« Il me suffirait de changer ‘’livres’’ par ‘’peintures’’ pour pénétrer le chemin initiatique de Denis Martinez » écrit Nourredine Saadi dans le préambule de son ouvrage « Denis Martinez, peintre algérien ». C’est que Denis dans son art est en perpétuelle quête. Une quête de sens, des questionnements philosophiques et une recherche effrénée de sa mémoire d’enfance, comme un retour incessant aux sources. Comme les signes qui caractérisent ses œuvres qui semblent lui avoir été communiqué à travers les temps par les ancêtres berbères. Peut être à travers les fenêtres du vent ou d’autres rituels anciens qu’il reprend dans ses performances et dans ses poèmes.
Denis est ce qu’on peut appeler un artiste aux expressions multiples. Il écrit quand il peint, il peint quand il écrit. Il prend possession de l’espace de tout son être, son vécu, ses idéaux et ses souvenirs, en usant et abusant de sons, de mots, de couleurs et de matières.
Nourredine Saadi le décrit ainsi : « Il parle en agitant les mains, un mouvement qui pétrit l’air comme si c’était de la matière, de la terre, et sa propre parole devient une sculpture de gestes. Il a alors besoin d’un objet, souvent il dessine ou griffonne, et l’on sent que c’est moins pour se donner contenance que pour puiser ses mots dans des formes. Il essaie celui qui va ouvrir un sillon à sa phrase ; il hésite, ferme les paupières et il me donne l’impression de chercher de la lumière à l’intérieur de lui-même. C’est ainsi que je l’imagine peindre ».
Denis Martinez peint effectivement comme il respire ! Il y a presque 40, Tahar Djaout, l’interviewant à l’occasion d’une exposition rétrospective, écrivait en chapeau : « Le visiteur reste ébahi devant ce vaste mouvement qui fait voler en éclats toutes les étiquettes et toutes les écoles. En effet, debout devant une toile de Martinez, on s’aperçoit -ô miracle- que les mots comme cubisme, surréalisme disparaissent spontanément, jugulés par puissance, un grouillement : la vie. Les toiles sont trop directes ; elles n’ont besoin pour parler d’aucune assistance linguistique. Une sorte de ‘’peinture pour vivre’’ ».
Cette ‘’peinture pour vivre’’ est justement plus que de simples toiles à suspendre. Ce sont des choses à dire. De ses gribouillis à ses performances, en passant par ses installations, ses toiles, ses poèmes… tous sont le reflet de son être. Son œuvre est autant commandée par ses rencontres, ses voyages, ses émotions de l’instant T, que par sa mémoire cognitive et sa longue mémoire héritée.
S’il démarre toujours ses toiles avec la couleur jaune- symbolisant le tracteur de son enfance- Denis aboutis toujours sur des fragments de sensations : commotions, transes, joies, sauvagerie, inquiétudes, mouvements, bouillonnement, colère… Des sensations toujours inquiétante, rarement apaisantes, mais souvent fertiles…
Denis Martinez a fait partie des initiateurs du mouvement Aouchem, peinture du signe. Si ce mouvement a été éphémère, il n’en demeure pas moins qu’il a influencé toute une génération de jeunes artistes. Le signe reste à ce jour très présent dans son travail, qu’il s’agisse de peinture ou d’écriture, comme un point d’encrage ou peut être une ligne d’arrivée bien que jamais tracée. Entre l’héritage et le fardeau… fardeau de l’exil et héritage des hommes libres.
Zineb Merzouk
- Bibliographie
- Nourredine Saadi : « Denis Martinez, peintre algérien », éditions Barzakh, Le bec en l’air. 2003
- Tahar Djaout : « Denis Martinez ‘’J’ai atteint à une certaine liberté dans la création’’ » Interview parue dans El Moudjahid Culturel, N° 195, le 2 avril 1976. (A partir de « Tahar Djaout. Une mémoire mise en signe. Ecrits sur l’art », textes réunis par Michel-Georges Bernard, préface de Hamid Nacer-Khoudja.)