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Histoire d'AlgériePériode préhistoire (paléo-néolithique)

Alimentation des Paléoberbères (temps préhistoriques), partie II : les Capsiens

villageneoliticEntre le VIIIe et le Ve millénaire (avant notre ère), les Capsiens ont occupé, particulièrement dans le Sud tunisien et le Sud constantinois, un grand nombre de sites sur lesquels ils ont accumulé, en quantité parfois énorme, ces coquilles d’hélicidés (escargots, et mollusques) et des cendres mêlées de pierrailles, créant ainsi les dépôts archéologiques que les préhistoriens appellent escargotières et les habitants du pays cendrières (rammadiya).

Les coquilles d’escargots entrent pour 35 à 40 % dans la composition de ces dépôts ; il y en a 200 m3 représentant 75 à 80 millions d’individus à Dra-Mta-el-Abiod, escargotière d’importance moyenne, située à 26 km au sud de Tébessa ; il y en a 3 000 m3, représentant 300 à 320 millions d’individus au Kanguet-el-Mouhaâd, escargotière exceptionnellement importante, proche de la frontière tunisienne. Comment ont-ils été consommés ? Quand les animaux sont vivants, il est très difficile de les extraire sans briser la coquilles, or, celles-ci sont entières et intactes dans les gisements (si elles n’ont pas été broyées par un piétinement prolongé). Ils ont probablement été cuits ou noyés. Non pas directement grillés sur les braises, mais vraisemblablement bouillis.

Les Capsiens, ignorant la céramique, ont dû utiliser des récipients creusés dans le bois ou faits de cuir, de membranes animales ou de fibres végétales et dont l’eau était portée à la température convenable, soit par exposition à un foyer, soit par immersion de pierres préalablement chauffées, une partie des pierrailles mêlées aux cendres ayant pu servir à cet usage. On ne constate pas sans surprise qu’ils ont préféré un mode de préparation infiniment plus long et plus compliqué à la rapide et facile cuisson directe sur les braises.

On serait tenté de croire qu’ils se sont nourris principalement d’escargots si l’on ne trouvait, dans les escargotières, de nombreux débris osseux de vertébrés. Ces débris appartiennent à 28 espèces différentes : des ruminants, un équidé, des carnivores, des rongeurs, des oiseaux, et des reptile

Une antilope domine dans tous les inventaires des faunes mammaliennes des gisements capsiens : il s’agit de l’alcélaphe ou antilope bubale (Alcelaphus boselaphus). Ce ruminant assez disgracieux, au garrot surélevé et à l’arrière-train ravalé, dont la face paraît démesurément allongée, était encore, au cours des derniers siècles, avec la gazelle, l’antilope la plus répandue en Afrique du nord. Son extinction est très récente. Non seulement l’antilope bubale est représentée très souvent dans les escargotières (on l’a reconnue dans 29 des gisements capsiens dont la faune a été étudiée) mais encore est-elle très abondante dans chacune.

Comment était consommée la viande du gibier ?

Certainement cuite. Mais cuite comment ? Les débris osseux calcinés sont rares, et ceux qui ont subi l’action du feu sans être soumis à calcination ne sont eux-mêmes pas très nombreux (15 à 20 %). Il semble que les Capsiens n’aient que rarement pratiqué la cuisson directe, à la chaleur des braises, de quartiers de gibier avec leurs os. Aussi bien, avaient-ils maintes autres possibilités : rôtir l’animal entier dans sa peau à la manière des aborigènes d’Australie ou des chasseurs touaregs (voir Abatūl*), utiliser comme marmite une panse de ruminant ainsi que le faisaient les Indiens d’Amérique du Nord, employer des pierres préalablement chauffées pour cuire les aliments à l’étouffée ou pour porter à ébullition l’eau d’un récipient les contenant, tout simplement découper des grillades et des brochettes. On recueille dans les cendres des plaques calcaires couvertes d’incisions légères qui ont été vraisemblablement des planches à découper ; la rareté des traces laissées sur les os par les outils de silex ne prouve pas qu’il n’y a pas eu décarnisation mais seulement que le découpeur était habile et expérimenté. Les petits animaux (lièvre, tortue) ont probablement été bouillis car les os en sont toujours intacts ; quant aux gros os, ils ont été systématiquement brisés pour en extraire la moelle.

