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Histoire d'AlgérieLa colonisation française (1830 à 1962)

Mosquée Essayida, la dame mystère

Dès le début de l’occupation d’Alger, le génie militaire français a commencé à construire des routes, ce qui a entraîné la destruction de nombreux bâtiments et sites, dont des habitations, des cimetières et des mosquées. Cette démolition a été particulièrement intense sous les commandements de Bourmont et Clauzel. Pourtant, les français ne savaient pas encore s’il fallait se retirer ou s’il fallait rester et étendre l’occupation à une colonisation. Sur le terrain, les engagements pris après la prise d’Alger n’ont pas été respectés, et les occupants ont continué à agir en conquérants.

Dans leur démarche conquérante, les militaires français cherchaient à créer un espace pour le rassemblement et les manœuvres de leurs troupes. La ville, étant conçue de manière traditionnelle, ne disposait pas d’un espace suffisamment vaste pour aménager une place d’armes sans détruire des bâtiments existants.
La zone sélectionnée, située à l’intersection de trois grandes rues — rue Bab-el-Oued, rue Bab-Azoun et rue de la Marine — s’est révélée la plus appropriée. Elle se trouvait à proximité immédiate de la Djenina, le palais du Dey, où résidaient les forces militaires françaises. La création de cette place visait plusieurs objectifs. Elle devait servir de point central pour surveiller l’ensemble de la ville et, par sa taille imposante, afficher la puissance et la présence de la France. En conséquence, le 1er avril 1831, les forces coloniales françaises ordonnèrent la destruction de la majestueuse mosquée Essayida, adjacente au palais du Dey.

Cependant, Hamdane Khodja, un notable et érudit d’Alger qui a vécu les premières années de la colonisation, avance qu’une motivation plus mystérieuse pourrait expliquer la destruction de cette mosquée

En effet, l’auteur nous rapporte sa version dans son livre témoignage, « Le Miroir » où il raconte un triste épisode lié à la démolition de Djamaa Essayida. Il écrit qu’ « On fit croire à Clauzel que la mosquée contenait le trésor du dey. Ce général visita pieusement ce lieu religieux ; il allait souvent y faire des prières et des vœux, puis il décida dans sa sagesse qu’il allait s’en emparer (…) le général Clauzel fit donc fermer les portes de la mosquée, introduisit pendant la nuit des ouvriers et pour procéder à la fouille du trésor prétendu, jusqu’à ce que l’on eût épuisé tous les moyens de recherches et que l’on eut aussi perdu espoir. Pour cacher cette honte, on fit immédiatement démolir cette mosquée, dans laquelle se trouvaient plusieurs colonnes d’un marbre rare et des portails qu’on dit avoir vendus. » Mais le minaret de cette mosquée résista à la démolition. Un personnage dont le nom a été sciemment dissimulé, selon Hamdane Khodja, a proposé au général Clauzel de « creuser tout autour, de mettre du bois et d’allumer le feu afin que le minaret se consume. Une fois la chose faite on se servit de cordes et de chevaux pour faire tomber le minaret. »

La destruction de cette mosquée n’était que le début d’une série de démolitions d’édifices religieux, annonçant l’ère de la colonisation et la fin d’une civilisation pour tout un peuple.
Bien que le bâtiment ait disparu, les témoignages qui subsistent sont peu nombreux et souvent contradictoires. Les informations sur l’origine et le constructeur de la mosquée sont rares. Certains chercheurs affirment qu’elle aurait été reconstruite au XVIe siècle, probablement après un tremblement de terre ayant ravagé une partie de la ville, par Mehemmed Pacha. D’autres théories suggèrent qu’une femme pieuse pourrait être à l’origine de sa construction. Mais rien n’est confirmé, si ce n’est que le nom de la mosquée veut dire « Dame »…

Alors Essayda fait- elle référence à une femme ?

Deux versions circulent concernant l’identité de la mystérieuse dame derrière la mosquée. Selon certaines sources historiques, il s’agirait d’une riche dame ottomane qui, arrivée au début de la régence d’Alger, aurait financé la construction de cette mosquée, reconnue à l’époque comme un chef-d’œuvre architectural : après un long séjour à Alger cette dame devait rejoindre sa terre natale, avant son départ elle aurait ordonné la construction de cette mosquée pour marquer son passage et immortaliser sa présence dans la capitale. La mosquée reçut le nom d’Es-Sayida en l’honneur de cette généreuse initiative.

Selon une autre version, la mosquée Essayida cache une histoire d’amour entre un corsaire d’Alger et une belle vénitienne enlevée lors d’un raid barbaresque sur Venise. Promise au roi de Venise, la jeune femme fut amenée à Alger avec d’autres captifs chrétiens pour demander une rançon, comme fut la coutume des corsaires d’Alger. Un amour naquit entre elle et le corsaire, et elle choisit de rester à Alger plutôt que de retourner en Italie.

Face à la menace de guerre du roi vénitien, qui exigeait le retour de sa promise, la jeune femme accepta finalement de retourner en Italie pour épouser le roi, afin d’éviter des destructions et des pertes humaines à Alger. Avant son départ, elle demanda que la rançon soit utilisée pour construire une mosquée somptueuse en son nom. Cette mosquée, baptisée Djamaa Essayida, est ainsi devenue un témoignage de son amour pour le corsaire et pour la ville d’Alger.

Malgré les efforts des autorités coloniales pour effacer toute trace de la mosquée Essayida, près de deux siècles plus tard, des vestiges importants ont été découverts sur l’actuelle place des Martyrs. Pendant les fouilles préventives pour la construction du métro d’Alger, les archéologues ont retrouvé des fragments de la salle de prière, de la cour intérieure, et de la base du minaret de l’ancienne mosquée. Ainsi, l’histoire de la mosquée et celle de la dame mystérieuse renaissent à travers ces découvertes.

Rym Maiz

Albert Devoulx, « Les édifices religieux de l’ancien Alger », La Revue Africaine,‎ 1870

« Démolition de la plus belle mosquée d’Alger » sur Babzman

Brahim Benyoucef, Introduction à l’histoire de l’architecture islamique, Alger

 illustration : croquis de la mosquée en démolition, 1831

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