Discours de la seule académicienne maghrébine Assia Djebar devant les académiciens lors de sa réception à l’Académie française le 22 juin 2006 :
L’Afrique du Nord, du temps de l’empire français – comme le reste de l’Afrique de la part de ses coloniaux anglais, portugais ou belges –, a subi, un siècle et demi durant, dépossession de ses richesses naturelles, déstructuration de ses assises sociales et, pour l’Algérie, exclusion dans l’enseignement de ses deux langues identitaires, le berbère séculaire, et la langue arabe dont la qualité poétique ne pouvait alors, pour moi, être perçue que dans les versets coraniques qui me restent chers.
Mesdames et Messieurs, le colonialisme vécu au jour le jour par nos ancêtres, sur quatre générations au moins, a été une immense plaie ! Une plaie dont certains ont rouvert récemment la mémoire, trop légèrement et par dérisoire calcul électoraliste. En 1950 déjà, dans son ‘’Discours sur le colonialisme’’ le grand poète Aimé Césaire avait montré, avec le souffle puissant de sa parole, comment les guerres coloniales en Afrique et en Asie ont, en fait, ‘’décivilisé’’ et ‘’ensauvagé’’, avait-il dit, l’Europe».
«La langue française, la vôtre, Mesdames et Messieurs, devenue la mienne, tout au moins en écriture, le français donc, est lieu de creusement de mon travail, espace de ma méditation ou de ma rêverie, cible de mon utopie peut-être, je dirais même tempo de ma respiration, au jour le jour : ce que je voudrais esquisser, en cet instant où je demeure silhouette dressée sur votre seuil.
Je me souviens, l’an dernier, en juin 2005, le jour où vous m’avez élue à votre Académie, aux journalistes qui quêtaient ma réaction, j’avais répondu que ‘’ j’étais contente pour la francophonie du Maghreb’’. La sobriété s’imposait, car m’avait saisie la sensation presque physique que vos portes ne s’ouvraient pas pour moi seule, ni pour mes seuls livres, mais pour les ombres encore vives de mes confrères – écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d’Algérie – qui, dans la décennie quatre-vingt-dix ont payé de leur vie le fait d’écrire, d’exposer leurs idées ou tout simplement d’enseigner… en langue française.
Depuis, grâce à Dieu, mon pays cautérise peu à peu ses blessures. Il serait utile peut-être de rappeler que, dans mon enfance en Algérie coloniale on me disait alors ‘’française musulmane’’ alors que l’on nous enseignait ‘’nos ancêtres les Gaulois’’, à cette époque justement des Gaulois, l’Afrique du Nord, (on l’appelait aussi la Numidie), ma terre ancestrale avait déjà une littérature écrite de haute qualité, de langue latine…
J’évoquerais trois grands noms : Apulée, né en 125 ap. J.C. à Madaure, dans l’Est algérien – étudiant à Carthage puis à Athènes, écrivant en latin, conférencier brillant en grec, auteur d’une œuvre littéraire abondante, dont le chef-d’œuvre L’Âne d’or ou les Métamorphoses, est un roman picaresque dont la verve, la liberté et le rire iconoclaste – conserve une modernité étonnante…. Quelle révolution, ce serait de le traduire en arabe populaire ou littéraire, qu’importe, certainement comme vaccin salutaire à inoculer contre les intégrismes de tous bords d’aujourd’hui.
Quant à Tertullien, né païen à Carthage en 155 ap. J.C, qui se convertit ensuite au christianisme, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont son Apologétique, toute de rigueur puritaine Il suffit de citer deux ou trois de ses phrases qui, surgies de ce Il e siècle chrétien et latin, sembleraient soudain parole de quelque tribun misogyne et intolérant d’Afrique. Par exemple, extraite de son opus Du voile des vierges , cette affirmation : « Toute vierge qui se montre, écrit Tertullien, subit une sorte de prostitution ! », et plus loin, « Depuis que vous avez découvert la tête de cette fille, elle n’est plus vierge tout entière à ses propres yeux ».
Oui, traduisons le vite en langue arabe, pour nous prouver à nous-même, au moins, que l’obsession misogyne qui choisit toujours le corps féminin comme enjeu n’est pas spécialité seulement « islamiste ! »
En plein IV e siècle, de nouveau dans l’Est algérien, naît le plus grand Africain de cette Antiquité, sans doute, de toute notre littérature : Augustin, né de parents berbères latinisés… Inutile de détailler le trajet si connu de ce Père de l’Église : l’influence de sa mère Monique qui le suit de Carthage jusqu’à Milan, ses succès intellectuels et mondains, puis la scène du jardin qui entraîne sa conversion, son retour à la maison paternelle de Thagaste, ses débuts d’évêque à Hippone, enfin son long combat d’au moins deux décennies, contre les Donatistes, ces Berbères christianisés, mais âprement raidis dans leur dissidence.
Le discours intégral de Assia Djebar est disponible sur le site internet de l’Académie française
https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et-reponse-de-pierre-jean-remy
2 commentaires
une bougie s’est éteinte .ALLAH yarhamha . une grande perte pour la littérature algérienne en particulier et l’humanité entière en général . une romancière hors paire ..mais qui a laissé derrière elle un riche héritage pour la littérature algérienne . une vraie algérienne . digne par son éducation et fière par les œuvres qu’elle a laissé aux génération à venir .
c’est trés bien, j’ai appris beaucoup de chôses, bon courage.