La masse du gibier consommé peut être évaluée approximativement à partir de l’inventaire des restes faunistiques et de la détermination du nombre minimal des individus de chaque espèce.

Pour l’ensemble de la population du site, la chasse aurait fourni au moins les 5/6 de l’approvisionnement en chair animale, les escargots au plus 1/6. On arrive, à Dra-Mta-el-Ma-el-Abiod, à des conclusions à peu près exactement inverses ; c’est que les méthodes d’approche diffèrent. Ayant découvert que certains échantillons des dépôts archéologiques sont imprégnés de matières d’origine organique, D. Lubell est parti de cette constatation pour évaluer à environ 500 000 kg la masse de chair comestible tirée des vertébrés. Comparé à celui que nous avons retenu pour Dra-Mta-el-Ma-el-Abiod (16 000 kg pour 550 m3 de dépôts), ce chiffre de 500 000 kg (pour 944 m3 de dépôts) paraît énorme. Il est possible que les Capsiens de l’Aïn Misteheyia aient été de plus gros mangeurs de viande que ceux d’El-Ma-el-Abiod ;

Il est vraisemblable que la méthode de calcul fondée sur l’imprégnation du sol conduise à surestimer l’importance du gibier ou que celle fondée sur le dénombrement des restes osseux conduise à la sous-estimer ; de nouvelles recherches en décideront.

Bien qu’il ait attribué à la chasse un rôle qui nous paraît trop important, D. Lubell estime lui aussi qu’elle n’a assuré aux Capsiens de l’Aïn Misteheyia qu’une partie de leurs besoins alimentaires et que le complément a été demandé principalement au règne végétal.

L’ordre de grandeur des ressources alimentaires que représentent les rejets conservés à Dra-Mta-el-Ma-el-Abiod suggère la probabilité d’une occupation discontinue. Mais elle a pu être discontinue sans comporter une alternance régulière de présence et d’absence. Chacun des deux modèles de vie que l’on peut envisager pour les Capsiens : sédentarité ou nomadisme, explique bien certains faits mais, en même temps, soulève de graves difficultés et il est permis d’hésiter entre eux. Si les capsiens ont déserté les escargotières à la mauvaise saison, où sont-ils allés ? Comment se fait-il qu’on ne retrouve aucune trace de leurs campements d’hiver ?

Plus que les escargots, les œufs d’autruche et d’autres oiseaux et que la chair des animaux chassés ou pris au piège, des herbes diverses, des plantes à bulbe, des bourgeons et des fruits sauvages devaient assurer une partie importante de l’alimentation. La principale ressource devait être cependant les graines de graminées ou de légumineuses qui avaient en outre l’avantage de pouvoir être conservées.

Le nombre des gisements capsiens, quelles que soient leur durée respective et leur réelle signification démographique, révèle un accroissement de la population qui n’a son équivalent ailleurs que dans les phases avancées du Néolithique.

Aussi est-il tentant de faire ce rapprochement et de se demander si les Capsiens, comme les Néolithiques, ne possédaient pas déjà les techniques de production qui ont permis à l’humanité de progresser si rapidement. Les capsiens étaient-ils déjà agriculteurs ?

Il faut tenir compte de certains éléments de l’équipement capsien qui pourraient se rapporter à l’agriculture. Le premier objet attirant l’attention est la lame, à bord abattu ou non, portant un lustre parfois très marqué au voisinage du bord et s’étendant sur les deux faces de ces couteaux. On a l’habitude de la qualifier de « lustre des moissons » car on pense qu’il fut provoqué par le frottement contre la lame des tiges de graminées tranchées par le moissonneur. De telles lames ont été reconnues dans plusieurs gisements capsiens mais elles restent assez rares ; seraient-elles beaucoup plus nombreuses que leur présence ne suffirait pas à prouver que les Capsiens étaient des agriculteurs. Non seulement le fait de couper des tiges de graminées ne prouve pas que l’on cultive des céréales, mais encore faut-il bien admettre que le « lustre des moissons » peut être provoqué par la coupe des tiges non consommables mais fort utiles comme les roseaux, par exemple, qui pouvaient servir aussi bien à la confection de pièges qu’à la fabrication de vannerie ou à la couverture des habitations.

