Il prit une décision irrévocable :
– » Je ne veux pas que la mort me retrouve sur son chemin ! Je dois m’en éloigner le plus possible ! «
Il se mit alors à la fuir. Il allait, toujours plus loin encore afin que la faucheuse ne le retrouve jamais. Il voyageait constamment et ne de fixait nulle part. Il quittait le lieu le soir même de son arrivée, persuadé de déjouer ainsi sa dernière heure. Il avait parcouru la moitié du monde sans jamais s’attarder au même endroit.
Comme tout le monde sait, la mort n’épargne personne et chaque communauté la reçoit et la ritualise à sa manière. La mort, elle, ne change jamais : elle moissonne avec la même faucille et emporte hommes, femmes, jeunes et vieux sans état d’âme. Elle passe, choisit, prend et part. Elle combat ainsi sa rivale de toujours : la vie. À ceux qui pensent lui jouer des tours, elle réserve des surprises aussi étranges qu’imprévues.
Un jour, l’homme qui fuyait la mort arriva dans une ville somptueuse, réputée pour ses riches palais, ses merveilleux jardins et sa nombreuse population très aisée. Il se promena dans le souk où régnait l’abondance. Les gens qu’on y rencontrait, rivalisaient de richesses et de beauté. Le voyageur en fut émerveillé.
Parmi les femmes qui étaient là, l’une d’elles capta le regard du voyageur qui en resta médusé. Elle était élégante dans ses soieries aux belles couleurs; elle était sensuelle avec ses parfums enivrant ; elle était lascive dans ses gestes et sa démarche ; elle était captivante par le son de sa voix; elle était voluptueuse par son retard envoûtant. Tout en cette femme attirait et ensorcelait.
L’homme fut séduit instantanément par tant de charme réunis. Il était pris dans les rets d’un sentiment très fort qui le submergeait entièrement et l’empêchait de raisonner. Il ne pouvait plus quitter la belle dame. Il craignait de la perdre dans la foule. Comme un fou, il s’était mit à la suivre sans jamais la quitter des yeux. Il la talonnait, bousculant les passants, humant ses parfums exquis.
La dame quitta le marché puis s’achemina vers une riche demeure. Elle y entra et en ferma la porte. L’homme en proie à une passion dévorante, tenta de la suivre mais trouva porte close. Ne pouvant supporter l’idée de la perdre, il décida de rester là. Il en oublia ses anciennes frayeurs et passa la nuit sur le même lieu, juste sur le pas de la demeure de la belle dame.
Au matin, ne supportant plus d’attendre, il frappa à la porte tant et si bien qu’on vient lui ouvrir. Une vieille femme hideuse, horrible à voir, édentée, échevelée, puant la pestilence, une harpie au regard vide, toute de noir vêtue, le reçut.
– » Je cherche une belle dame, lui dit-il, avec la flamme qui le dévore, une femme que j’ai vu entrer ici, hier soir. Je voudrais la revoir, je ne peux m’en empêcher. «
La vieille femme lui dit alors d’une voix à faire frissonner les plus intrépides :
– » Je vous connais et je sais ce qui vous a amené jusqu’ici. Vous fuyez la mort depuis longtemps déjà. »
-« Ah s’exclama l’homme ahuri ! Comment savez-vous tout cela ? »
-« Je suis la mort et c’est vous qui êtes venu me chercher ! Je suis la mort répéta-t-elle et ton heure à sonné ! «
Cette nouvelle foudroya l’homme et la mort fit le reste. C’était à cet instant et en ce lieux qu’il devait mourir et c’était lui qui avait choisi la façon.
L’heure c’est l’heure. Avant l’heure ce n’est jamais l’heure, après l’heure ce n’est pas encore l’heure. Celui dont le blé est mûr moissonne. (Elli tab zarou’ yahssad) Fou est celui qui se croit immortel et capable d’échapper à cette loi inexorable.
Source : Conte du terroir algérien – Editions Dalimen
Illustration : Fusain – La Mort, Reine de la Nuit de Blanche Mt.-Cl.