’un patriote et d’un homme de principes et, partant, celui qui véhicule une multitude de valeurs qui caractérisent les fondements mêmes de la déontologie politique et sociale, dont il est un fervent adepte.
Par Mustapha Hadni
Sources et notes :
1)– Hadni Saïd dit Si l’Hakim est né en 1917, militant de première heure, membre du PPA/MTLD. Arrêté en avril 1948, il écope de 8 mois de prison ferme pour avoir saccagé les urnes au département de Fort National, et ce, suite aux bourrages et au trafic des élections. Une fraude nationale généralisée dont l’investigateur est Néaglen. Membre actif de l’OS dès sa création, recherché activement par les autorités après le démantèlement de l’OS, contraint à la clandestinité, il se réfugie à Besançon.
Au déclenchement de la Guerre de Libération Nationale, il rentre au pays et intègre le FLN. Il est désigné par Krim et Mohammedi Saïd chef de région. Il participe activement aux préparatifs du Congrès de la Soummam dans la logistique.
A l’issue du Congrès, si l’Hakim est désigné lieutenant de l’ALN, seconde le capitaine Abderrahmane Mira dans la zone 3 de la Wilaya III et siège au conseil de la zone 3.
En février 1957, Hadni Saïd et son groupe sont tombés dans une embuscade tendue par l’armée française. Après une farouche résistance, il tombe au champ d’honneur avec neuf autres moudjahidines au lieu-dit Arous, département de Fort National, aujourd’hui Larbaa Nath irathen. Au lendemain de son inhumation, l’armée française, revenue sur les lieux, ordonne l’exhumation du corps de Si l’Hakim pour le photographier. Un homme réputé proche de l’état-major de Wilaya III.
2)- Extrait tiré du livre de Salah Mekacher, secrétaire du PC de la wilaya 3 sous le titre Les récits de la mémoire : Tizi Ouzou, le destin d’une ville et sa région. Edité aux éditions El Amel.
3)- Témoignage de Mohamed Rezzoug, recueillis par clément Henri Moore dans le livre intitulé Combat et solidarité estudiantins : L’UGEMA (1955-1962). Edité à Casbah édition.
4)- Le régional est un responsable politico-militaire. Il a sous sa responsabilité trois mille cinq cents hommes (3500), dont cinq cents (500 militants). Il est un cadre important dans l’organisation de la Fédération de France FLN.
Il est considéré à juste titre comme permanent du Front de Libération nationale aux côtés des Zoual, Amala, Wilaya et les membres du Comité Fédéral. Sous son autorité, les secteurs, les kasmas, les sections, les groupes et les cellules. Tiré du livre La 7e Wilaya : la guerre du FLN en France 1954-1962 de Ali Haroun, Edité à Casbah édition.
5)- Les groupes de choc ou groupes armés sont spécialement chargés au niveau du régional d’une mission de défense et de protection de l’organisation du FLN, mis bien évidemment sous l’autorité du régional.
6)- Illustration: El watan