D’autres outils, composites ceux-ci, ont été plus étroitement liés à l’agriculture et aux moissons puisqu’il leur fut donné le nom de faucilles. La mieux conservée provient du niveau capsien de Columnata : il s’agit d’un manche droit de 21 cm aménagé dans une côte de grosse antilope ou d’équidé dont une extrémité est creusée d’une rainure de 0,09 m de long et de 0,014 m de profondeur. Dans cette saignée sont logés trois microlithes (un triangle scalène et deux lamelles à bord abattu, ce qui prouve la vanité de notre nomenclature typologique). (P. Cadenat, 1960, J. Tixier, 1960). Ces microlithes étaient logés verticalement perpendiculairement à l’axe du manche ; leur tranchant était dirigé vers l’intérieur ce qui laisse entendre que l’outil, s’il servait à couper, était effectivement manié en ramenant vers soi, suivant un mouvement semi-circulaire, les tiges à couper. C’est bien le geste du moissonneur.

Le gisement de Columnata avait, antérieurement à la découverte de cet objet, déjà livré un autre manche brisé portant également dans une rainure longue de 11 cm, quelques éléments de silex à bord abattu, tous brisés au ras de l’os. D’autres manches ayant perdu leurs éléments de silex ont été trouvés dans des gisements capsiens : à l’Aïn Kéda, à Mechta el-Arbi et au Relilaï. Même si ces outils composites étaient réellement des faucilles, ils ne permettent pas plus que les lames portant le « lustre des moissons » d’affirmer que les Capsiens étaient des agriculteurs.

On ne peut abandonner le sujet de l’agriculture sans mentionner les instruments de broyage indispensables dans la consommation des graines dures de céréales. Si les molettes de formes diverses sont fréquentes dans les inventaires des gisements capsiens, les auteurs ont généralement négligé de mentionner les meules qui auraient dû les accompagner. En fait, les rares pierres plates découvertes dans les couches archéologiques capsiennes portent le plus souvent des traces de couleur (Relilaï) ou présentent de fines incisions (Medjez II) qui font penser qu’elles servaient plutôt de planches à découper. Elles sont toujours rares.

Aucun document archéologique ne permet donc de croire que les Capsiens pratiquaient déjà une véritable agriculture. La date assez récente de nombreuses escargotières que nous savons être contemporaines du Néolithique méditerranéen rend toutefois vraisemblable l’hypothèse selon laquelle les Capsiens se livraient à une cueillette de plus en plus sélective et faisaient déjà des réserves de graines. Cette « végéculture » est le premier pas vers une vraie agriculture ; mais ce stade économique peut se maintenir sans changement pendant des millénaires : dans toute l’Afrique sahélienne la récolte des graines comestibles de nombreuses espèces de graminées non cultivées fournit non seulement un appoint mais souvent une part importante de l’alimentation d’origine végétale.

Bien que les renseignements qu’on en tire soient inévitablement incomplets, les données recueillies au cours des fouilles montrent donc que les Épipaléolithiques de l’Afrique du Nord avaient fondé leur économie sur l’abattage des vertébrés et sur la cueillette ou le ramassage.

Sources :

  1. Arambourg C, Boule M., Vallois H., Verneau R., Les grottes paléolithiques des Béni Ségoual, Algérie, Archives de l’Inst. de paléont. hum., mémoire n° 13, 1934.
  2. Camps G. Les civilisations préhistoriques de l’Afrique du nord et du Sahara, Doin, Paris, 1974.
  3. Camps-Fabrer H. Un gisement capsien de faciès sétifien. Medjez II. El Eulma (Algérie), C.N.R.S., Paris, 1975.
  4. Gobert E.G. Les escargotières. Le mot et la chose. IIIe congrès de la fédération des Soc. sav. de l’Afrique du nord, Constantine, 1937, t. II, p. 639-645.
  5. Grebenart D. Le Capsien des régions de Tébessa et d’Ouled Djellal. Algérie, Études médit. I, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1976.
  6. Higgs E.S. Les origines de la domestication, La Recherche n° 66, avril 1976, p. 308-315.

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