En disant cela, Batoul se rappela les conseils de sa protectrice et pensa à la mèche de cheveux qu’elle avait cachée de peur de la perdre. Elle alla la chercher pour la mettre tout près de son corps sans connaître vraiment l’effet que ce geste allait produire.
Ce jour-là, en entrant chez lui, le maître des lieux, si triste, si indifférent d’habitude, regarda la jeune fille avec ravissement, comme s’il la découvrait pour la première fois.
– « Où étais-tu lui demanda-t-il ? Pourquoi m’as-tu laissé seul ? »
– « Je suis là, répondit Batoul, je n’ai jamais quitté la maison. »
– « Je ne te voyais pas. Pourquoi te cachais-tu alors ? »
Batoul, ne crut pas ses oreilles car pour la première fois, le maître la voyait vraiment. Elle fut plus surprise encore lorsqu’en lui servant à manger, il l’invita à partager son repas.
Au moment où Batoul servit le thé, l’homme qui la regardait intensément, lui déclara son intention :
– « Batoul, c’est ainsi que tu t’appelles, n’est-ce pas ? »
– « Oui sidi, répondit Batoul timidement. »
– « Veux-tu être mon épouse selon la tradition de Dieu et de son prophète ? »
-« Je le veux, Sidi ! »
Et comprenant enfin, le miracle de la frange, elle poursuivit :
– « j’aimerai Sidi, que tu m’appelles Meriem à partir de cet instant. »
– « Cela me fera plaisir aussi et toi tu dois cesser de m’appeler Sidi. »
Sans faste ni fanfare, Batoul devint Meriem, la femme du riche négociant qui retrouva le sourire depuis. Batoul-Meriem connaissait le secret de sa transformation et s’en accommodait parfaitement. Elle fit de la mèche de cheveux un talisman qui ne la quittait jamais et n’oubliait jamais sa bienfaitrice dans ses prières. De beaux enfants vinrent compléter le bonheur de ce couple à trois : un homme, une femme et une frange.
Source : Contes du terroir Algérien – Editions Dalimen
*El Goussa : la frange
Image : Jean Geiser – Jeune femme algéroise, vers 1870