Broderie … Un long fil de l’histoire de l’humanité.


Le mot broderie est un terme qui désigne l’ornement d’un tissu moyennant des motifs cousus avec des fils de différentes couleurs et textures. C’est à al fin du XIIe siècle qu’apparaît ce terme désignant tout d’abord les motifs décoratifs, puis désignant les ornements cousus sur toutes sortes de tissus.

La broderie la plus ancienne a été retrouvée en Egypte. Comme dans toutes les civilisations antiques, les peuples étaient de talentueux brodeurs. La broderie fine se développa en Perse et à Babylone, en Palestine et en Syrie. Mais c’est dans la Byzance médiévale que les habits de la cour sont brodés à partir de modèles d’origine Persane. C’est surtout dans le Sud de l’Italie que l’Art byzantin a eu beaucoup d’influence, puis s’est répandu sur toute l’Europe.

Quant à l’histoire de l’Orient méditerranéen, dans ce volet, ce n’est qu’à partir du X et XIe siècle qu’elle a été marquée par les populations d’origine turco-mangole issues de plusieurs sultanats du monde Syro-égyptien et anatolien. De là, la diversité culturelle est intégrée tout en reprenant l’héritage byzantin, dans l’espace méditerranéen et balkanique. La tradition des ateliers impériaux pour la soierie dans l’Ouest anatolien a profondément marqué l’histoire du textile ottoman, ainsi que la pratique, princière et de bourgeoisie, de la broderie et de ses modèles grecs pour la préparation des trousseaux des jeunes filles.

Sous les ottomans, l’habillement correspond à des critères d’appartenance sociale, ethnique et religieuse. La qualité de la production de cour et celle destinée au commerce international les rend assimilables à un art.

A partir du XVIe siècle, la Régence d’Alger, dans le giron de l’Empire Ottoman, connaîtra une période de grande prospérité et devient le centre d’un commerce florissant s’appuyant sur une population cosmopolite et des flux d’échanges qui traversent la Méditerranée. Ce dynamisme commercial profitera à l’artisanat, mais aussi à la broderie qui s’enrichit par le biais de la «sublime porte» d’où arrivent les arts d’Orient avec leurs variations turques, byzantines, persanes, voire indiennes et chinoises. Les commerçants juifs, par la voie du commerce, ont apporté des matières et des objets marqués par l’art italien.

Ce commerce intense a été non seulement fructueux dans le domaine économique, mais a également beaucoup apporté au développement interne prodigieux des artisanats, dont les réfugiés andalous demeurent longtemps le noyau le plus actif. Cet échange a aidé à assimiler les influences étrangères, esthétiques et techniques aux styles autochtones, ce qui les a enrichis. Les chroniqueurs de l’époque qui pour la plupart étaient européens, notent sur leurs carnets les rapports de leurs voyages à travers l’Algérie le nombre impressionnant d’artisans et la haute qualité de leur travail. Beaucoup de leurs articles font référence avec admiration à la broderie, non seulement sur Alger, mais également à travers la quasi-totalité du pays.

Pour exemple, Venture de Paradis cite les ceintures de soir exportées d’Alger vers l’Orient, même s’il trouvait qu’elles étaient surchargées d’or. Aussi, le Docteur Shaw relève le raffinement des tissages et leurs ornements brodés. Au début du XIXe  siècle, le Capitaine Rozet (chargé d’espionnage dans la perspective d’une occupation du pays) a signalé les voiles brodés de Constantine et les magnifiques châles vendus à Koléa. Plus tard, malgré l’interdiction des corporations de métiers par l’administration coloniale vers 1838, Prosper Richard notait dans son ouvrage sur « L’Artisanat en Oranie » que Tlemcen comptait encore douze brodeurs professionnels.

