Au palais, il y avait une habitude que reine et princesses aimaient plus que tout. Un jour par mois, elles allaient en ville et visitaient ses nombreux souks à la recherche de soieries, de parfums et de bijoux rares. Le roi dit alors à sa femme d’aller se distraire et demanda à sa propre mère de veiller sur son bonheur au cour de cette promenade qui emplissait de joie toutes les femmes.
Lorsque la reine, sa bru, les princesses et les suivantes se trouvèrent au souk, El Berrya n’acheta rien de tout ce que les étalages offraient en ce jour d’aubaine pour les marchands qui rivalisaient d’intelligence et de poésie pour présenter leurs marchandises aux royales clientes. Rien ne l’intéressait : ni les ors, ni les satins, ni les damassés, ni l’ottoman n’avaient une valeur à ses yeux. Seul le pain attirait son attention.
Chacune revint au château avec milles choses. La princesse, elle, portait serré contre son coeur, une grosse miche de pain. Cela étonna tout le monde et la reine-mère en fit le rapport à qui de droit. Inquiet, le roi en parla avec son épouse en lui demandant de s’expliquer sur un tel comportement :
– » Explique-moi, noble reine, pourquoi cette relation que tu as avec le pain. Que crains-tu ? Tu n’en manquera jamais. Je te le promet ! Raconte-moi ton histoire avec le pain, c’est peut-être là qu’est l’énigme et l’explication de ton insoutenable tristesse. «
– » Oui, mon cher époux et noble roi. Je suis une princesse, la princesse Nour el Houda surnomée El Berrya, du royaume du grand Chohran, mon père, un royaume qui fut prospère. Nous y vivions, mon père, le roi que Dieu ait son âme et moi, avec tous nos sujets dans l’abondance et la paix. Mais la fatalité s’acharna contre nous et contre tout ce qui faisait la fierté de mon père, et nous éprouva cruellement, en nous privant de tout. De terribles phénomènes naturels s’abattirent sur notre royaume et le transformèrent en un vaste désert ou aucune herbe ne pousse et aucune âme ne vive. Seule avec ma servante, j’ai attendu patiemment des jours meilleurs mais rien ne changea. J’ai laissé derrière moi mon palais et ses richesses, mon royaume et ses terres et j’ai erré sur les routes avec ma servante, quittant une région et entrant dans une autre à la recherche du pain, juste du pain pour ne pas mourir de faim car c’est la plus atroce des morts. J’ai vu de mes yeux des animaux et des hommes mourir de cette mort et je ne l’oublierai jamais. «
Le roi écouta attentivement et fut ému par le récit de la princesse, il lui promit de retourner avec elle sur ses terres afin de rendre à son royaume toute sa splendeur d’antan. Elle lui fit promettre d’être prudent et de prévoir les années de sécheresses comme elle lui demanda de s’occuper personnellement de l’éducation de leurs enfants. Elle voulait que princes et princesses apprennent à vivre simplement et surtout à respecter l’eau, le pain et d’apaiser le faim qui tenaille le ventre des démunis. Elle leur enseigna qu’être prince ou roi ne les protégeait pas de la terrible menace du destin.
Source : Contes du terroir Algérien – Editons Dalimen
Illustration : Dans un souk de tissus , Cairo Fabio Fabbi (1861-1946)