Le constat prévaut également pour la poésie occidentale et particulièrement française. La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe, avait déjà constaté un certain Léo Ferré. Peut-on ressusciter Rutebeuf, Villon, Apollinaire, Aragon, Prévert …. Quand jour rime avec amour et beau avec lavabo dans un rétrécissement de l’imagination ?
La richesse du langage chez les peuples de tradition orale comme le nôtre n’est plus à contredire. Le verbe et les métaphores de la langue arabe sont puissants. Pour ne citer que Mohamed Ecchrif BEN ALI EL AMRANI dit « OUELD ERRZINE » (1742 /1822), on ne peut qu’être admiratif sur la diversité des thèmes abordés par ce géant dans une finesse de langage envoutante. On le surnommait également « El MAALEM » et « fakihat lechyakh » en raison de l’offrande de fruits qu’il fit à des poètes de sa génération lors d’une soirée où il ne pouvait se prévaloir, comme l’assistance, d’un plat cuisiné. Il était célibataire et le demeura jusqu’à sa mort.
C’est à la faveur de l’appréciation d’un enregistrement récent qu’ Abdelhak BOUROUBA m’a invité à ouvrir les pages oubliées du Diwan de ce poète natif de FES. J’ai découvert avec enchantement « FDHILA », »EL BATOUL », « EL MARSAM », « EL ‘KALB » entre autres. L’amour, la foi, la beauté, l’amitié et ses travers émergent de vers riches en rimes. Tout le monde connaît les classiques « EL BAZ », « EL DJAMOUS (MAT DOUM EL ‘HOKMA) » à présent banalisées par trop d’usage et radotages. Comme il est heureux de vivre une soirée autour d’un seul poète pour en connaitre les centres d’intérêt à travers le florilège des sujets des pièces écrites.
Avec un timbre « ankaoui » mais pas trop c’est-à-dire épuré de toute grimace et la voix exagérément grossie comme s’y prêtent certains qui se sont autoproclamés héritiers, il laisse couler les textes dans un débit fluide et sans accrocs. IL jouit d’une diction limpide qui met les mots au grand jour sous des mélodies nouvelles restant dans le ton purement chaâbi. Car le mélange des genres est une trappe dans laquelle peut tomber un chanteur facilement. Un orchestre qui n’a point besoin d’en rajouter donne de l’amplitude à la douceur du chant. On écoute. On vibre. On se voit traversé par la chair de poule tant les enchaînements sont cohérents dans un déploiement de fresques. BOUROUBA complète par ailleurs les puzzles des chansons interprétées par El Anka qui ne citait parfois que quelques bribes. Grand hommage à El Hadj M’hamed qui a semé les premières graines de ce qui fait notre « algérianité » musicale avec les moyens rudimentaires dont il disposait. Abdelhak met aussi à l’épreuve sa sensibilité pour choisir ses textes. Attention, vous risquez de vous détourner momentanément de votre idole en l’écoutant !
Dans cet art qui mérite la part du lion dans notre patrimoine musical, il est heureux de tendre l’oreille et d’offrir toute son regard à ces rayons lumineux qui résistent à la médiocrité.
Certains chanteurs se sont convertis en prosélytes en chantant exclusivement du medh férocement dans l’ignorance honteuse de la fibre sage des poètes dont ils ont seulement effleuré la biographie. Que connaissent-ils de LAKHDAR BENKHLOUF de ABDELAZIZ EL MAGHRAOUI et autres AHMED EL GHRABLI dont l’empreinte reste indélébile dans les esprits et la peau des amoureux du chaâbi. Je reste convaincu que ces piliers qui font louange à l’ISLAM n’auraient pas accepté que leur tissage poétique soit victime d’une telle ostentation.
Quand on pense avec amertume que des »derbek danse » se permettent des cachets de plusieurs millions de dinars par soirée où ils ahanent des banalités applaudies par des sponsors bouche ouverte et tapant des mains frénétiquement, on se réconcilie avec la modestie de Abdelhak BOUROUBA et ses semblables. Notre pays n’en manque pas.
Dr R. M.
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