De la fin du moyen-âge au début de la colonisation, la broderie d’Alger et de l’ensemble du pays s’est imposée au fil du temps comme une référence mondiale. La broderie de soie est née à Alger durant les trois siècles de domination ottomane (du XVIe  au XIXe  siècle). D’une surprenante beauté, ces broderies s’exécutent d’après un tracé et à fils comtés sur des métiers à bras. Les décors sont pour la plupart floraux à dominante violette, soit rouge et bleu sur fond d’étamine de lin de couleur bistre. Elles sont destinées au costume ou à la décoration intérieure et furent longtemps l’apanage des femmes de la haute société. Le plus bel exemple de broderie d’Alger conservé en France est le voile de la Vierge de la cathédrale de Chartres appelée : Notre-Dame du Pilier, réalisée en fil de soie et d’or et remontant au XVIIe siècle qui sert de parure à la statue de la Vierge.

Aujourd’hui, en Algérie, la broderie est un artisanat pratiqué aussi bien en ville qu’en milieu rural. Alors que la broderie citadine s’est enrichie des influences de la décoration andalouse et orientale, la broderie rurale conserve dans certaines régions la décoration berbère faite de ces mêmes motifs géométriques qu’on retrouve sur les tapis et sur les poteries. La broderie d’Alger, de Cherchell et enfin celle d’Annaba, est exécutée à fils comptés avec des fils de soie aux teintes chatoyantes, bleu, rouge, violet. Les tissus utilisés pour ces fins travaux sont la soie, le lin et le coton. Les villes d’Alger, Blida, Koléa, Médéa, Ténés continuent toujours de produire de la dentelle à l’aiguille. C’est un artisanat d’art qui reste pratiqué dans les maisons. Souvent, il constitue une source de revenus fort appréciable pour les femmes brodeuses. La broderie d’Annaba est réputée pour son raffinement aux fils de soie décorant les vêtements et les objets utilitaires. D’admirables travaux d’aiguille sont réalisés dans les grandes villes par les femmes qui, réunies autour d’un Guerguef (métier à broder de forme horizontale à quatre pieds), se transmettent depuis des générations les techniques et motifs décoratifs.

Si cet art décoratif était considéré, autrefois, comme une base incontournable de l’éducation des jeunes filles de grandes familles, aujourd’hui, beaucoup le pratique faute de poursuivre leurs études à l’école. Au vu de la diversité naturelle du pays, la broderie algérienne diffère d’une région à l’autre. La broderie d’Alger est appelé le Tarz, Truz ou Triz, ou «Guerguaf», «N’djoum – Kentid» qui signifie : recherche de l’élégance. «B’niqa», «Caftans», «Qats», «Karakous», sont les bijoux de la haute couture de l’ancienne El Djazair. De belles arabesques sur des étoffes sont passées d’el gargaf à la «fetla» en passant par «El Kentir» et où le brodeur ou la brodeuse laisse libre court à leur imagination. Les fêtes sont de véritables révélatrices des tendances et des modes en cours. Alger, verra culminer le Badrûn et le Qwiyat. La B’diya et autres B’niqua et El Abrouk avec toujours le même souci : plaire et attirer le regard de l’autre. La Broderie de Miliana quant à elle, c’est Alger revisité. Le sens «Hadras» ou le cachet citadin qui l’emporte. De Blida à Médéa en passant par Koléa, l’influence turque, arabe ou andalouse, est partout visible.

La broderie de Constantine est reconnue pour son extrême finesse où les motifs s’inspirent des arabesques orientales.

La broderie de Annaba est à motifs généralement floraux et s’inspirant des travaux de nos voisins tunisiens, justifiée par l’appellation broderie «de Nabeul».

La broderie du Sud (Touggourt et M’néa) : La première, du fait de sa proximité avec la vallée du M’Zab rappelle à bien des égards les métiers pratiqués dans la ville de Ghardaïa, alors que la seconde, réputée pour son tapis, se distingue par une grande originalité dans le style.
La ville de Tlemcen a toujours été connue pour la finesse et la beauté de ses broderies. Les distances sont soigneusement calculées, puisque c’est un art qui refuse toute erreur : un travail dur, minutieux, axé sur la précision. L’œil veillant arrange les couleurs. Cet art est transmis de mère en fille. La valeur de l’œuvre est associée à la précision et le savoir-faire de l’artiste. Le fil d’or de cette ville est appelée «fetla» et est réputé dans tout le pays.

Mounira Amine-Seka.

Sources :

 

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