Dans sa tribu nomade le jeune Dhiab, fils du chef Ghanem, était le meilleur des bergers. Rusé, grand cavalier, il maniait le sabre, parlait aux plantes et interrogeait le sable.
Un jour, avant de changer de campement, les sages de la tribu désignèrent un groupe de jeunes garçons pour repérer les terres de leur nouvelle destination. C’était une épreuve d’initiation. Fiers d’entrer ainsi dans le cercle étroit des initiés, ils enfourchèrent leurs chevaux et galopèrent à bride abattue. Quelques jours après, ils revinrent fourbus de fatigue. Pressés de se reposer, ils entravèrent leurs montures en aval de la réunion des sages qui les attendaient. Seul parmi eux, Dhiab prit la peine d’entraver sa jument en amont et fit les salutations d’usage avant de rejoindre la tente de ses parents.
Un peu plus tard, les jeunes se présentèrent dignement devant leurs aînés qui les interrogèrent.
– Alors, ce voyage ? Qu’en avez-vous retenu ?
– Rien de bien particulier ! répondirent les jeunes nomades.
Ghanem regarda son fils et insista :
– Et toi Dhiab ? As-tu quelque chose à ajouter ?
Et à Dhiab d’expliquer :
– Nous n’avons effectivement pas vu âme qui vive mais la terre que nous avons repérée, venait d’être traversée par une longue caravane. Une caravane qui comptait un dromadaire borgne, un dromadaire sans queue, un homme gaucher, une femme enceinte et une chienne qui venait d’avoir une portée.
Les anciens, qui savaient la marque de la lignée, tendirent leurs oreilles afin de n’en rien rater :
– Comment peux-tu être si précis, alors qu’il n’y avait pas âme qui vive ?
Et Dhiab, inclinant légèrement la tête vers le bas en signe de respect, continua :
– Les traces de la caravane sur le sol étaient visibles. Quant au reste, voici mes observations. Le dromadaire était borgne car sur le bord de la route, l’herbe n’était broutée que d’un seul côté. Preuve que l’animal ne voit que d’un œil. L’autre dromadaire était sans queue car il était le seul à avoir les crottes alignées. Preuve qu’il ne pouvait les disperser en agitant la queue.
– Et l’homme gaucher ? Et la femme enceinte ? insista un homme de l’assemblée.
– Le sable parle ! Comme vous le savez, les nomades ne se séparent jamais de leurs bâtons, prêts à se battre en cas de danger. L’un d’entre eux qui suivait à pieds, portait constamment le sien de la main gauche. Quant à la femme enceinte, ses pas sur le sable montraient qu’en marchant, elle appuyait beaucoup plus sur les talons. Seule une femme alourdie par sa grossesse marche ainsi.
– Et comment as-tu deviné que la chienne de cette tribu venait d’avoir des petits ?
– La chienne qui suivait, marchait par moment sur ses pattes arrières seulement, preuve qu’elle s’agrippait à une bête sur laquelle était posée sa portée. Cela chez les chiens nous l’avons tous constaté.
Les sages, qui étaient en admiration, posèrent une dernière question :
– Dis-nous pourquoi, en arrivant, contrairement aux autres garçons, tu as attaché ton cheval en amont ?
– J’ai senti la direction du vent. En aval, l’odeur du crottin de mon cheval risquait de vous incommoder, vous,
l’honorable assemblée, conclut enfin Dhiab qui fit, une fois de plus, l’admiration des siens.
Tous les sages tournèrent leurs regards vers Ghanem son père, qui dit avec fierté : « C’est ainsi ! Pour saisir ce qui est hors de portée, le héros hillalien possède sa main, son sabre, mais également le bord de ses cils ! »
De nos jours encore, les récits des élégantes hardiesses de Dhiab enchantent petits et grands.
D’après H.bencherif