Le bourreau s’empara de Fella et disparut dans la forêt profonde pour lui ôter la vie à l’abri des regards, comme le voulait le roi. Mais le bourreau eut pitié de la princesse. Il la laissa seule, dans une contrée lointaine avec quelques provisions. Il revint au château, avec une fiole pleine du sang d’un renard.
Abandonnée à son triste sort, la princesse marcha longtemps. Elle marcha de jour et se reposa de nuit, avant d’arriver à l’entrée d’une ville, à l’heure où on fermait les portes des remparts. Elle eut juste le temps de s’introduire dans cette ville inconnue et s’abrita comme elle put pour passer la nuit. Le lendemain, elle découvrit une grande cité très prospère. Elle erra longtemps, demandant l’aumône comme une mendiante. Au marché, une vieille femme s’approcha d’elle et lui demanda:
–« Veux-tu travailler honnêtement ? Nous avons besoin d’une servante au château. »
-« Je le veux bien, répondit Fella qui suivit la vieille gouvernante. »
Fella fut aussitôt, mise au service de la première des sept fille du sultan, qui, intriguée par la délicatesse de la jeune fille, lui demanda de lui conter sa vie. La servante lui dit alors :
-« Je suis à la recherche de Amar Gdar ben Gdar elli edda kalbi ou khalani fi dharb elhajer. (… celui qui a pris mon cœur et m’a laissée cible aux coups de pierres). »
A cette nouvelle, la fille aînée chassa la servante, la rendant responsable de la maladie de son seul frère Amar.
-« Va, lui dit-elle, sorcière ! Tu mérite qu’on te pende haut et court pour ce que tu as fait à mon frère qui est entrain de mourir un peu chaque jour par tes méfaits ! «
La princesse-servante retourna à sa vie d’errance mais ne tarda pas à être mise au service de la deuxième fille avec laquelle elle vécut la même histoire. Elle connut ainsi chacune des filles du sultan et sœur de Amar, son bien-aimée.
Seule la dernière, plus douce et surtout plus compréhensive, décida de l’aider. Ensemble, elles mirent au point un stratagème qui fit passer Fella pour un médecin « scoli ». Une fois introduite au près du prince malade, cette dernière usa du remède prescrit par le médecin qui avait comprit son propre mal d’amour. A la vue du cadavre et du coeur de l’agneau, le prince fit les mêmes remarques et pleura à chaude larmes en demandant à tous, de pleurer avec lui car jamais il ne retrouvera la paix sans sa bien-aimés, Fella, la princesse de la tour de verre.
Le père et les sœurs qui écoutaient en furent touchés et décidèrent d’aller à la recherche de l’élue du cœur du beau prince atteint du mal d’amour. C’est alors que la dernière des filles prit la parole en s’adressant à sa protégée :
-« Fella ! Veux-tu, s’il te plait, donner ton élixir d’amour à mon frère ? »
-« Je le veux bien ! répondit Fella en se découvrant. »
Au nom de Fella, le prince se releva et instantanément retrouva le sourire. Fella ôta son déguisement et apparut à Amar dans toute sa grâce restée intacte, malgré tout ce qu’elle avait vécu pour le retrouver.
On fit une fête grandiose pour célébrer les noces de Fella et Amar. Trois beaux enfants vinrent compléter ce bonheur. Mais il restait au fond du cœur de la princesse, son amour pour son père et son attachement sa dada. Elle dit un jour, à son époux :
– » Je voudrait tant revoir mon père, dada et la tour de verre. »
– » Il sera fait ainsi, si c’est là ton bonheur, lui répondit Amar F+Gdar ben Gdar qui témoignait à Fella un amour inaltérable. »
Le retour au pays fut pour Fella un doux pèlerinage. Elle retrouva son père qui fut heureux d’être grand-père. Elle retrouva dada vieillie mais toujours affectueuse et dévouée. Elle fut surprise de ne pas retrouver la tour de verre. Elle demanda au père :
– » Où est la tour de verre, la tour de mon enfance, de mes amours et de tous mes tourments ? «
-« Je l’ai détruite après ton départ car je m’étais rendu compte de mon erreur : la liberté à une clé : l’amour des jeunes cœurs. J’étais dans l’erreur et je te demande de me pardonner. Maintenant que tu es mère, tu peux comprendre la jalousie que ressent un père pour son enfant. »
-« Je te pardonne père car tu m’as aidée à conquérir le cœur de mon époux. »
Source : Conte du terroir Algérien – Editions Dalimen.
Illustration : Portrait de Remzi Iren